Chapitre 38

Je descends de l'arbre le plus vite possible. Dans la précipitation, je glisse et chute. Mon corps rebondit contre les branches à de nombreuses reprises. Je pousse un miaulement plaintif sous la douleur. Je sors les griffes et tente de m'accrocher à quelque chose, mais rien y fait, je continue de tomber, jusqu'à atterrir durement sur le sol.

On est loin d'un atterrissage en douceur.

J'ai le corps endolori. Mes os craquent lorsque je tente de me relever. Je suis sonnée, et la douleur m'empêche presque de respirer.

Mais je ne m'avoue pas vaincue.

La vie de mon compagnon est en jeu. Je ne laisserais pas une sale blondasse me prendre l'homme que j'aime.

Prenant mon courage à deux mains, j'entame ma métamorphose. Celle-ci est douloureuse. Je me retiens de hurler alors que je sens mes os se déplacer, se casser, puis se réassembler.

Quelques secondes interminables plus tard, je suis allongée face contre terre, le front luisant de sueur. Je me relève avec difficulté, les membres tremblants. Je peine à me tenir sur mes deux jambes. Le paysage bouge autour de moi. Je manque de tomber lorsque je tente de faire un pas en avant.

Ce n'est pas dans cet état que je vais sauver qui que ce soit.

L'odeur du sang et le cri pressant du faucon me reviennent à l'esprit. Je ferme les yeux un instant, reprends mon souffle, et les rouvre quelques secondes plus tard. J'ai toujours aussi mal, mais le décor ne tourne plus.

Mettant de côté ma souffrance, je m'élance dans la direction du faucon. Je cours à vive allure, manquant de trébucher à plusieurs reprises. Je crois que ma fibula droite ne s'est pas complétement remise de la chute. Mais tant pis, je fais avec et continue de foncer.

Au fur et à mesure que je progresse, des sons inquiétants me parviennent. Des grognements, des hurlements, des couinements.

Rien de très rassurant.

Lorsque j'arrive sur les lieux, Andréas est couché sur le dos, les vêtements tachés de sang. A quelques mètres de lui, une louve aux poils blancs et crasseux se débat avec un faucon.

Céleste enfonce les serres de sa patte dans l'œil de Nyce. La louve pousse alors un hurlement strident. Elle fonce droit contre le tronc d'un arbre, assommant le rapace au passage. Un craquement retentit. Céleste retombe à terre, son aile gauche plié dans un angle anormal.

La louve s'écarte. Son combat contre le faucon l'a épuisée, et son œil gauche est crevé. Mais ça ne l'empêche pas de me voir arriver et de me grogner après.

Ça ne sent pas bon pour moi ça.

La louve s'apprête à s'élancer quand je tends les bras devant moi.

-Temps mort ! Temps mort ! je m'écrie en formant un T avec mes mains.

Nyce se stoppe net dans son élan. Elle m'observe curieusement, se demandant certainement quel est donc mon plan saugrenu. Je me penche en avant, les mains sur les genoux, et prends une grande goulée d'air.

-Excuse-moi... cette course m'a... vraiment épuisée... oh putain, chui morte ! je râle, haletante après ma course dans la forêt.

Promis, si je gagne cette bataille, je me mets au sport.

Nyce reprend sa forme humaine tandis que je peine à reprendre mon souffle.

-Vas-t'en, tant que tu le peux encore. me dit-elle.

Contre toute attente, Nyce ne me semble pas froide. Avec le genre de plan qu'elle a mené, le malheur qu'elle a instauré dans ma vie, je m'attendais à me retrouver face à une personne abjecte et pleine de haine à mon égard. Au lieu de ça, j'ai presque l'impression qu'elle s'adresse à moi comme si elle était encore mon amie.

Drôle de façon de traiter la compagne d'un mec qu'on s'apprête à exécuter.

Je me redresse quelques secondes plus tard, enfin capable d'aligner plus de trois mots.

-J'aimerais bien, mais il se trouve que c'est l'homme de ma vie que tu t'apprêtes à tuer. C'est fâcheux, non ?

Nyce jette un œil à Andréas. Mon loup est toujours à terre. Il ne bouge pas, si bien qu'on pourrait le croire mort. Mais si je regarde bien, je peux apercevoir son torse se soulever doucement.

-Je ne veux pas te faire de mal. dit Nyce en se détournant d'Andréas.

-Moi non plus.

C'est vrai. J'aimerais beaucoup me venger pour toutes les fois où elle m'a manipulée, où elle m'a menti en prétextant être mon amie. Mais je n'oublie pas qu'elle est un loup et moi un chat. Un combat très peu équitable.

-Mais si tu t'en prends à Andréas, il va falloir que tu m'affrontes aussi. j'ajoute, très sérieuse.

Mourir par amour, je n'aurais jamais cru ça de moi.

-Je suis obligée de le faire.

Je secoue la tête.

-Tu peux choisir de ne pas le tuer. On a toujours le choix. Et puis, honnêtement, Alpha ça doit être un boulot très chiant. On est overbooké, on a aucune vacances, et la seule façon de démissionner, c'est de mourir. Vraiment, c'est loin d'être aussi cool que ce que les gens pensent. je tente de la raisonner.

Nyce fronce les sourcils, perplexe.

-Je ne veux pas être Alpha. rétorque t-elle.

A mon tour d'être confuse.

-Pourquoi est-ce que tu veux tuer Andréas si ce n'est pas pour prendre sa place de chef de meute ?

Les poings de Nyce se serrent. Son œil intact s'illuminent, passant du marron au noir. La louve se met à grogner.

-C'est de sa faute. Il l'a tué ! s'écrie t-elle avec rage. Andréas a tué le seul homme que j'aimais !

Ah, c'est une histoire de vengeance alors.

Je jette un coup d'œil au corps d'Andréas. Le loup remue un peu. Il reprend lentement conscience. Je regarde Nyce. Je dois gagner du temps, la détourner d'Andréas, afin que celui-ci puisse se relever et terminer son combat contre la louve.

La louve est épuisée, son œil n'a toujours pas guéri, et son attention est détournée sur moi. Même dans un état aussi lamentable que le sien, Andréas a une chance de la vaincre.

-Andréas a tué dans ton compagnon ? Bon d'accord, c'est moche. je concède. Mais est-ce vraiment une raison pour devenir une meurtrière. Tes actes auront des répercussions.

Nyce baisse la tête.

-Lorenzo n'était pas mon compagnon. dit-elle à voix basse.

Je lève les sourcils, interloquée.

-Sérieux, c'est pour cette pourriture là que tu fais tout ça ?!

Depuis que je suis dans cette meute, je n'ai entendu que du mal du cousin d'Andréas. C'était un homme foncièrement mauvais. Il était sadique et faisait du mal aux plus faibles juste pour le plaisir. Et il a voulu exterminer Saorsa.

Je suis bienheureuse que ce type soit mort.

-Là, j'avoue que je ne comprends pas. Ce mec était un tyran. J'ai discuté avec tout le monde, il n'y en a pas un seul qui l'aimait.

-Si, moi je l'aimais ! proteste la louve. Je l'aimais de tout mon cœur. Et c'était réciproque. On se voyait en secret, j'ai été sa maitresse pendant des années. Il m'avait promis qu'il ferait de moi sa compagne un jour. Mais à cause de lui, dit-elle en montrant Andréas du doigt, ça ne se fera jamais !

Je me retiens de lever les yeux au ciel. Je me dois de maitriser la situation et de calmer la louve si cela est possible.

-Que dirais-tu si on s'asseyait pour discuter tranquillement de la situation ? je lui propose tout en m'asseyant prudemment sur la terre.

-Je ne veux pas discuter. Andréas doit mourir !

Elle se tourne vers le loup, prête à finir le travail.

-Ne t'en prends pas à lui ! C'est de ma faute si Lorenzo est mort ! je m'écrie avant qu'elle n'atteigne Andréas.

Comme je m'y attendais, la louve se stoppe net dans sa lancée, et se tourne vers moi.

-Qu'est-ce que tu as dit ?

-C'est moi qui ai poussé Andréas à tuer son cousin. Il ne voulait pas s'en mêler au départ, mais je l'ai forcé à arrêter la guerre qu'il y avait entre ma meute et la vôtre. Si je n'avais pas protesté, Andréas n'aurait pas défié Lorenzo. Et il ne serait pas mort.

Je me relève doucement, et fais face à la louve.

-Tu veux tuer quelqu'un pour te venger ? Je suis la personne qu'il te faut. Mais avant que tu ne te métamorphose et me transforme en pâté pour chien, j'aimerais que tu réfléchisses très sérieusement à la situation.

J'inspire profondément. Ce que je m'apprête à dire ne va pas être facile à entendre pour la louve, mais c'est ça ou me laisser changer en sushi.

Et personne n'aime les sushis.

-Tu t'es faite manipulée, Nyce. Tu crois avoir vécu une histoire d'amour avec Lorenzo, mais c'est faux.

-Tu délires complètement ! Qu'est-ce que tu peux savoir de ma relation avec Lorenzo, tu n'étais même pas là !

J'hausse les épaules.

-Tu m'en as dit assez pour que je comprenne que le loup ne t'aimait pas. Voyons, un loup amoureux n'attendrait pas si longtemps pour faire d'une femme sa compagne ! Regarde Andréas, à peine quelques jours après l'avoir rencontré, il m'avait déjà demandé de m'unir à lui. Lorenzo ne faisait que jouer avec toi.

-C'est faux ! hurle Nyce, les larmes aux yeux.

Elle s'avance, une lueur meurtrière sur le visage, prête à me défigurer.

-Je parie qu'il est déjà allé voir ailleurs.

Nyce s'arrête net dans son élan.

-Il fréquentait d'autres femmes, n'est-ce pas ? Il ne t'aimait pas, il ne faisait que s'amuser avec toi. Il te manipule, encore maintenant ! Vas-tu vraiment lui faire le plaisir de le venger, lui qui t'a fait tant de mal ?

Nyce ne cesse de pleurer. Son corps tremble, je le vois d'ici. Elle est déboussolée. Elle a le cœur brisé. Je sais ce que c'est, je l'ai vécu toute la semaine. C'est douloureux. Ça donne envie de mourir.

-Nyce, si tu arrêtes ça et que tu te rends, je te promets qu'on essaiera d'améliorer les choses. Tout sera différent dorénavant. Tu pourras vivre une tout autre vie, bien meilleur ! Mais pour ça, tu dois laisser Andréas tranquille.

Je regard le loup étendu sur le sol. Ses magnifiques prunelles bleus sont rivés sur moi. Le loup d'Andréas me contemple, admiratif. J'ai l'impression qu'un poids se soulève de mes épaules. Cela fait si longtemps que je n'ai pas admiré ses beaux yeux.

-Ne le tue pas, je t'en prie. C'est mon âme-sœur.

Je le sais maintenant. C'est devenu une évidence. Plus aucun doute ne subsiste, juste une seule et unique certitude : Andréas est mon âme-sœur, et je suis la sienne.

C'est étrange d'enfin réussir à se l'avouer. J'ai l'impression de sortir la tête de l'eau après être restée en apnée durant de longues années. Et ça fait tellement de bien.

-Je ne peux pas. rétorque Nyce. Si je ne le tue pas, c'est eux qui me tueront.

Vivement interpellée, je me détourne d'Andréas.

-Qui ça " eux " ?

Je me rends compte bien trop tard que nous ne sommes pas seuls dans la forêt. Des gens nous observe. Mais tout est sombre autour de nous, difficile d'y voir quoique ce soit. Je n'avais même pas remarqué que la nuit est presque tombée

Heureusement que je suis nyctalope.

Tout à coup, trois hommes sortent de la pénombre.

-Je crois qu'elle veut parler de nous. dit l'un d'entre eux.

Je les reconnais. Ce sont trois anciens loups de la meute, des fervents adorateur de Lorenzo et de sa doctrine. Ils ont quitté la meute lorsque Andréas a pris les reines.

Et aujourd'hui, ils viennent se venger.


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