Chapitre 3
Le soir même, je me retrouve dans les cuisines à faire ce pour quoi on m'a embauchée : aider les cuisiniers à préparer le dîner. Je dis bien aider parce que, ayant peu de connaissances culinaires, je ne pouvais pas faire grand-chose.
Je suis douée pour manger des repas, pas les préparer.
Je prends sur moi et aide donc mes collègues jusqu'à ce que tout soit prêt. J'enfile un tablier blanc et attends que l'un de mes collègues ne me disent quoi faire.
Et si je gouttais les plats ? Je suis sûre que je serai parfaite dans ce rôle.
-Hasna, c'est ça ? me demande une femme que je crois reconnaitre comme le second du chef.
J'opine de la tête. Elle me tend alors un fouet que je prends et l'examine comme s'il venait d'une autre planète.
-C'est toi qui va devoir t'occuper de la crème pâtissière.
La crème quoi ?
Un instant plus tard, je me retrouve devant divers ustensiles et un énorme saladier, les manches retroussées, définitivement prête à relever le défi. Il parait que ce n'est pas très compliqué à faire, la crème pâtissière. Je fais confiance à mes supérieurs, eux au moins, ils ont de l'expérience.
Je commence à casser les œufs et les mettre dans le grand saladier. Cuisiner me rappelle soudain de vieux souvenirs, à l'époque où je venais d'intégrer Saorsa. La plupart des métamorphes étaient méfiants vis-à-vis de moi. Il n'y avait que Léo qui me faisait confiance, mais il était toujours très occupé. Alors un jour, pour me faire accepter des miens, je me suis mise à la cuisine - quelle horrible idée ! J'ai simplement essayé de faire un gâteau à la chantilly.
J'ai effectué une vingtaine de gâteau avant d'enfin en réussir un et pouvoir le servir à mes camarades de meute. Ils ont tous été contents de ce gâteau - les métamorphes sont très gourmands.
Jusqu'à ce qu'ils voient l'état de la cuisine...
Depuis, aucun membre de Saorsa ne me laisse entrer dans la cuisine, de peur que je n'y foute le feu. Et ça me convient.
Par je-ne-sais-quel-miracle, je n'ai pas brûlé la crème pâtissière. Il m'a suffi d'utiliser mon odorat pour vérifier que rien n'était trop cuit. Et ça a marché. Je suis très fière de moi - pas comme la chef qui a décrété que j'ai fait du sale boulot à cause de tous les grumeaux qu'elle a retrouvés dans la crème.
Qu'est-ce qu'elle a après ces grumeaux ? C'est joli comme mot, pourquoi les déteste-t-elle autant ?
Un peu plus tard, lorsque le repas est prêt, je finis par me retrouver seule dans un coin de la cuisine, jusqu'à ce que deux mecs et une femme à l'air hautain n'arrivent en quête de quelque chose à grignoter alors que le dîner sera servi dans la salle à manger dans une dizaine de minutes. Ils me remarquent presque aussitôt.
-Pour un métamorphe, tu sens drôlement mauvais.
Il croise alors mon regard.
-Ce n'est pas très étonnant de la part d'un félin. constate t-il en grimaçant de dégoût.
Avec mes yeux de chat que j'arbore même sous forme humaine, c'est facile à deviner. Je hausse les épaules en feignant un air ennuyé. Avec un peu de chance, ils finiront par oublier mon existence.
Seulement, je n'ai jamais de chance.
-Ça doit être un chat, vu comment elle est p'tite. en conclut son camarade.
Élémentaire, mon cher Watson.
-Pff, ces métamorphes là ne servent à rien. Ils ne savent pas se battre et ne sont même pas bons à manger.
Je me retiens de lever les yeux au ciel. Le racisme est partout. Si l'on ne se plaint pas de la couleur des gens, on se met à traiter leur moitié animale. Dans mon cas, la plupart des métamorphes pensent que nous sommes des erreurs de parcours, que notre existence n'a aucun sens mise à part divertir leur vie le court instant où ils viennent nous persécuter.
J'ai enduré toute ma vie ces remarques et insultes. J'ai aussi été pourchassée à plusieurs reprises, et battue. Les autres nous traitent comme de la vermine. Pour eux, nous sommes insignifiants. Et faibles.
-J'aime pas les chats. Ils ont toujours cet air supérieur, alors qu'ils sont au plus bas de la chaine alimentaire.
-Ce n'est pas plutôt la souris, puisque, bon chat comme nous sommes, nous les chassons ? je ne peux m'empêcher de répondre.
On dit que nous apprenons de nos erreurs. Dans mon cas, cela n'arrive jamais. Je fais toujours des erreurs et je ne veux jamais apprendre les leçons que je peux en tirer.
-Ferme-la, crétine de chatte ! s'emporte l'un des deux garçons, le plus grand et le plus effrayant.
Ses yeux changent un instant de couleur, signe que son animal montre le bout de son museau. Ce n'est généralement pas bon signe pour moi. Trois contre un, c'est déjà déloyale, alors trois métamorphes surpuissant contre une petite chatte, je suis forcément en mauvaise posture. Le premier gars s'approche et m'agrippe le menton avec force.
-On va t'apprendre à te taire en présence d'êtres supérieurs.
Cours toujours.
Alors qu'il s'apprête à me donner le premier coup, je lève ma main griffue et lui entaille la joue. Profitant de sa surprise, je me transforme et cours à toute vitesse hors de la cuisine.
-J'vais t'faire ta fête, minou !
J'entends leurs pas derrière-moi et accélère. J'essaie de réfléchir. Ce sont de gros balourds alors que je suis petite et agile. Et je suis incapable de me battre, pas avec eux en tout cas. Je dois pouvoir les semer dans la foule. A cette heure-ci, tout le monde est dans la salle à manger. Je dois retrouver le chemin de cette salle.
Manger est ma vocation, trouver une pièce remplie de mets délicieux ne doit pas être bien compliqué.
Au loin, j'aperçois une silhouette. Avec ébahissement, je reconnais la même silhouette masculine que j'ai aperçu plus tôt avant de nourrir les poissons avec le contenu de mon estomac.
Alors je n'ai pas rêvé ?
Ni une, ni deux, je fonce sur lui en espérant qu'il me vienne en aide. Je saute et grimpe sur lui en m'aidant de mes griffes avant de me percher sur son épaule, sous son regard ahuri. Mes trois poursuivants mettent peu de temps à arriver avant de s'arrêter brusquement.
-Je peux savoir ce qu'il se passe ? questionne mon perchoir, la mine sévère lorsqu'il les aperçoit.
Les trois complices sont légèrement essoufflés et l'un d'eux a la joue qui saigne. Mal à l'aise devant cet homme imposant, les trois balbutient, ne sachant quoi répondre. Mon chat se plait à se positionner sur l'épaule de cet homme si grand. De cette hauteur, nous avons l'impression de dominer les trois idiots.
Quelle satisfaction !
-Nous, euh... C'est... cette fille, elle nous cherche. Elle m'a griffée, cette pétasse !
Balance !
Mon perchoir tourne la tête vers moi et je frotte ma tête velue contre son menton pour l'amadouer. Je pousse même un léger ronronnement, comme un supplice pour qu'il plaide ma cause. Ce qui à l'air de fonctionner puisqu'il reporte son attention sur le trio.
-Vous devriez être à table à l'heure qu'il est. Je vous conseille de vite y ramener votre cul avant que votre Alpha ne soit mis au courant que ses louveteaux se sont fait malmener par un minuscule chat.
Ni une, ni deux, les trois métamorphes foncent vers la salle à manger, la tête baissée en guise de soumission. Une fois certaine qu'ils soient loin, je saute de mon perchoir et me retransforme une fois les pattes sur le sol.
-Merci de votre intervention. Sans vous, je n'aurais pas donné cher de ma fourrure. Vous leur avez foutu la frousse.
C'est même très étonnant, maintenant que j'y repense.
Il sourie, l'air amusé, et hausse les épaules.
-Je suis le second de leur Alpha, autrement dit ils n'ont pas intérêt à me désobéir. Je suis Andréas, métamorphe loup.
Il me tend sa main chaleureusement. Mais je suis trop sonnée pour la saisir. Je cligne des yeux, surprise. Daniel m'a informé qu'il n'y a qu'une seule meute de loups sur ce navire. Autrement dit, mon sauveur, Andréas, fait partie de la meute qui souhaite exterminer Saorsa.
Bravo, Hasna, tu sais faire fonctionner ton cerveau !
-Et vous... commence t-il, sa main se refermant pour me désigner de son index.
L'anxiété me gagne. Si sa meute est en conflit avec la mienne, se peut-il qu'il connaisse déjà mon identité ?
À cet instant, je me vois déjà attachée autour d'une broche, suspendue au-dessus d'un feu, prête à rôtir pour farcir le prochain kebab.
Vous préférez la sauce blanche ou bien le ketchup aussi rouge que vos sanglantes envies de meurtres ?
-... vous êtes la femme que j'ai vu tout à l'heure sur le quai, celle qui a vomi ses tripes dans l'océan !
J'aurais préféré qu'il me bouffe.
Le visage rendu cramoisi par la gêne, je balbutie un prétexte pour m'enfuir avant que la situation ne dégénère et suis le chemin emprunté par le trio de tout à l'heure afin de retrouver la salle à manger.
Plus jamais je ne monterai dans une voiture.
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