Chapitre 28
Assise sur l'îlot central de la cuisine, j'observe Nyce. La jeune louve feuillète un livre de recettes de cuisine d'un air très concentré.
Trois jours.
Il me reste trois jours avant le jour de mon union avec Andréas, celui où je dois avaler le sang de chacun des membres de la meute. Je suis bien décidée à me faire accepter des miens avant cela. Alors je cherche désespérément un moyen de les approcher sans qu'ils ne me fuient.
Nyce m'a alors rappelé le point commun qu'ont tous les métamorphes : la gourmandise. C'est ainsi que j'ai commencé à m'intégrer à Saorsa, en préparant un dessert pour mes camarades. Ça n'a pas été facile, bien au contraire. Ça a été un véritable carnage en fait. Mais cette fois, j'ai une louve plus expérimentée pour m'aider.
-J'ai trouvé ! s'exclame mon acolyte en désignant une page du livre.
Je me penche vers le bouquin, intriguée.
-Moelleux au chocolat individuels. je lis à haute voix.
-C'est simple à faire, puis tout le monde aime le chocolat. On pourrait les faire sous forme de muffins, comme ça on pourra aller les distribuer en nous promenant dans le village tout à l'heure !
-Ce n'est pas une mauvaise idée.
C'en est même une excellente !
Je saute du meuble, prête à me mettre au travail. Et puisque c'est moi qui souhaite m'intégrer, je vais cuisiner ces petites merveilles chocolatées toute seule. Nyce sera seulement là pour me conseiller ou m'arrêter si je fais quelque chose qu'il ne faut pas.
-Par où je commence ?
Je casse des œufs, fait fondre du chocolat, verse la farine, bat le mélange, jusqu'à ce que la pâte soit prête. Puis nous versons le tout dans divers compartiments. J'enfourne le tout, et voilà, plus qu'à attendre maintenant.
-Je te remercie de ton aide. Sans toi, j'aurai sûrement mis le feu à la cuisine.
-Oh non, tout de même pas !
Oh si.
-Mais tu n'as pas d'autres choses à faire ? Je veux dire, tu es une louve à part entière d'une meute, on t'a sûrement confié du travail, non ? Des trucs plus importants à faire que de préparer des petits gâteaux ?
Elle secoue la tête.
-Avec Andréas nouvellement à la tête de la meute et qui a prévu de tout changer, on ne sait plus trop ce qu'on doit faire ou non. Il est très indépendant, il ne nous laisse pas beaucoup de choses à faire.
Il est vrai qu'Andréas n'a pas été habitué à déléguer son travail aux autres. Il était bêta après tout, et il est si peu sociable qu'il ne connait même pas tous les noms des membres de sa propre meute.
-En parlant d'Andréas, est-ce que tu saurais... est-ce que tu pourrais me dire... quel âge il a ? je demande à la jeune femme, un peu gênée par ma propre question.
Demander l'âge d'un métamorphe ne se fait pas. Mais j'ai vraiment envie de savoir. J'en ai même le droit en fait, en tant que future compagne officielle.
Nyce grimace d'un air désolé.
-Je ne sais pas exactement. Il était déjà adulte quand je suis venue au monde.
-Et tu as quelle âge ?
Elle sourie.
-Cinquante trois ans. me répond-elle fièrement.
Je reste sur le cul.
Elle a plus de deux fois mon âge !
En y réfléchissant, cela veut dire qu'Andréas a plus de cinq siècles derrière-lui, sans doute encore plus.
-Pourquoi tu ne vas pas le lui demander directement ? me demande la louve.
Je fais la moue.
-Je l'ai fait, mais il n'a pas voulu me répondre.
Nyce semble très étonnée.
-Mais pourtant, vous êtes âme-sœur ! Vous devriez tout savoir l'un de l'autre, ne garder aucun secret.
Je grimace.
-Oui, en fait, cette histoire d'âme-sœur, ça ne s'est pas encore confirmé.
-Comment ça ? réplique la louve interloquée.
Je m'adosse contre le meuble de cuisine tout en soupirant.
-Andréas pense que nous le sommes, il en est persuadé. Mais moi, je ne sais pas. J'ai des doutes. Si nous étions réellement âme-sœur, je l'aurai su aussitôt non ?
Malheureusement, ce lien est un véritable mystère pour moi. Et je n'ose pas approfondir le sujet avec Andréas.
En regardant Nyce, je vois qu'elle semble profondément choquée, comme si elle a compris quelque chose que je n'ai toujours pas découvert.
-Quoi ? je m'empresse de lui demander.
Mais elle secoue la tête.
-Ce n'est peut-être rien. Tu es peut-être moins réceptive que la plupart des métamorphes. Ou bien peut-être qu'il y a quelque chose qui fait barrage entre vous et qui t'empêche d'ouvrir les yeux. Ou peut-être que tu es dans le déni.
-Ça fait beaucoup de peut-être, je trouve.
Je croise les bras contre mon torse, certaine qu'elle me cache quelque chose.
-Crache le morceau. Quelle est ta véritable théorie ?
Nyce regarde tout autour d'elle, veillant à ce que personne ne surprenne notre conversation.
-As-tu pensé que si tu ne ressentais pas le lien d'âme-sœur, c'est peut-être parce qu'il n'y en a pas ?
J'arrête de respirer, profondément scandalisée par une telle hypothèse.
Bien-sûr, cela expliquerait pourquoi je doutes tant de l'existence de ce lien. Mais d'un autre côté, Andréas le saurait s'il n'y avait rien du tout.
-Andréas est certain qu'il y a quelque chose qui nous relie tous les deux. Tu crois qu'il peut se tromper ?
Elle regarde une nouvelle fois autour d'elle, terriblement gênée.
-Peut-être qu'il t'a menti.
Non, je refuse d'y croire.
Je digère avec beaucoup de mal les paroles de la louve. Au fond de moi, je savais bien que c'est bien trop beau pour être vrai. Mais je pensais que ma chance avait tourné pour une fois, que je pouvais être heureuse.
Me suis-je trompée ?
Non, absolument pas. Andréas m'aime, c'est une certitude. Et nous sommes âmes-sœurs. Je suis juste un peu détraquée, c'est pour ça que je ne le ressens pas.
-Ce ne sont que tout un tas de "peut-être". Si ça se trouve, rien de ce que je dis n'est vrai. me rassure Nyce, un peu paniquée.
Une sonnerie retentit, celle du minuteur. Délaissant mes incertitudes, je sors les muffins du four, morose.
-Je suis désolée. murmure la voix de Nyce près de moi.
Je secoue la tête tout en reniflant.
Mince, je ne vais pas pleurer pour ça tout de même ?
Je me ressaisis aussitôt et arbore un énorme sourire, bien qu'il soit faux.
-Je les ai pas brûlés, t'as vu ? je m'exclame en lui tendant les muffins.
Je dispose le tout sur l'îlot central.
A peine quelques minutes plus tard, attirés par l'odeur alléchante des gâteaux au chocolats, quelques loups viennent pointer leur museau. Je reconnais deux femmes qui nous ont servi nos repas à Daniel, Jonas et moi, lorsque nous étions enfermés au sous-sol du bateau de croisière.
Ça me fait bizarre d'enfin pouvoir les voir sans qu'elles ne se détournent, trop soumises pour croiser mon regard.
-Ça sent drôlement bon. constate la première.
-Qu'est-ce que c'est ?
Je leur montre les dizaines de muffins.
-Vous en voulez ?
Les deux louves s'approchent aussitôt, oubliant leur timidité au placard.
Ça y est, notre plan fonctionne !
Mais alors qu'elles s'apprêtent à se servir, un loup que je n'ai jamais cotôyé débarque et leur grogne après.
-Depuis quand est-ce que vous vous servez sans qu'on ne vous l'ai ordonné ? gronde t-il après les louves qui se recroquevillent dans leur coin, terrorisées.
L'ingrat les dépasse et vient se saisir d'un muffin sans même avoir demandé. Les mains sur les hanches, je le fusille du regard.
-Figure toi qu'elles avaient mon accord. Pas toi, en revanche.
Le loup me jauge du regard, puis éclate d'un rire mauvais.
-A ce que je sache, tu n'es pas encore unie à Andréas. Tu n'es pas notre Alpha.
Autrement dit, je n'ai aucune autorité ici.
Ces paroles ne font que me rappeler les théories de Nyce. Blessée dans mon égo et dans mon âme, je ne réplique plus rien, laissant le loup s'en aller. Des larmes menacent de s'écouler de mes yeux.
C'est la toute première fois que je m'écrase devant quelqu'un.
Je n'ai plus envie de rien tout à coup. Tout devient maussade.
Je pensais vivre un rêve. Mais pour l'instant, ça a tout d'un cauchemar.
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