Chapitre 21

-Tue la chatte en premier.

Les griffes du loup me piquent la peau. Au fond de moi, mon chat gronde.

Je l'imagine très bien faisant le dos rond et cracher, le poil hérissé. Il est très en colère contre tous ces loups. Ils menacent sa meute, sa famille. Et même notre vie. Alors évidemment, il a envie de tous les étriper.

Mais c'est impossible. Parce qu'il n'est qu'un chat. Et qu'un chat ne peut rien contre un ennemi pareil.

Je me dis que ça aurait pu être cool si j'avais été un plus gros félin comme Daniel. Peut-être bien que je n'aurais pas eu de retard de métamorphose. Qui sait, mes parents m'auraient peut-être gardée si ça ne s'était pas passé ainsi.

J'aurais pu avoir une enfance normale avec deux parents présents pour moi. Au lieu de ça, j'ai erré dans les rues, crevant la dalle, toute crasseuse, jusqu'à ce que Saorsa finisse par me recueillir. J'ai risqué ma vie tous les jours en me frottant à plus fort que moi. Écraser ou se faire écraser. J'ai connu la misère.

Mais est-ce que je regrette ? Absolument pas.

Mes parents avaient beau être attentionnés et aimants - d'après les souvenirs qu'ils me restent d'eux du moins - s'ils m'ont rejetée simplement parce qu'ils me pensaient incapable de me transformer, c'est que ça n'auraient pas été de bons parents pour moi.

Et puis, Saorsa compose pas moins de dix-huit métamorphes auxquels je tiens beaucoup aujourd'hui. Des métamorphes qui ont pris soin de moi, m'ont choyée et élevée. Ce sont eux, ma vraie famille.

Eux, et peut-être un très séduisant bêta aux yeux d'argent.

Le fait d'énoncer Andréas me rappelle que j'ai fait la même chose avec lui que ce que mes parents m'ont fait. Je l'ai rejeté parce qu'il est du camp ennemi, alors que j'aurais pu tenter de trouver un moyen de soutenir ma meute et le loup en même temps. Jonas a raison, peut-être que nous aurions eu une chance si je n'avais pas fait les mauvais choix.

Peu importe, le mal est fait de toute façon.

J'inspire profondément, les yeux clos, attendant que le métamorphe mette fin à ma vie. J'espère que celle-ci sera rapide. J'ai entendu dire qu'au Moyen-âge, lorsque les gens se faisaient décapités, les bourreaux n'arrivaient pas à trancher la tête d'un coup et devaient s'y prendre à plusieurs fois avant de détacher la tête du reste du corps.

Le mien a intérêt à faire ça proprement.

De mon ouïe surdéveloppé, j'entends les muscles du bourreau se tendre, prêt à m'exécuter. Mais alors que je patiente que la mort vienne me cueillir, je ne sens qu'un courant d'air et la pression sur mon cou diminuer, jusqu'à disparaitre totalement.

C'est ça, mourir ? Eh bah, c'est pas si horrible que ça finalement.

Je me risque à ouvrir un œil pour vérifier. Je suis stupéfaite de voir que je suis toujours assise dans la terre, au milieu de la bataille qui fait rage entre les deux meutes, et toujours bien vivante.

Où est le paradis ? Où sont passés les pâtés pour chat gastronomiques, les rideaux qu'on peut griffer sans se faire gronder, les litières à éparpiller sur le sol tout propre, les rouleaux de papiers toilettes qu'on bousille, les perruches et poissons rouges à gober ?

Je me retourne à la recherche du métamorphe qui devait mettre un terme à ma vie. Mais il ne se trouve plus derrière-moi. Je l'aperçois à plusieurs mètres de là, se débattant avec un loup gris.

Ce dernier semble d'ailleurs avoir le dessus. Il n'hésite pas une seconde à l'achever d'un coup de mâchoire, faisant sauter sa tête comme un bouchon de champagne.

Le loup gris observe la dépouille de l'homme, soufflant comme un bœuf. Puis il se retourne vers moi, les babines écarlates. Ses yeux ont pris la couleur du saphir.

Andréas.

Le bêta accourt vers moi, puis il reprend sa forme humaine. Il se penche, m'attrape par le bras et m'oblige à me lever.

-Il ne faut pas rester là !

A peine suis-je debout qu'Andréas me force à courir.

Je le suis comme je le peux, mais Andréas est plus grand et bien plus sportif que moi, et j'ai du mal à tenir la distance. Je choisis la solution de facilité. Je me métamorphose et saute sur son épaule.

Alors que nous parcourons les mètres à une vitesse inhumaine, je vois que quelque chose cloche. En tournant la tête, je constate que nous nous éloignons du combat.

Oh non, certainement pas.

Je descends de mon perchoir et reprends ma forme humaine alors qu'Andréas s'arrête, alerté.

-Qu'est-ce que tu fais ? On doit partir d'ici au plus vite ! s'exclame t-il d'un air paniqué.

-C'est ma meute, Andréas, je dois les aider.

-Les aider ? Tu n'es qu'une chatte, Hasna, tu n'es pas faite pour te battre avec des métamorphes de leur trempe. Si tu y vas, tu vas y rester !

Je hausse nonchalamment les épaules. Andréas jette un coup d'œil rapide autour de nous avant de s'avancer. Il m'attrape les deux avant-bras et se penche.

-Je sais que tu les aimes, qu'ils ont fait beaucoup pour toi. Mais ça ne vaut pas le coup d'y laisser la vie. Viens avec moi. On ira rejoindre une nouvelle meute dans laquelle tu te sentiras épanouie, et où on pourra s'unir.

Les larmes me montent aux yeux. Andréas ne me déteste pas. Il veut encore de moi, après tout ce que je lui ai fait. Je ne le mérite même pas. Cet homme est beaucoup trop bien pour moi : beaucoup trop beau, beaucoup trop gentil, beaucoup trop parfait. Mais il veut de moi malgré tout.

Et dire que je n'ai pas arrêté de le repousser.

-Je n'ai pas besoin de fuir pour devenir ta compagne, Andréas.

Le loup cligne des yeux, abasourdi. Sa bouche s'ouvre, puis se referme, sans qu'un son n'en sorte. Je crois même que ses yeux se mettent à briller.

-Est-ce que je dois en conclure que... que tu acceptes de le devenir ?

Je fais un pas en avant et pose mes mains de part et d'autre de son visage avec tendresse. De mes pouces, j'essaie d'essuyer le sang du métamorphe qui couvre toujours le bas de son visage. Ma tentative ne marchant pas, je grimace et décide tout de même de me jeter à l'eau. J'embrasse le loup avec tout l'amour que je ressens pour lui.

Parce que ça ne peut être que ça, de l'amour. Je ne vois pas quelle autre émotion pourrait me pousser à flirter avec un loup alors qu'il est du camp ennemi. J'ai beau essayé de me focaliser sur la meute, d'essayer de le repousser, je reviens toujours dans ses bras.

Tout est si clair maintenant. Je veux être avec Andréas. Et mon chat aussi. Alors autant arrêter ce supplice maintenant.

Andréas soupire et se laisse aller contre moi.

-Entre toi et moi, ça a été le coup de foudre.

C'est vrai, dès que je l'ai aperçu sur le bateau, j'ai été attirée par lui comme s'il était un foutu phare et que j'étais le matelot perdu en mer. Et lorsque tout s'est compliqué, il est devenu ma bouée de sauvetage.

-Je dirais même plus que ça. C'est le lien d'âme-soeur. me souffle Andréas, un large sourire aux lèvres.

Je me recule, hébétée, le fixant avec de grands yeux ronds.

Annoncer à son partenaire qu'ils sont âmes-sœurs est une accusation très grave. C'est une chose très rare. En fait, je croyais même que c'était une légende jusqu'à maintenant.

-Si tu essaies de plaisanter, ce n'est pas drôle du tout.

Il replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et me sourie, attendri.

-Je suis très sérieux, Hasna.

Je déglutis, ne sachant pas quoi faire d'une telle information - non, supposition ! Andréas y croit sérieusement, mais rien ne veut dire que ce soit vrai.

-Tout parait si logique, quand on y pense.

Je lance un regard par-dessus mon épaule. Le combat continue de faire rage, et nous, nous roucoulons dans notre coin.

-Ouais, bon, on en reparlera une autre fois. Si tu veux partir, je ne te retiens pas. Moi, en revanche, je ne fuirai pas.

Jonas a raison sur le fait que je mérite d'être heureuse avec Andréas. Mais je ne peux pas trouver le bonheur si tous mes camarades perdent la vie.

-Je t'aime, Andréas. je souffle contre ses lèvres. Mais je ne vais pas abandonner les miens dans un moment aussi critique, j'en suis incapable.

Je suis surprise de voir les joues du bêta s'empourprer. Je penche la tête sur le côté, curieuse de voir cette nouvelle face d'Andréas. C'est bien la première fois que je vois le loup gêné.

-Tu m'aimes ?

J'acquiesce.

-Tu ne me l'avais jamais dit.

J'hausse les épaules avec nonchalance avant de poser mon front contre le sien, profitant de sa présence avant qu'il ne se décide à partir. Andréas ferme les yeux et soupire.

-Tu as gagné, je viens avec toi. déclare t-il après dix longues secondes de silence. Tu ne vas clairement pas changer d'avis, et moi je ne veux surtout pas te perdre. Me joindre au combat me permettra de m'assurer qu'il ne t'arrive rien.

Je sourie alors que le loup grimace.

-Je ne me réjouis aucunement de te voir te mettre en danger.

-Tu seras là pour veiller à ce qu'il ne m'arrive rien. j'affirme avec assurance.

Andréas relève la tête en direction de la prairie que nous avons quitté. Il réfléchit un instant avant de soupirer d'un air las.

-Je ne vois qu'un moyen pour que le combat s'arrête sans trop d'effusion de sang.

Cette déclaration m'intrigue. Si le loup a trouvé un plan pour éviter aux miens de périr, je signe tout de suite.

-Quel moyen ?

-Seul Lorenzo s'oppose à la paix entre les deux meutes. Si quelqu'un de mieux intentionné vient à le détrôner de sa place d'Alpha, alors il pourrait mettre un terme à tout ça.

Je lève les yeux au ciel.

-Dommage que les volontaires ne courent pas les rues.

-Moi, je me porte volontaire.

J'ouvre la bouche, surprise. Je ne m'attendais pas à ce qu'Andréas se propose pour prendre la place de son cousin, lui qui a tant insisté pour ne pas devenir Alpha.

-Tu es sûr de toi ?

Andréas hoche la tête.

-Je ne fais que reprendre la place qui me revient.

La place qui lui revient ?

Mais Andréas ne s'explique pas plus. Il va y avoir beaucoup de sujets à éclairer quand cette guerre sera finie.


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