Chapitre 20
Après nous avoir passé les menottes aux poignets, les loups nous ont fait monter Daniel et moi dans une voiture, Jonas dans une autre. Je n'ai aperçu Céleste nul part, ce qui veut dire qu'elle a réussi et qu'elle s'est envolée vers Saorsa. Si ça se trouve, elle y est déjà.
Elle va les avertir. Ils vont pouvoir prendre la fuite et sauver leur vie.
Le véhicule n'ayant pas assez de place, on m'obligea à m'assoir sur les genoux du puma, au milieu sur la banquette arrière. Aucune ceinture de sécurité n'est donc attachée autour de nous pour nous éviter de traverser le pare-brise en cas d'accident.
Je sais que les chances sont infimes, mais qui sait, les loups ont peut-être eu leur permis dans une pochette surprise.
La voiture démarre, suivie très rapidement de tout un tas d'autres. Après avoir observer les panneaux de direction sur la route, j'en conclus qu'ils nous emmènent au territoire de Saorsa.
Ils vont nous exécuter une fois là-bas, lorsque nous serons sur le territoire de notre meute. Ils veulent nous tuer sous les yeux témoins de tous nos camarades restés sur nos terres. Ils veulent les faire souffrir, leur faire regretter l'idée soit-disant idiote que l'on a eu en fondant une meute sans hiérarchie. Je sais d'avance que Léo et tous mes autres camarades seront déchirés en voyant ce spectacle.
J'aurai préféré que Lorenzo me tue sur le bateau.
C'est sûrement ce qui ce serait produit, si Jonas et Daniel n'étaient pas intervenus. Mais ils sont venus à mon secours alors qu'ils auraient pu s'enfuir et sauver leur peau.
-Pourquoi vous n'êtes pas partis ? Vous auriez pu être libre à l'heure qu'il est. je chuchote à Daniel.
Je ne sais même pas pourquoi je parle à voix basse. La plupart des métamorphes, les loups y compris, ont une ouïe surhumaine et je ne doute pas un instant qu'ils entendent le moindre son que je peux émettre.
-On abandonne pas un des siens.
C'est pourtant ce que Jonas m'a reprochée de ne pas avoir fait. Je n'ai pas abandonné ma meute. Et l'alligator m'a traitée d'idiote parce que je n'ai pas saisi l'opportunité. En quoi est-ce différent maintenant ?
Parce que les garçons n'ont aucune chance. Même s'ils s'étaient échappés comme convenu, ils n'avaient nul part où aller excepté au territoire de la meute. Là où la guerre va avoir lieu. Qu'ils soient ici, ou déjà là-bas, le résultat sera sûrement le même.
Alors que moi, si j'acceptais la demande d'Andréas, j'aurai été amnistiée.
La voiture a roulé pendant une heure entière. Et, bien-sûr, j'ai eu la nausée.
Le monde n'a pas changé, je suis toujours cette chatte fragile et ridicule qui tombe malade en voiture. Mon visage a pâli et j'ai manqué de vomir sur les pieds de tous ces métamorphes. Deux fois.
Ce n'est qu'une fois arrivés à destination que je peux dégobiller tout mon repas dans l'herbe verte.
Vaut mieux dehors que dedans, comme on dit.
Les loups attendent que je finisse de rendre mon petit déjeuner avant de m'attraper pour me tirer sans douceur vers une prairie.
Cette prairie, je la reconnais. Nous sommes sur les terres de Saorsa.
Tous les loups de Lorenzo se réunissent. La plupart pousse des jappements. Certains sont même si impatients qu'ils ont pris leur forme animale.
De toute évidence, les loups se réjouissent du bain de sang qui va suivre.
On nous emmène devant l'attroupement de loups. Brutalement, les loups qui nous tiennent nous font nous agenouiller sur le sol. Mon genoux droit retombe sur la pointe d'un cailloux. Je grimace.
A ma droite, Daniel et Jonas me lancent des regards bienveillants bien qu'infiniment tristes.
Nous n'avons pas pu nous faire nos adieux, et nous n'allons pas le faire devant nos ennemis. Alors nous ne disons rien, et gardons la tête haute, fière de ce que nous sommes et de la meute à laquelle nous appartenons.
Lorenzo arrive et se poste devant nous. Il nous observe tour à tour, fier de sa prise. Puis, se retournant, il s'adresse à sa meute.
-Mes amis, c'est enfin le grand jour. Aujourd'hui, nous allons mettre fin à Saorsa et à son absurdité.
La plupart des loups crient pour lui montrer leur soutien.
-Ces métamorphes nous ont défié. Ils ont mis au point une meute sans hiérarchie, un " refuge " pour tous ces métamorphes qui ne supportent plus de souffrir des ordres de leur Alpha. Et qui est perdant dans tout ça ? Nous ! Nos membres quittent nos meutes pour les rejoindre, rendant notre clan plus faible, et à la merci de nos ennemis. Doit-on rester là à ne rien faire ?
-Non ! s'époumone le groupe de métamorphes derrière-nous.
Eh bah, il sait comment motiver ces troupes.
-C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, afin de les exterminer eux et leurs idéaux.
Lorenzo se tourne et nous désigne tous les trois, les prisonniers agenouillés sur la terre.
-Et on va commencer par eux.
Il reporte son attention sur la petite foule en délire, puis il lève son poing très haut et s'écrie :
-Tuons tous les prisonniers afin de donner une leçon à ces abrutis.
J'entends du remous pas loin. Bientôt, Andréas apparaît dans mon champ de vision. Il rejoint son Alpha, une expression sévère sur le visage.
-Lorenzo, on était d'accord...
-J'ai dit tous les prisonniers. répète son Alpha alors que trois loups approchent de nous, prêts à nous exécuter.
J'entends le bêta grogner, montrant son mécontentement. Sa réaction me laisse perplexe. Andréas m'a faite enfermer dans ce sous-sol. Il m'a faite attachée comme un animal. Et quand j'ai été attaquée par Lorenzo et que sa meute nous a encerclé, il n'a même pas bronché.
Et maintenant, il râle après cette mise à mort ?
Certes, il nous a permis de nous nourrir pendant ces deux jours d'emprisonnement. Il a même laissé soigneusement un peu d'herbe à chat. Mais je pensais que c'était simplement parce qu'il était galant. Son ignorance de tout à l'heure m'avait convaincue qu'il ne ressentait plus rien pour moi.
Et finalement, ce que je pense serait faux ?
Le loup derrière moi m'attrape par la tignasse, tirant avec force. Tout près, j'entends Andréas grogner.
-Lâche-la tout de suite si tu tiens à la vie.
Mais il n'est pas l'Alpha, ils n'ont pas à obéir à ses ordres. Et le loup continue de me torturer, faisant glisser ses griffes acérées le long de ma veine jugulaire.
-Arrêtez ! ordonne alors une voix grave et masculine au loin.
Je relève la tête. Les larmes me picotent les yeux lorsque je reconnais Léo, Céleste et mes autres camarades de meute.
C'est probablement la dernière fois que je les vois. C'est douloureux, sans doute plus que le coup mortel que mon bourreau va me porter. Ils vont nous exécuter sous les yeux de nos amis, de notre famille.
C'est dégueulasse.
-Libérez-les et partez. Cette bataille est inutile. Elle ne fera que causer des morts dans les deux camps. tente de les raisonner l'ours polaire.
Lorenzo fait claquer sa langue contre son palais, agacé.
-Vous et vos idées pacifistes. râle t-il.
-Relâche-les. répète Léo.
Le loup se retourne et nous observe tous les trois d'un air las. Il soupire bruyament.
-Le problème, vois-tu, c'est que j'en ai pas envie.
Derrière lui, certains de ses loups le soutiennent.
-Je me contrefous de ta philosophie à deux balles. Moi, ce que je sais, c'est que si l'on se bat, ce sont moi et mes loups qui en sortiront vainqueur.
-Tu peux toujours changer d'avis. Il n'y aura aucune répercussion si tu décides de faire machine arrière. N'as-tu donc pas peur de perdre l'un de tes proches ? S'il te plait, ne...
-T'es sourd, ma parole ! J'ai l'impression que tu ne piges aucun mot de ce que je te dis.
Il lève les yeux au ciel d'un air exagéré.
-Il va donc falloir passer aux actes.
Lorenzo fait mine de réfléchir, un doigt posé sur son menton. Puis il lance un regard malicieux à son cousin et s'adresse au loup derrière-moi.
-Tue la chatte en premier.
Mon visage blêmit alors que le loup commence à faire pression sur ma gorge.
A partir de là, tout s'enchaîne. Les métamorphes de Saorsa se transforme et s'élance à corps perdu vers la meute ennemi. Lorenzo lance le signal et les loups entrent dans le combat.
J'entends Jonas et Daniel se débattre près de moi, maintenus à terre. Mon cuir chevelu me brûle à force que le loup tire mes cheveux. Et ses griffes continuent d'appuyer sur ma peau.
Mon sang pulse dans mes tempes. J'ai soudain très chaud et la nausée me revient. Je peine à respirer, de peur que les griffes me percent par accident.
La belle prairie s'étend de devant moi, si verdoyante. Je me surprends à me rappeler tous les moments que j'y ai passé, les bons comme les mauvais.
C'est donc cela le film de notre vie que l'on revoit à l'article de notre mort ?
Je me revois, adolescente, cherchant à faire le mur, très vite rattrapée par Jonas et Léo qui me ramenaient de force à la maison. Je revois les fêtes que nous célébrions dans ce champ, les barbecues party et les danses autour du feu.
Je me remémore toutes les fois où mes camarades ont dû venir à mon secours lorsque je grimpais trop haut dans les arbres. Ou encore la fois où ils m'ont sauvée d'une colonie de souris en colère.
Je voulais juste jouer avec le souriceau, pas le manger.
Je ferme les yeux, ne supportant plus de voir cette étendue d'herbe, ce lieu plein de merveilleux souvenirs.
C'est ici que ma vie s'achève. Et honnêtement, vingt-quatre ans, c'est pas si mal quand on sait le nombre de fois où j'ai frôlé la mort. Je pars sans regret - ou du moins presque pas - et je prie les dieux de m'envoyer dans un monde meilleur.
Eh, mais attendez. Est-ce qu'ils ont des griffoirs au paradis ?
Tant pis, je ferai mes griffes sur leur canapé.
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