Chapitre 2
L'embarcation sur le bateau de croisière se fait en Italie. Étant des citoyens français, nous avons tous dû prendre l'avion avant de terminer le trajet avec une voiture de location pour arriver au port. Un trajet qui me paraît bien interminable. J'ai des fourmillements dans les jambes, une envie pressante, et les secousses me donnent la nausée. Je suis prête à rejeter mon déjeuner sur les genoux de Daniel, qui est un super camarade avec qui je m'entends bien, et qui est à moitié puma.
Pas sûre qu'il apprécierait ça.
Heureusement, nous sommes arrivés. Je m'empresse de sortir du véhicule si tôt le moteur coupé. L'air frais qui balaie mon visage pâle et suintant me fait un bien fou. Tout comme le son des vagues qui s'échouent et les cries des goélands m'apaisent. Mais la nausée persiste. Habituée, je sais qu'il va me falloir quelques minutes avant de m'en remettre.
Je vois le bateau d'ici. Immense n'est pas un mot assez grand pour désigner ce bâtiment. De nombreuses personnes font la queue, prêts à embarquer. Avant que je ne puisse faire quoique ce soit, Céleste m'attrape par le bras et m'entraîne vers la file d'attente pendant que les garçons s'occupent des bagages. L'attente n'est pas très longue, le personnel est efficace. Un quart d'heure plus tard, nous sommes bientôt sur le point d'embarquer.
-Tu es toute pâle. constate Daniel, un peu soucieux.
J'ai l'impression d'être un zombie.
Mal en point, je bouge au ralenti. Mes jambes tremblent légèrement. Mon front est couvert d'une fine couche de transpiration qui est aussitôt rafraichie par la brise maritime. L'odeur de la mer n'aide pas. J'aime le poisson, mais l'odeur vaseuse de cette vaste étendue d'eau n'est pas du tout appétissante. Et l'air salé me pique les yeux.
Je dois faire peine à voir.
-Je ne me sens pas très bien.
-J'espère qu'elle n'a pas non plus le mal de mer. marmonne Jonas.
Il a bien de la chance, lui. Étant à moitié alligator, il ne risque pas d'être malade une fois sur le navire. Alors que moi, je risque de dégobiller sur tous les passagers.
-Léo n'a pas choisi la bonne personne pour nous accompagner. Si Hasna reste malade toute la semaine, elle ne nous sera d'aucune utilité. soupire Céleste, déçue.
-Eh, vous pouvez arrêter de vous plaindre deux secondes de moi comme si j'étais handicapante ? Je suis malade en voiture, ok, mais ce n'est pas pour autant que j'aurais le mal de mer. Je supporte déjà très bien l'avion !
Ils haussent les épaules, peu convaincus. Et je commence à douter aussi. Quand je vois ce bateau, secoué par les vagues, qui tangue, et tangue, tangue encore...
Je me retiens in-extremis de vomir au pied de mes camarades.
Je refuse de recracher mes œufs brouillés, c'est bien trop bon pour être gâché comme ça.
-Je finirais par m'y habituer.
Pas très loin, à quelques mètres de là, je remarque une silhouette sur le bateau. La silhouette d'un homme.
Non, pas un homme.
Malgré la forte odeur dégagée par la mer, j'arrive à sentir son parfum. Mon nez est formel, c'est un métamorphe. Cependant, je n'arrive pas à deviner à quelle race il appartient.
Ce bateau offre une croisière exclusivement aux métamorphes. Un voyage de luxe durant lequel les membres les plus riches de notre peuple peuvent prendre du bon temps et du plaisir. Ce n'est donc pas étonnant d'y croiser des métamorphes de toutes sortes : félins, ursidés, canins... Ce n'est peut-être même pas un mammifère. Trop de possibilité pour que je puisse déterminer la nature de ce métamorphe.
Son regard se tourne vers moi, et je me sens frissonner - et pas seulement à cause de mes nausées. Beau n'est assurément pas un mot assez fort pour décrire la gueule d'ange de ce type. Ses cheveux sombres et mi-long sont balayés par le vent de la même façon qu'un mannequin dans une publicité de parfum. Ses yeux métalliques me rendent mon regard, comme obnubilé. Je jurerai pouvoir voir son nez droit se mettre à me renifler à son tour.
Je me sens incapable de me détourner, et j'ai l'impression que lui non plus. C'est un moment magique que je n'ai jamais vécu jusqu'ici. Jusqu'à ce que la magie prenne fin au moment où la nausée me reprend et que je finisse par vomir sur le quai, sous les yeux de mes camarades moqueurs et de cet homme magnifique.
-Allez, Hasna, c'est notre tour. vient me réconforter Daniel tandis que mon estomac est secoué par de derniers soubresauts.
Il me tend une bouteille d'eau entamée que j'accepte avec joie. Je dévisse le bouchon avec difficulté, les muscles ramollis, puis me rince la bouche. Lorsque je relève la tête, me sentant beaucoup mieux, l'homme a disparu.
J'ai peut-être fantasmé.
Voyons, Hasna, tu l'as bien regardé ? Ce physique de dieu grecque, ces yeux hypnotisants, ces lèvres envoutantes...
Évidemment que tu as fantasmé ! Personne ne peut être aussi beau - sauf les stars américaines bien-sûr.
Je rejoins mes camarades, oubliant l'apparition du métamorphe de tout à l'heure, le jugeant peu important.
Si j'avais su...
Une demi-heure plus tard, le bateau quitte le port. Heureusement pour moi, et pour tout le monde ici, la mer ne semble pas affecter mon estomac. Je peux déambuler comme je le souhaite sans craindre de gerber mon homard sur les pieds d'un métamorphe. Oui-oui, j'ai bien dit H-O-M-A-R-D. Nous ne roulons pas sur l'or, mais nous avons trouvé une tactique pour entrer sur le navire sans carton d'invitation.
Nous nous sommes infiltrés sur le navire en nous faisant passer pour des employés supplémentaires. Par chance, il leur manquait du personnel, et ils nous ont acceptés. Nous devrons donc travailler dans les tâches que l'on nous a attribué. Et, bien-sûr, nous ne devrons pas oublier de tuer l'Alpha - dont nous ne connaissons même pas l'apparence. Même si cette mission parait ingrate, il y a quand même des bons côtés, et ces bons côtés sont les repas offerts au personnel.
Bon, ce seront les restes du buffet servi aux clients, mais il restera bien un homard ou deux pour moi à la fin du dîner.
A présent, Daniel et moi cherchons la cabine qui nous servira de chambre pour la semaine. Nous aurions pu se séparer de façon à mettre les filles avec les filles, et les garçons avec les garçons. Mais j'aime bien trop importuner Daniel pour laisser cette opportunité s'envoler.
Et puis, Céleste a tendance à riposter.
Je suis encore un peu affaiblie par le trajet en voiture mais je me sens beaucoup mieux maintenant que mon estomac est vide. Enfin, je n'ai plus la nausée. Par contre, je suis affamée.
Nous finissons par trouver notre chambre et y entrons. Je pose ma valise dans un coin de la petite cabine, imitée par Daniel, et analyse ce qui sera ma piaule pendant une semaine. Il n'y aucun hublot, seul une minuscule ampoule illumine la cabine meublée uniquement de deux lits.
Enfin, quand je dis lits, je parle en fait de couchettes sobres, le stricte minimum pour les pauvres gens qui sont venus servir ces bourgeois.
C'est une croisière de luxe que nous avons là, mais l'architecte et la décoratrice d'intérieur n'ont pas l'air d'avoir pris la peine de se préoccuper du confort des employés. Dormir là-dessus pendant une semaine, ça va être une épreuve pour moi qui suis une adepte du confort.
J'observe Daniel s'affaler sur sa couchette, les bras croisés derrière sa tête.
Je pourrais toujours m'allonger sur son ventre sous ma forme de chat, ou encore sur la pile de vêtements que contient sa valise, et l'entendre ensuite râler à propos de tous les poils que j'aurais laissé sur ses fringues.
-Tu fais flipper sérieux. Arrête de me regarder comme ça. se plaint-il alors que je le fixe de mon regard machiavélique.
Je ricane pendant qu'il s'assoit, mal à l'aise.
-C'est vraiment petit ici. Mon animal a l'impression d'étouffer. Pas toi ?
Je hausse les épaules après m'être assis sur ma propre couchette.
Mince, c'est vraiment trop dur pour mes fesses.
-Je ne suis qu'un minuscule chat de salon.
Il soupire.
-Vivement que la mission soit terminée et que nous puissions rentrer.
-Pour ça, il faut d'abord savoir à quoi ressemble cet Alpha. je lui fais remarquer.
Nous n'avons qu'un nom et une race : Lorenzo, Alpha d'une meute uniquement constituée de loups. Je ne suis pas sûre qu'on aille très loin avec ça.
-C'est vrai. Ça ne devrait pas être compliqué, il n'y a qu'une seule meute de loups à bord, il suffit d'écouter leurs conversations pour identifier qui est qui.
-Et ensuite il faudra l'éliminer.
Si jamais on trouve un moyen de le faire.
Ça ne va pas être de la tarte.
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