Chapitre 19
Lorsque l'attroupement de femmes est revenu nous apporter notre deuxième repas, nous avons fait semblant d'être toujours attachés. Les louves n'y ont vu que du feu. Elles ont déposé les plateaux repas, reprit avec elles ceux que nous avons vidés précédemment, et sont reparties sans un mot, ni même un regard.
Nous avons continué ainsi chaque fois qu'elles sont revenues. Nous avons mangé les repas qu'elles nous apportaient, puis nous avons dormi les uns contre les autres pour nous tenir chaud durant la nuit. Nous avons tué le temps en nous racontant des histoires, des blagues, des anecdotes, jouant à des jeux saugrenus.
Jusqu'à ce que le septième jour arrive.
Les louves sont de nouveau venues nous apporter le petit déjeuner. Alors que l'une d'elle dépose son plateau devant moi, j'essaie de capter son attention.
-Eh, est-ce que vous savez quand est-ce qu'on va accoster ?
Mais même si j'ai demandé gentiment, la louve a pris peur et a aussitôt fait demi-tour.
Nous avons donc dû mettre notre impatience de côté et attendre. Le temps paraît beaucoup plus long lorsqu'on est enfermé sans avoir un seul repère temporel. Je me suis mise à compter les secondes, mais au bout de soixante-seize milles quatre cents dix, je m'en suis lassée.
Jusqu'à l'instant où tout devient plus silencieux.
-Je crois qu'ils ont coupé les moteurs. constate Daniel à voix basse.
Autrement dit, ils ne vont pas tarder à venir nous chercher.
On n'a pas eu à attendre longtemps avant que les loups ne viennent.
La porte s'ouvre mais aucune louve ne se trouvent derrière. Pas de plateaux fumants à l'odeur alléchante. Juste quatre gros malabars qui nous observent avec dégoûts.
-Vous deux, prenez le blond. Toi, aide-moi avec le plus grand. ordonne l'un des loups.
Aussitôt dit, les hommes entrent dans la pièce. Deux d'entre eux agrippent Daniel, puis les deux autres s'occupent de Jonas. Aucun ne vient me forcer à me lever. Les loups tirent mes camarades sans aucune douceur vers la porte de sortie.
-Suis-nous. grogne l'un d'eux à mon attention.
Faisant attention à garder les mains dans le dos, je me lève et les suis sans broncher. Nous avançons de plusieurs mètres dans le grand corridor. Les loups baissent leur garde, sûr que nous ne pouvons rien contre eux.
Ils ont tort.
Derrière eux, à l'abri de leur regard, je me transforme et saute sur le dos du premier venu. Tel un chat enragé, je griffe et mord tout ce que je trouve, mettant ses habits en lambeaux jusqu'à trouver sa peau.
Comprenant le signal, Daniel et Jonas se joignent à moi. Jonas donne un coup de coude dans le nez d'un des loups, qui se brise sous l'impact. Puis il se retourne à la vitesse de l'éclair et, avec ses griffes, tranche le ventre du deuxième homme qui le tient.
Daniel, n'ayant plus qu'un loup qui le maintient, le retourne et lui passe la corde qui maintenait ses mains autour de son cou. Il tire fort en arrière, comprimant la trachée de son ennemi jusqu'à que l'air ne puisse plus passer. Asphyxié, le loup tourne de l'œil et s'évanouit.
Une fois l'homme à terre, Daniel aide Jonas à assommer les deux autres. Ils les envoient tous au tapis avant de venir m'aider avec celui que je tente sans succès de découper en lambeaux.
Si seulement j'avais de plus grandes griffes...
Une fois les quatre hommes au sol, je reprends forme humaine.
-Bien joué les gars, c'est du beau boulot. je les félicite.
-Filons d'ici maintenant.
Abandonnant les loups derrière nous, nous courrons à vive allure jusqu'à l'étage supérieur.
Des dizaines et des dizaines de métamorphes circulent dans les couloirs, leurs bagages en mains, prêt à repartir. Leurs vacances sont finies, et il est temps pour eux de regagner leur foyer.
Et c'est bien ce que nous comptons faire aussi.
Profitant de l'occasion, nous nous fondons dans la masse. Jonas rabat sa capuche sur sa tête. Daniel dérobe une casquette à un homme qui passe près de lui. Et moi je mise sur ma petite taille pour ne pas me faire repérer.
J'aimerai me transformer pour passer encore plus inaperçue, mais si un loup discerne un chat parmi la foule, il va tout de suite faire le rapprochement.
Dix longues minutes plus tard, nous arrivons sur le pont supérieur, prêts à descendre du navire. Je suis surexcitée à l'idée de retrouver la terre ferme. Je n'ai peut-être pas le mal de mer, mais rester enfermée dans ce bateau a réussi à me filer la nausée.
Plus jamais je ne retenterai l'expérience.
Continuant d'avancer la tête basse, nous nous précipitons vers le quai.
-On y est presque. chuchote Daniel, fébrile.
Alors que nous approchons, j'aperçois un petit point rouge sur le sol, à quelques mètres devant moi. Mon chat le remarque aussitôt lui aussi. Nous fixons le point rouge intensément, aux aguets du moindre mouvement. Je n'avance même plus et les gens finissent par me bousculer sans que je n'y prête attention.
Qu'il est beau ce point. Si petit, si brillant...
Tout à coup, le point se met à bouger. Aussitôt, je prends ma forme de chat et m'élance à sa poursuite.
-Hasna ! s'écrie Daniel derrière moi.
Mais je n'y fais pas attention. Tout ce qui compte pour l'instant, c'est d'attraper ce petit point rouge. Et de le manger.
Est-ce que ça a bon goût les points rouges ?
Je le saurai très bientôt.
Je cours à toute vitesse, déterminée à l'attraper. Mais le point zigzague dans tous les sens.
A gauche, a droite, en haut, en bas, c'est à vous en donner le tournis.
Le point rouge finit par ralentir, sûrement fatigué de cette course poursuite. Alors j'en profite pour me jeter sur lui, tel le prédateur que je suis. Mais alors que je soulève la patte, la truffe contre le sol, pour apercevoir le petit point brillant, il n'y est plus.
Oh non, il a encore disparu !
Sans crier gare, une main m'attrape violemment par l'encolure et me soulève du sol. Je feule bruyamment, le corps raide, essayant de me débattre.
-On tente d'aller quelque part ?
Je reconnais cette voix.
Mon assaillant me retourne jusqu'à ce que je lui fasse face. Lorenzo me dévisage froidement, les yeux brillants. Il me sourit sans joie, découvrant ses crocs pointus.
-Je ne pensais pas que tu te ferais avoir par un truc aussi con qu'un laser.
D'un coup de patte, je le griffe à l'œil. Mais Lorenzo se contente simplement de m'écarte de lui, son autre main sur son œil blessé.
-Je vais te crever, sale vermine ! éructe t-il, désormais enragé.
Je sens ses griffes s'allonger et transpercer mon pelage. Je hurle à pleins poumons, me débattant comme un diable dans sa poigne. Mais impossible de me dégager. Le sang commence à couler le long de ma fourrure, sans que je puisse l'arrêter. Lorenzo me fixe attentivement, attendant impatiemment l'instant où l'étincelle de vie s'éteindra dans mon regard.
Mais alors que je pensais que tout espoir était perdu, Jonas surgit derrière lui et passe son bras autour du cou de l'Alpha. Lorenzo me relâche aussitôt. Je me prépare mentalement au choc qui va suivre, trop faible pour retomber sur mes pattes. Mais je ne rencontre jamais le sol.
Daniel me rattrape au vol, me recueillant avec douceur pour ne pas me faire mal.
-Je te tiens, c'est terminé. me rassure t-il en me tenant contre lui.
Je me laisse aller, donnant des coups de têtes affectifs contre son torse.
Ainsi portée dans les bras de mon frère de meute, je me mets à prier pour que cette histoire prenne fin. Je souhaite de tout cœur que Jonas vaincra Lorenzo, et que personne ne se mettra en travers de notre route quand nous voudrons repartir.
Mais je n'ai jamais de chance dans la vie.
En quelques secondes, nous sommes encerclés par la meute de loups. Lorenzo se dégage de la prise de Jonas et lui décoche un puissant crochet du droit qui l'assomme à moitié.
-Occupez vous d'eux. ordonne t-il à ses loups.
Plusieurs loups s'avancent, prêts à nous rattacher, avec des liens plus solides cette fois. Alors que des hommes viennent s'occuper de moi et de Daniel, j'aperçois Andréas au loin. Il observe la scène, à l'écart du groupe.
A cet instant, j'aimerai m'excuser. Lui dire que je suis désolée, qu'il compte beaucoup pour moi, et que si les circonstances étaient différentes, je l'accepterai volontiers comme compagnon. Je veux lui dire à quel point je regrette.
Mais il détourne le regard et s'en va.
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