Chapitre 18
Peu de temps après mon altercation avec Andréas, une louve m'escorte jusqu'au sous-sol, là où se trouvent Jonas et Daniel. Les garçons paraissent surpris de me voir ici, les mains liés, tout comme eux. La louve me fait asseoir le plus loin d'eux, puis nous laisse seuls, verrouillant la porte derrière elle.
-Ton preux chevalier en a eu marre de toi ? se moque alors Daniel, brisant aussitôt le silence.
Jonas lui grogne après, lui intimant de se taire. Je ne suis pas d'humeur à rire, et l'alligator l'a bien compris.
-Explique-nous ce qu'il s'est passé.
Ce qu'il s'est passé ? J'ai rejeté ma seule chance de survivre. J'ai préféré mon honneur plutôt que ma vie. Et j'ai brisé le cœur d'un homme charmant.
-Je l'ai repoussé. Saorsa est ma seule priorité.
Je ramène mes jambes contre moi jusqu'à pouvoir poser mon front sur mes genoux. Il ne fait pas très chaud ici, et le bruit de l'eau qui circule dans la tuyauterie me donne envie de faire pipi.
-Tu n'es qu'une idiote ! s'exclame Jonas brusquement.
Je relève la tête vers l'alligator, surprise d'une telle accusation.
-Je te demande pardon ?
-Tu m'as très bien entendue.
Ce n'est, de toute évidence, pas la réaction à laquelle je m'attendais.
-Nous sommes tous condamnés à mourir à notre retour en France. Mais toi, tu aurais pu sauver ta peau !
Je sers les poings dans mon dos, un feulement coincé dans la gorge.
-Et vous abandonner à votre sort ? Je ne suis pas une lâche, et vous êtes ma famille.
-Oui, on est ta famille. Tu es comme notre petite sœur à tous.
Daniel rit.
-Il a raison. Tu nous casses les pieds sans arrêt, comme la plus chiante des sœurs. se moque le puma.
Jonas n'apprécie pas que le félin l'ait interrompu. Il lui jette un regard noir, avant de poursuivre.
-On t'aime tous. conclut Jonas. On n'aurait pas bronché si tu étais partie avec ce loup.
-Vous ne m'en auriez pas voulu ? Il est du camp ennemi, ce serait un acte de trahison si je le suivais. je rétorque, médusée.
Il hausse les épaules nonchalamment.
-Mais tu aurais survécu. Peut-être même que tu aurais pu avoir une véritable chance d'être heureuse avec lui. Les loups vont tous nous tuer. On s'est fait une raison. Et ça nous aurait tous beaucoup consolés de savoir, au moment de mourir, qu'il y en a une de nous qui allait survivre.
Je crois que je commence à comprendre mon erreur.
-Aucun de nous ne préférerait que tu te sacrifies avec nous, en croyant faire ton devoir.
-Mouais enfin, je voudrais pas non plus qu'elle finisse avec ce crétin de loup à la noix. marmonne Daniel dans son coin.
Il ne faut pas être idiot pour comprendre que l'animosité d'Andréas envers Daniel est réciproque. Je pense qu'il est encore fâché de ne pas avoir pu terminer le duel contre le loup. Il aurait voulu mettre sa raclée au bêta - si jamais il est assez fort pour ce faire.
-Tu n'as pas ton mot à dire de toute façon. le nargue l'alligator.
-On a dit qu'on formait une famille, non ? C'est ma p'tite sœur, j'ai un droit de véto sur les mecs avec qui elle sort.
S'en suit une joute verbale entre les deux mâles à propos de mon avenir - un avenir très court vu les circonstances. Levant les yeux au ciel, je décide de les arrêter.
-Eh, les mecs, je vous rappelle que c'est de moi que vous parlez, et que je suis parfaitement capable de prendre mes propres décisions.
-C'est sûr que ça t'a réussi. Tu vas te faire buter avec nous, comme une moins que rien. répond Daniel.
-Eh ! Je croyais que t'étais dans mon camp !
-J'ai changé d'avis.
Il me tire la langue et je lui rends son geste. Et alors que nous sommes tous les trois condamnés à la mort, nous nous surprenons à rire comme des enfants, insouciants de notre funeste avenir.
Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé avant que la porte ne s'ouvre. Avec les garçons, nous jouons aux devinettes lorsque plusieurs femmes sont entrées dans la pièce. Elles tiennent des plateaux dans leurs mains d'où se dégagent un délicieux fumet.
-C'est pour quoi faire ? Vous allez les déposer hors de notre portée et vous esclaffez lorsqu'on essaiera de ramper pour les atteindre ? demande Daniel avec froideur.
Mais les femmes ne lui prêtent même pas attention. Elles se contentent de déposer un plateau en face de chacun d'entre nous, évitant soigneusement nos regards.
Des soumises.
Je n'ai pas l'habitude d'en voir, car nous n'en avons pas à Saorsa. Dans notre meute, tous les métamorphes sont égaux, il n'y en a pas de plus autoritaire qu'un autre. Mais dans les meutes habituelles, les métamorphes sont divisés en deux parties : les dominants et les dominés. Les soumis obéissent aux ordres aveuglément, de peur de subir des répercussions. Il paraît que leurs supérieurs les battent lorsqu'ils désobéissent.
Mais bon, je n'ai jamais fait partie d'une autre meute que Saorsa, alors je ne suis sûre de rien.
-C'est quoi, le dernier repas des condamnés ? Je ne savais pas que votre Alpha pouvait être généreux. ironise le puma.
Alors que la louve dépose le plateau devant moi, j'aperçois un petit paquet d'herbe à chat soigneusement déposé à côté de la grande assiette.
-Je ne pense pas que ce soit Lorenzo qui l'ai ordonné. N'est-ce pas ?
Mais la femme s'escrime à m'ignorer. Avec ses camarades, elles font demi-tour et sortent en refermant soigneusement derrière elles.
-Vous croyez qu'on peut manger sans risque ? se demande Daniel en louchant sur les assiettes fumantes.
Jonas et lui sont enfermés ici depuis plus longtemps que moi et doivent certainement être affamés à l'heure qu'il est.
-Il n'y a pas de poison. j'affirme avec certitude.
-Comment tu peux le savoir ? Tu as un odorat encore pire que le nôtre.
J'observe l'herbe sur le plateau.
-Lorenzo n'aurait pas demandé à ce qu'on laisse de l'herbe à chat. C'est Andréas qui a donné l'ordre à ces femmes de nous nourrir. Et il a laissé l'herbe au cas où j'aurais du mal à digérer le repas.
Même quand il est faché après moi, il reste attentionné.
-Quelle galanterie ! De l'herbe à chats ! Il aurait tout aussi bien pu nous libérer, mais noooon. Tout ce à quoi on a droit, c'est un repas pour réchauffer notre corps avant qu'il ne se fasse définitivement refroidir. se lamente Daniel.
-Si tu n'en veux pas, on peut toujours leur demander de tout reprendre.
Daniel secoue la tête vigoureusement. Jonas observe la nourriture et soupire.
-Elles auraient tout de même pu nous détacher. Comment veulent-elles qu'on mange avec les mains attachées dans le dos ?
Daniel s'allonge sur le dos. Il replie ses jambes contre lui et tente de faire passer ses mains liées par-dessus. Au bout de quelques secondes d'intenses efforts, il réussit à ramener ses mains devant lui.
-Daniel : 1, les loups moches et puants : 0
Nullement impressionnée par ses prouesses, j'entame ma transformation. Une fois sous forme de chat, je me dégage de la corde qui ne me serre plus et avance vers l'assiette chaude.
-Tu es restée attachée avec nous pendant tout ce temps alors que tu pouvais faire ça depuis le départ !?
-Je trouvais ça drôle de faire semblant d'être prisonnière. je leur réponds après avoir repris forme humaine.
Je m'approche des garçons et retire leurs liens. Aussitôt, Daniel se jette sur la nourriture, affamé.
-Ch'est très égoïchte. On aurait pu chortir d'ichi depuis des heures ! A la plache, on croupit encore dans chette pièche comme de vieux rats. se plaint le puma en mastiquant un morceau de viande juteuse.
Je pose mes mains sur mes hanches.
-Je peux peut-être défaire des cordes, mais je ne peux pas défoncer des portes. je me justifie.
-Non, mais on aurait pu attaquer ces louves par surprise et nous enfuir.
Je hausse les épaules.
-Je ne pensais pas qu'ils rouvriraient la porte avant samedi. Et puis, même si nous réussissons à sortir, où est-ce qu'on va aller ensuite ? On est sur un bateau je vous rappelle. Peu importe où l'on se cache, ils nous retrouveront.
Daniel ne dit plus un mot. Je lui ai cloué le bec. Le puma continue de manger son repas tranquillement, la tête baissée, boudeur.
-On ne peut peut-être pas s'enfuir maintenant, mais plus tard... marmonne Jonas dans son coin, n'ayant toujours pas touché à son repas.
Je croise les bras contre mon torse et le fixe impatiemment.
-Ok, j'ai un plan.
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