Chapitre 6
Je fixai le stylo de Yuna Kim tapoter le papier de son carnet. Ma psychologue ne notait plus rien depuis plus de trois semaines. Je savais que je devais parler, peu importe ce que j'avais à dire. Au prix où je la payais, je lui devais bien ça. Pourtant, rien ne pouvait sortir de ma bouche.
- Alec, vous n'avez plus rien dit depuis des semaines, constata la jeune femme d'une voix douce, sans jugement.
Oh ça oui, elle pouvait bien ne pas juger, vu le chèque qu'elle encaissait toutes les semaines. Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même.
- Vous savez, si l'histoire ne revient pas dans l'ordre, ajouta Yuna Kim, ça n'est pas grave. Vous me racontez votre histoire comme bon vous semble. Il faut vous l'approprier. Le but n'est pas de m'allécher ou de me tenir en haleine, mais de réfléchir sur ce que vous me racontez, sur ce que vous avez vécu.
- C'est pas la question, rétorquai-je sans la regarder. Je sais exactement où on en est dans l'histoire... seulement même maintenant, j'ai encore du mal à bien comprendre ce qui a pu se passer dans la tête de Camille à ce moment-là.
- Là encore, Alec, vous n'êtes pas ici pour me raconter les pensées de votre ami, mais ce que vous pensez qu'il a pu avoir en tête. C'est votre interprétation qui importe ici. Pas la sienne.
Encore une fois, il fallait qu'elle ait le dernier mot, même là-dessus. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle je continuais d'aller la voir chaque semaine. Ça, et parce que si je manquais une séance, j'allais me prendre des coups de pieds au cul en rentrant. Après ce que j'avais fait, je l'avais bien mérité.
- Qu'est-ce qui s'est passé ensuite, Alec ? demanda Yuna Kim d'une voix douce, un léger sourire aux lèvres.
Je la voyais prête à noter. Mes doigts se mirent à trembler à cause du manque de nicotine que je ressentais quand j'étais stressé. Elle avait réussi à enclancher la machine. J'allais parler.
Plusieurs semaines passèrent sans qu'il ne se passe rien dans ma vie. Ma routine consistait à me lever en traînant et à enjamber Camille qui dormait du bon côté du lit (c'est-à-dire pas celui où on embrasse le mur dès qu'on se retourne). Après ça, selon le nombre d'heures de sommeil que j'avais réussi à accumuler dans la nuit, je prenais un café bien serré, ou alors je m'allongeais dans le canapé, et je ronflais en coeur avec mes deux molosses. Depuis l'épisode de la viande empoisonnée, les deux chiens se montraient particulièrement enthousiastes à l'idée que je sois près d'eux. Non pas qu'ils l'étaient moins avant, mais différemment. J'aurais évité de venir dormir près d'eux lorsqu'eux étaient déjà chez Morphée. Maintenant, c'était comme s'ils m'invitaient à venir. J'avais parfois même cette sensation étrange qu'ils étaient bien plus sereins lorsque j'étais assis dans le canapé avec eux. Lorsqu'ils (ou nous, tout dépendait de Camille, en fait) se réveillaient ensuite, je partais les promener en jogging et en claquettes. J'en profitais pour fumer en ruminant le fait que Schtroumpf dormeur ronflait encore paisiblement dans mon lit.
Dans ces moments-là, lorsque j'avais mal dormi la veille, il m'arrivait parfois de me dire que je devrais lui casser les pieds comme il le faisait pour moi la nuit. Puis je me souvenais que les moments où Camille était le plus facile à vivre, et surtout le moins rebelle, c'était quand il avait bien dormi. Et ça me permettait de passer quelques heures en solo. Ça permettait aussi à Batman et à Robin d'être plus calmes. Même s'ils acceptaient un peu plus la présence de mon captif chez moi, ils n'en demeuraient pas moins méfiants.
Ce matin-là, en remontant les chiens de la promenade, j'étais tombé nez à nez avec ma voisine du dessous, Mamie Meï. C'était une gentille mamie, veuve depuis quelques mois, qui avait voué sa vie à me faire manger de la confiture maison. Il me semblait qu'elle recevait peu de visite. Je n'avais jamais osé poser la question, mais j'avais l'impression qu'elle avait peu, voire aucune famille. C'était un peu triste, car elle semblait vraiment douce et compréhensive. Même si elle craignait mes deux chiens, elle passait quand même régulièrement me demander si je n'avais pas besoin qu'on me descendre ma poubelle, si j'avais besoin d'une course. Par moments, je pensais même qu'elle allait me tirer les joues comme si j'étais son propre petit-fils, et ça me fendait un peu le coeur. Mais non. Je restais Monsieur Alec, et elle restait la mamie un peu pot de colle qui me regardait sortir mes chiens en claquette, depuis sa fenêtre.
- J'ai l'impression que vous me parlez pour ne rien dire, coupa soudain Yuna Kim. Comme si vous tourniez autour du pot, Alec.
Ma première réaction fut de me renfrogner. D'instinct, je repliai un genou contre ma poitrine, écrasant le cuir du fauteuil. D'un coup, je haïssais ce foutu sosie de Dumbledore, je haïssais cette lumière tamisée qui m'avait délié la langue. Je détestais ce bordel trop rassurant, cette ambiance qui poussait à la confession. La psychologue m'avait braqué sans que je puisse comprendre pourquoi. J'avais envie de me lever, de lui claquer son chèque entre les pages cornées de son bouquin, et de quitter la pièce. Le manque de nicotine faisait bouillir mon sang, j'avais la sensation de ne pas avoir assez de toute ma peau à ronger pour faire passer le stress.
- Je suis désolée si ça vous a braqué, Alec, murmura la psychologue. Mais depuis quelques temps, vous avez réussi à vous confier à moi, je n'ai pas pu m'empêcher de vouloir vous faire dire ce que vous me cachez.
Je restai silencieux. Mon genou reprit sa place à côté de son voisin.
- J'ai remarqué dès la première fois votre franc parler, ajouta-t-elle. Vous n'êtes pas du genre à passer par quatre chemins, alors il y a deux possibilités par rapport au fait que vous voulez taire la suite de l'histoire : soit elle est totalement illégale et vous avez peur que je vous dénonce, soit elle vous fait trop réfléchir et vous ne savez pas quels mots mettre sur tout ça.
Encore une fois, mon pouce restait dans ma bouche comme si j'étais un nourrisson. Quoique un nourrisson ne s'obstinerait pas à vouloir arracher le contour de son ongle, quasi inexistant.
- J'ai juste ? demanda-t-elle d'une voix douce.
- Oui, vous avez juste.
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Coucou tout le monde !
J'espère que vous avez passé une bonne semaine et que celle qui démarre s'annonce tout aussi bien :)
Merci encore pour les votes et les lectures, j'espère que vous appréciez lire cette histoire autant que j'aime l'écrire !
N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez en commentaire !
Des bisous,
Alice
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