Chapitre 3
Quand j'étais remonté de la ballade avec les chiens, je trouvai un appartement vide. Pas un bruit n'émanait, même de la chambre. Pendant une seconde, je me demandai si la gueule cassée qui squattait mon lit n'en avait pas profité pour essayer de se volatiliser. Mais, à en juger par Batman et Robin qui se mirent à sniffer frénétiquement le plancher, à leur état d'alerte maximal, mon prisonnier ne pouvait qu'être ici.
Je décidai donc, dans un élan de bonté, de lui préparer un café et de glisser une paille en métal dans la tasse. Quel hôte sympathique je faisais. J'aurais dû sentir que quelque chose en moi clochait, car jamais je n'aurais fait la même chose si un Jake mourant débarquait chez moi. Ou quelqu'un d'autre. Mon monde n'était composé que de mes chiens, mon appartement miteux, et moi. Et personne d'autre. Alors qu'est-ce qui clochait chez moi ? Pourquoi je me sentais pousser un cœur, tout à coup ? C'était la question que j'aurais dû me poser, à ce moment-là. Je n'en fis rien. Se voiler la face était l'option que je choisissais à chaque fois, car elle était facile et sans conséquence immédiate.
J'allai donc jusqu'à la chambre et trouvai la bête de foire qui me servait d'invité allongé sur le côté. J'eus du mal à savoir si son regard s'était tourné vers moi ou non, tant son visage était esquinté. Je lui fis signe de se redresser. Je n'allais pas non plus tout lui faire. Après tout, il n'y avait que son visage qui était abîmé. Le reste devait certainement fonctionner parfaitement.
- Je t'ai fait un café. T'as rien avalé depuis hier soir, et ça m'étonnerait que Jacob ait pris la peine de te filer un casse-dalle en venant ici.
Il ne répondit pas, mais je vis ses deux mains se lever pour récupérer le mug chaud. Il avait des mains que certains qualifieraient de peu masculines : petites, les doigts courts et un peu boudinés, manucurés même. Tout l'inverse des miennes, mal entretenues, dont le contour des ongles étaient rognés et sanglants par endroits. Probablement que ce mec avait un boulot qui lui permettait de pouvoir s'entretenir comme ça. Ça n'était pas en portant des caisses de bouteilles et en ayant les mains mouillées la moitié du temps que je pourrais en prendre soin comme ça. Et puis, je ne me laissais jamais pousser les ongles. Dans le cas contraire, mes dents se faisaient une joie de les raccourcir de trop. Une ouverture se fit dans les boursoufflures de son visage et mon prisonnier y glissa la paille en métal pour aspirer un peu de café.
Dans l'encadrure de la porte, Batman était aux aguets, fixant du regard notre estropié. Je voyais ses oreilles frémir : il ne savait pas s'il devait se mettre en posture d'attaque ou non. Je décidai alors de faire demi-tour, et de le laisser tranquille. Claquant des doigts, j'appelai le doberman à retourner dans le salon.
- T'auras qu'à venir te faire une soupe à midi, soupirai-je à l'attention de mon prisonnier.
J'allais quitter la pièce, quand une de ses mains saisit mon poignet. Je me tournai vers lui, agacé. Il sembla dire quelque chose, mais sa fatigue et la douleur qu'il devait ressentir au niveau du visage transforma ses mots en une purée de syllabes indigeste.
- J'ai rien compris, répondis-je sans le regarder, avant de quitter la pièce.
J'allai directement près de la fenêtre, comme à mon habitude, et l'ouvris pour pouvoir allumer une cigarette. En y repensant, je ne savais même plus pourquoi j'avais commencé à fumer, ni quand. Je savais juste que depuis que je me grillais les poumons à coup de goudron et de cyanure, mon esprit lui, s'embrouillait assez pour que je puisse vivre en paix.
Ce fut seulement quelques heures plus tard, lorsque je commençais réellement à tourner en rond, qu'il fit son apparition dans le salon. Si Robin ne s'était pas mis à grogner dans sa direction, je ne l'aurais pas entendu. Dans mon dos, il avait essayé de se faire tout petit. Quand je me tournai pour le regarder, je réalisai qu'il était en fait bien plus près de la porte d'entrée que de la cuisine. Je ne savais toujours pas où il dirigeait son regard, mais sa posture figée me laissait penser qu'il avait zieuté la porte.
- C'est ça que tu cherches ? demandai-je en levant le trousseau de clé à hauteur de mon visage.
D'insinct, il tendit la main vers moi, mais je rangeai les précieuses clés dans ma poche en esquissant un sourire.
- Il faudra que tu les prennes à mon cadavre, mate.
Il prit donc la direction de la cuisine, sans un mot. Quand il revint, j'aperçus un petit calepin et un stylo dans sa main. C'était celui que j'utilisais d'ordinaire pour noter mes listes de course, mais bon, j'imaginais qu'il en avait plus besoin que moi en ce moment.
- Oui ? fis-je ironiquement. Tu as quelque chose à dire ?
Il griffonna quelque chose à la va-vite et me présenta une écriture ronde, très propre. Rien à voir avec la mienne, dégueulasse. Vraiment, je ne comprenais pas ce que ce type avait pu faire à Jacob pour finir dans un état pareil. Il était évident que lui et nous ne faisions pas partie du même monde. Et je peinais à croire que tout ceci n'était qu'une coïncidence, que mon patron ait pu être juste assez con et sadique pour prendre en otage un mec qui passait dans le coin, juste pour le plaisir.
"Cesse de me prendre de haut comme ça, visiblement ni toi ni moi n'avons souhaité cette rencontre."
Je tiquai, il marquait un point. J'ignorai la raison pour laquelle je l'avais traité de la sorte. Enfin, il polluait mon espace vital et me forçait à ne pas aller travailler pour le surveiller.
- T'as un nom ? grommelai-je, choisissant de ne pas relever sa première remarque.
Encore une fois, je dus attendre qu'il écrive sa réponse. Puis je lus :
"Camille Park."
J'haussai les épaules. En réalité, j'étais plus gêné qu'autre chose. Pourquoi tout ceci avait l'air d'une conversation normale ? Pourquoi fallait-il que je me sente à la fois heureux et désolé d'être en face de lui ? Devant mon silence, Camille baissa la tête, et repartit tout penaud en direction de la chambre. Je l'arrêtai néanmoins :
- Hey. Moi c'est Alec Spencer. Le gros là c'est Batman, dis-je en pointant le doberman du doigt. Et le pitbull c'est Robin.
Au moins, si toute cette histoire tournait au vinaigre, on saurait quels noms écrire sur les différentes tombes.
Je clignai des yeux. Nous étions de retour dans le cabinet de Yuna Kim. Celle-ci griffonnait quelques notes sur son carnet, et moi je regardais le plafond, comme d'habitude.
- Et donc, vous avez un peu plus de facilité à mettre des mots sur ce qu'il vous a apporté ?
Je soupirai.
- Oui et non. Je sais ce que je ressens, mais c'est tellement bizarre...
- Dites-le avec vos mots, incita-t-elle avec un sourire. Ce sont les vôtres, ça ne fait rien s'ils ne font pas partie du dictionnaire.
- Et bien...
Ma gorge se noua.
- Camille... m'a été imposé. C'est la première chose que j'ai pensé quand il est arrivé. D'un côté, ça m'a fait vraiment chier. J'ai mis tellement longtemps à... à mettre en place cette routine, et il a fallu que ça vienne tout casser.
- Elle était si importante que ça ?
- De quoi ?
- La routine.
Je souris. Là, c'était à mon tour de passer pour le type qui n'écoutait pas sa propre conversation.
- Elle m'empêchait de penser. Elle me faisait croire que je m'en était sorti, murmurai-je.
- Mais ça n'était pas le cas.
- C'est pour ça que je suis heureux qu'il soit arrivé là, chez moi... il a tout cassé, mais sans ça, je serai probablement mort d'une façon ou d'une autre à l'heure qu'il est.
- Comment il a fait ? demanda Yuna Kim.
Je serrai mon jean entre mes doigts. Mes mains tremblèrent du manque de nicotine, encore une fois, et ma gorge se serra à nouveau.
- Il a fait comme vous : il m'a parlé... il m'a montré la vérité.
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Coucou tout le monde !
J'espère que vous avez passé un bon week-end :)
Voici la suite de l'histoire, j'espère qu'elle vous plait. Le plot se met tout doucement en place... Je sais qu'on dirait qu'il ne se passe pas grand chose, mais ce pauvre Alec est un peu embrouillé ahah
Dites-moi ce que vous en avez pensé en commentaire :)
Des bisous !
Alice
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