Chapitre 11

- On tourne en rond, pas vrai ? demandai-je à Yuna Kim.

- Un peu, soupira-t-elle en replaçant (encore) ses lunettes sur le bout de votre nez. Mais je ne peux pas écrire l'histoire à votre place.

- En fait, il y a quelque chose qui me perturbe, mais je n'arrive pas à mettre les mots dessus. C'est... bloqué.

- Est-ce que ça a à voir avec le fait que Camille ait disparu ce jour-là ?

- Que Cam- ah !

C'est vrai, je ne lui avais pas raconté toute l'histoire. Je n'avais pas eu le temps.

- Camille n'a pas disparu après la visite de Jacob.

Je l'avais cherché partout. En entrant, je trouvai du sang sur le parquet, à moitié séché. Pas une flaque, mais de grosses gouttes qui semblaient avoir éclaboussé. En y repensant, lorsque Jake était revenu au bar après sa longue absence, il avait un bandage sur le bras Au moins, me dis-je, il n'a pas eu la merveilleuse idée de tenter d'endormir les chiens. Il avait dû les repousser assez longtemps pour faire le tour de l'appartement.

J'avais la peur au ventre, à vrai dire. Il n'y avait aucune trace de vivant dans le salon, mais rapidement, j'entendis aboyer et gratter à la porte de la chambre. Et effectivement, les gouttes de sang faisaient une piste jusqu'à la porte. Mon patron avait réussi à entraîner les chiens jusqu'à la chambre pour les enfermer dedans. Il avait utilisé une des chaises qui traînaient autour de la table pour bloquer la poignée. Je m'approchai de la porte, enlevai ce qui gênait, et laissai mes amours sortir de là.

Batman se mit à renifler le sol comme un fou tandis que Robin léchait l'hémoglobine.

- Arrête ça Rob', tu sais pas ce qu'il a mis dedans l'autre dégénéré, grognai-je.

Je ne connaissais pas bien mon patron, mais s'il était assez couillu pour vendre des armes à la sauvette, il devait aussi l'être pour consommer toutes les saloperies illégales qu'il pouvait trouver sur le marché. Robin m'écouta à peine et prit deux bonnes lampées de plus avant de retourner se coucher sur le canapé.

Les traces de sang sur la gauche s'arrêtèrent au palier de la chambre, mais je remarquai qu'elles faisaient demi-tour pour retourner vers la cuisine. Être aussi méticuleux dans mes recherches permirent à mon cœur de se calmer. Camille n'était pas mort. Il y avait trop peu de sang dans l'appartement pour que ces traces soient la preuve d'un meurtre. Et puis si Jacob avait trouvé Camille, je serai dans la tombe à l'heure qu'il est. Non, il ne s'était rien passé. Il avait tenté une fois de plus de me mettre au pied du mur, mais avait échoué.

Les traces de sang convergèrent dans la cuisine et s'arrêtèrent devant le plan de travail. J'y retrouvai l'oignon aperçu un peu plus tôt, et un torchon imbibé de sang. Jacob avait arrêté, ou du moins ralenti le saignement ici. J'avais fort à parier qu'il s'était, au passage, servi dans mon armoire à pharmacie avant de quitter les lieux.

Sous le regard curieux de mes deux sentinelles, je traversai le salon pour aller à la salle de bain. Jackpot. L'armoire à pharmacie était ouverte, le paquet de bandage éventré dans le lavabo. Des compresses étaient tombées par terre et la bouteille de désinfectant était encore ouverte. Là non plus, pas de trace de Camille. Donc, si le Chien Fou avait pu faire le tour de l'appartement sans trouve la personne qu'il cherchait, c'était soit qu'il était parti, soit qu'il était caché. Et la seule vraie cachette que je possédais ici, c'était le cagibi que j'avais plus ou moins condamné en y mettant une grosse bibliothèque devant. L'astuce, c'était les gonds. Elle était difficile à bouger, mais elle pouvait pivoter comme une porte et menait à une petite pièce poussiéreuse dans laquelle j'avais rangé mes vieux cartons.

À deux mains, je pris le côté de la lourde bibliothèque et la fit bouger pour dévoiler la véritable porte du petit placard. Je l'ouvris, et y trouvai Camille, recroquevillé sur lui-même, genoux contre la poitrine et son visage enfoui dedans.

Soulagé, je m'accroupis devant lui.

– Ne me dis pas que t'as passé la journée là-dedans, grognai-je.

– Non... C'est juste...

– Juste ?

Camille ne répondit pas. Il leva la tête vers moi, et la lumière qui émanait de la sortie du placard se refléta dans ses larmes. Mon invité avait les yeux rougis et bouffis par les pleurs, et il m'implora du regard.

– Je me suis dit que tu m'en voudrais alors je me suis caché là, murmura-t-il.

– Que je t'en voudrais ?

– Je sais que Jacob s'est ramené ici. J'ai vu le sang en revenant, alors j'ai paniqué, et je me suis planqué ici.

Un silence se fit durant lequel j'analysais chacun des mots qu'il avait prononcés. Et celui qui m'interpellait le plus était "revenant".

– Attends... en revenant d'où ?

– De chez la voisine...

– De chez Mamie Meï ? T'étais chez Mamie Meï ?!

Immédiatement, le soulagement fit place à la colère. J'étais perdu. Et si elle l'avait reconnu ? Quelqu'un avait bien dû chercher Camille, placarder des avis de recherche, son portrait devait être affiché à la télévision. La vieille aurait très bien pu le reconnaître et peut-être même qu'elle appelait la police à cet instant. Peut-être que la prochaine fois que Jacob viendrait mettre les pieds chez moi, elle le croiserait et lui dirait que Camille est ici. Et on serait mort tous les deux, pour de bon.

- Tu sais que tu aurais pu nous faire tuer tous les deux en faisant ça ? Grondai-je.

- Arrête, elle est gentille... et pendant que j'étais chez elle, au moins ton patron ne me trouvait pas...

- Mais je m'en fous de ça ! Si ça se trouve, elle va appeler les flics pour leur dire que t'es chez moi !

- Et alors ? Rétorqua-t-il. Peut-être que ça ne serait pas plus mal. Je ne serai pas obligé de faire attention à ne pas faire de bruit. Peut-être que je pourrais enfin vivre à nouveau, sortir, travailler.

Je soupirai. Ce type allait avoir ma peau, mais je ne pouvais pas lui en vouloir sur ce point-là. C'était vrai, il était caché chez moi depuis bien trop longtemps et viendrait un moment où je devrai le laisser partir. Peut-être même qu'il vivait trop loin de ce quartier pourri pour risquer quoi que ce soit, et que le vrai danger, c'était de le garder ici.

– Tu veux manger quoi ?

– Hein ?

– C'est l'heure de manger, répétai-je. Tu veux manger quoi ?

– Et vous avez détourné la conversation comme ça ? Dit Yuna Kim en riant. Bel évitement.

– Voilà, le problème est là. Enfin, un des problèmes. J'évitais toute conversation susceptible de me convaincre de le laisser partir.

La psychologue laissa tomber son stylo dans son carnet, le referma avant de le poser sur sa petite table de chevet. Elle décroisa les jambes, retira ses lunettes qu'elle posa à côté du carnet.

– Nous y sommes, me dit-elle. Là, vous allez dire quelque chose de très pertinent et ça vous fera avancer.

Le silence retomba. Elle m'observa, clignant à peine des yeux. Ma gorge se noua.

– Camille avait raison de vouloir partir, lâchai-je dans un murmure rauque.

– Et ?

– Et je ne voulais pas, parce que pour la première fois depuis une éternité, j'avais l'impression de... D'avoir un ami. Un vrai ami qui me parlait.

Les larmes coulèrent sur les joues. Ma gorge me brûlait.

– Mais j'ai été seul trop longtemps et je ne sais pas comment on fait pour être gentil et sociable. Je ne sais pas comment on fait pour ne plus être égoïste et pour se soucier des autres. Alors j'ai traité mon inquiétude pour Camille comme on traite un parasite. Je l'ai tué et j'ai transformé les restes en inquiétude pour moi-même. Et le problème est toujours là... Je ne veux pas que Camille me quitte mais je fais tout pour qu'il parte. 

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