Chapitre 4 : Guillaume

— Tu rentres direct ?

— Nan, je cours sur la piste, là !

— T'es un dalleux, toi.

Un clin d'œil, un coup de bassin et Guillaume parvint à s'infiltrer dans son pantalon, sous le sifflement admiratif de son collègue. Les mains fourrageant dans ses cheveux blonds, à peine assez longs pour être tirés en arrière, Arnaud semblait observer chacun de ses gestes tandis qu'ils se changeaient après leur service. Il ne restait plus qu'eux, le silence des vestiaires les enveloppant après une interminable soirée de travail.

— Comment t'arrives à choper en portant des baskets ? marmonna Arnaud en désignant ses pieds.

— Crois-moi, j'ai deux ampoules, je m'en sors mieux avec ça qu'avec mes escarpins. Après, si c'est une question de sexy...

Avec habitude, Guillaume ondula du bassin sans manquer une seconde l'éclat intéressé de son collègue. Ce n'était pas la première fois qu'il l'interceptait, depuis des mois qu'ils travaillaient ensemble.

— ... je t'assure que ce ne sera pas un problème.

— Je demande à voir, tiens, répliqua presque aussitôt l'autre homme avec un sourire en coin.

— Je t'en prie, regarde.

Guillaume, du haut de ses vingt-six ans, n'avait jamais eu quoi que ce soit s'apparentant à des rapports avec ses collègues. Amicaux, tout au plus, très amicaux même avec certains, mais jamais la barrière n'avait été franchie. Serait-ce un problème ? Pour certaines raisons, il répondrait bien un « oui » retentissant sans même réfléchir, mais ce soir, il voulait seulement plaire. Le regard appréciateur d'Arnaud lui faisait du bien. Parfois, si l'amour ne devait jamais frapper à sa porte, il avait envie de se sentir désiré, aimé l'espace de quelques instants. Quelques heures, même quelques minutes ! Être étreint. En attendant, il prenait son temps pour enfiler son tee-shirt, se baladant torse nu dans les vestiaires endant qu'il fermait son pantalon moulant et chaussait ses baskets. Il ne se dépêcha pas pour faire ses lacets, honteusement penché en avant en sachant pertinemment que son collègue matait sans vergogne.

— T'es un démon, grogna celui-ci.

— J'ai la dalle, rétorqua Guillaume. Tu l'as dit toi-même.

— Tu vas chasser tout seul dans le club ?

— Ouais.

— Et t'as jamais peur de ramasser un malade ?

Pendant deux secondes, Guillaume y songea. C'était déjà arrivé, mais sur la piste. Il avait discrètement réussi à se faufiler entre les autres danseurs et, le temps que le type le retrouve, il avait averti la sécurité. Tian et ses vigiles avaient cueilli l'homme dès qu'il avait tenté une nouvelle approche.

Il haussa les épaules.

— Je ne vais pas me mettre sous verre sous prétexte qu'il y a deux ou trois mecs un peu pervers qui se baladent et vont être un brin insistants, tu sais. Je peux me défendre.

— Tu m'excuseras si je doute, hein, rétorqua Arnaud avec un sourcil arqué.

— Je t'emmerde, tout le monde n'a pas la carrure de la sécu. Je peux toujours courir et mes genoux se lèvent super bien. Ah, et frapper.

— Vise le nez, vers le haut, ça fait pisser le sang et ça les aveugle.

— Cool.

— S'ils sont dix, par contre, ça va être un peu coton, alors évite les gang-bangs.

— Dégueu ! Sérieux, juste un pour la soirée, ce serait pas mal...

Guillaume soupira, se redressa, tapota le sol du bout de sa chaussure et, enfin, s'étira.

— T'es si désespéré ?

— T'as pas idée.

Arnaud referma son casier, la curiosité inscrite sur son visage.

— Disons que c'est bizarre. T'es mignon, pas trop con, tu rêves d'un mec et t'as le feu au cul... pourquoi t'as pas déjà quelqu'un, au juste ?

— Ça finit toujours mal, grogna le jeune homme. L'an dernier, j'ai découvert que c'était un gars marié à une nana avec une gosse, mais il cachait tout à tout le monde, tu vois ? Il a même eu le culot de me faire passer pour un forceur quand je l'ai mis devant le fait accompli !

— Ah merde. Tu tombes sur les mauvais, quoi !

— On va dire ça.

Il était aussi très demandeur. Celui dont il parlait était probablement l'un des quelques-uns avec lesquels il s'était comporté sagement, avec l'espoir que quelque chose en sortirait enfin. Peine perdue. Alors adieu le petit Guillaume qui suivait et s'écrasait, ce n'était pas pour lui de toute façon. Être trop cochon dans sa relation marchait pendant un temps, jusqu'au moment où il était un peu fatigué ou avait l'esprit ailleurs, et le type qui partageait son quotidien à ce moment-là ne comprenait pas pourquoi il n'avait pas droit à la totale tous les jours sur une semaine d'affilée. Et inversement. Et puis, il y avait ces moments intimes. Ce morceau qui constituait sa véritable vie, ce pan sacré dont il n'avait parlé qu'à un ou deux amis. Pas à Arnaud, donc, qui semblait de toute façon bien plus intéressé par son cul que son programme du week-end à venir, peu reluisant.

Guillaume attrapa son tee-shirt et fit claquer la porte de son casier, crochetant la fermeture avec son code. Il se retourna, apprécia à sa juste valeur la façon dont les yeux de son collègue s'assombrirent en dévalant sa poitrine nue, de ses tétons à son nombril, puis le tout disparut sous son haut.

— Bon, et si on allait mettre le feu sur la piste ?

Un sourire aux dents bien alignées lui répondit aussitôt.

— Je te suis jusqu'au bout de la nuit.

Devant la porte du club, un grand vigile blond haussa un sourcil en les voyant approcher. Théodore était un des mastodontes engagés pour gérer la sécurité, mais il n'y avait qu'en dehors du travail, s'il daignait discuter d'affaires personnelles, que l'on découvrait un homme plutôt timide.

— Salut Théo !

— Salut. Le service est fini ?

Une voix grave, un physique à se damner si l'on appréciait être compressé entre d'énormes muscles, et Dieu savait que Guillaume aimait cette idée. Son visage était loin d'être repoussant, avec cette mâchoire carrée et ces pommettes hautes. Il se souvenait encore du premier jour où il l'avait vu, assis à une table un soir où le jeune homme travaillait au restaurant. Malheureusement, ce soir-là, il attendait un collègue de Guillaume. Raté. Il retint un soupir à l'idée de tout ce dont le compagnon de Théodore bénéficiait à ses côtés, un brin jaloux. Il était déjà sorti avec un des vigiles du Manoir – stratégiquement parlant, ce n'était pas tout à fait un confrère, n'est-ce pas ? Ils n'officiaient pas vraiment sur les mêmes postes ni les mêmes bâtiments... bref, autant dire que les choses ne s'étaient pas passées pour le mieux pour autant.

— Ouais ! C'est l'heure de se divertir un peu, tu veux nous rejoindre ?

Chassant de son esprit les envies qui s'emparaient rapidement de lui, Guillaume posa les poings sur ses hanches sous le regard amusé de Arnaud. Bien que sobre dans son accoutrement, le jeune homme n'en était pas moins agréable à détailler. Il n'allait pas se plaindre de continuer la soirée avec lui, c'était certain, encore moins après quelques verres !

Théodore émit un petit rire grave et sec avant de lever sa main gauche. L'anneau qui brillait à son annulaire rappelait la fête qu'il y avait eu à son mariage, quelques mois plus tôt seulement. Ravalant son sentiment à ce sujet, Guillaume força un sourire taquin sur son visage :

— Tu diras à ton mari que t'as raté une sacrée soirée grâce à lui, dans ce cas !

Le grand blond rit simplement, sans en prendre ombrage, et pour cause : il était habitué à ce genre de frasque, à présent, contrairement à ses débuts au Manoir Pourpre. Le faire tourner en bourrique avait été un jeu amusant les premiers temps.

Les immenses portes à doubles battants s'ouvrirent enfin, leur dévoilant l'intérieur de la boîte de nuit et ils s'engouffrèrent dans l'atmosphère réchauffée par les heures d'alcool, de musique et de danse qui s'étaient déjà écoulées. Attrapant Arnaud par le poignet, Guillaume le tira avec lui jusqu'au comptoir où les deux barmen étaient d'office, occupés. Le souvenir de Théo et de son mariage heureux s'évanouit quand il posa le regard sur les deux hommes énergiques et il se retint de rouler des yeux. Le plaisir visuel était là, à deux mètres d'être palpable, tout en muscles et en visages carrés. Le paradis. Enfin presque.

Les deux étaient complètement hors de sa portée à cause de leurs mecs respectifs. Pourquoi avait-il ces goûts-là, exactement ? Pourquoi ne pouvait-il pas jeter son dévolu sur des types plus communs, qui n'intéressaient pas la moitié de la terre ?

— Tu ne voulais pas boire ? susurra la voix d'Arnaud à son oreille par-dessus la musique.

Il sursauta.

— Ouais. Si. Viens !

— Je connais le chemin, eh ! gloussa le blond.

Leurs mains bougèrent ; cette fois, ce fut celle d'Arnaud qui envahit la sienne pour le tirer jusqu'au bar.

— Hello ! s'exclama-t-il avec sa bonhommie habituelle.

Oui, tiens. Arnaud était agréable, la plupart du temps. Il n'était pas particulièrement développé sur le plan physique, mais il était loin d'être un gringalet. Dans les uniformes à froufrous qu'ils portaient au restaurant, il paraissait un peu gauche à cause de cela, mais donnait rapidement le change grâce à son déhanché et son sourire brillant. Les clients, en tout cas, ne se plaignaient pas. La plupart d'entre eux venaient pour ce genre de spectacle, de toute façon.

— Aah, je me demandais quand on vous reverrait, dites donc ! ricana le premier barman tout en faisant glisser un cocktail sur la surface devant lui.

Le verre disparut aussi sec.

— Pas mal de boulot, dit Arnaud. Il manque du peuple en cuisine !

— Ça commence à être long comme pénurie de recrutement, observa le second serveur.

Thomas et Sofian. Bon sang, il voulait couler au sol comme une flaque immonde et nécessiteuse tant ces deux types allumaient à peu près tous ses boutons appelant au sexe et à absolument tout ce qu'ils voulaient bien allumer en lui, partout, partout, vraiment tout partout. Depuis quand n'avait-il pas baisé, au juste ? Ça devenait une urgence. Une grosse. Quand il voyait la masse humaine et sombre derrière eux se trémousser sur la piste, il était un peu rassuré sur la possible évolution de sa soirée.

Le premier cocktail descendit tout seul. Son dernier repas était loin. Rapidement, la musique sembla s'intensifier, s'insinuer dans son sang. Danser. Il adorait cela quand il se glissait entre les corps déjà brûlants, certains probablement fatigués et tirant sur la fin, et d'autres tout juste arrivés. Les vrombissements rampaient sous sa peau, remontaient dans ses veines. Ressens. Retiens. N'oublie rien. Ici, dans ce bain humain, il n'était plus seul. Un bras contre le sien, une main sur sa hanche, des doigts qui se faufilaient subrepticement dans sa nuque, sous ses cheveux lâchés. Il aimait tous ces contacts, ondulant au rythme imposé par la musique. Les playlists de Sofian étaient toujours bonnes et donnaient envie de passer une agréable soirée. Et plus encore. Un coup d'œil vers le bar. Il croisa le regard sombre de Sofian, son sourire en coin lorsqu'ils se dévisagèrent quelques secondes et son cœur s'accéléra. Peut-être à cause de la chaleur sur la piste, de tous ces hommes qui se pressaient autour de lui et le touchaient. Ou peut-être juste parce qu'il aurait adoré être l'homme que ce gars enlacerait en rentrant après le travail.

Sans cesser ses mouvements, Guillaume continua d'observer Sofian, appréciant le temps qu'il durait le brasier allumé dans sa poitrine et son ventre. Les grandes mains travaillaient, serraient, agitaient, les muscles des bras épais gonflant sous cette chemise blanche. Deux boutons défaits au niveau du col. Sexy. Les manches relevées jusqu'aux coudes. Bon sang. Des avant-bras puissants. La brûlure enflammait son ventre, son bas-ventre. Une bouche se faufila contre son oreille, un corps se collant dans son dos en suivant son rythme languide. Une prise ferme sur sa taille. Si ç'avait été celle de Sofian, sa poigne aurait été...

Il avait chaud.

— T'es bouillant, souffla la voix de Arnaud. Je te vois le regarder depuis tout à l'heure.

— Il est sexy, répondit-il sans y réfléchir vraiment.

— Pas autant que toi.

Sans trop réfléchir, Guillaume inclina la tête en arrière, trouvant appui sur l'épaule de son collègue. Contre ses fesses, il ne pouvait pas ignorer la forme tendue qui pressait. Il gloussa.

— T'aimes ce genre de mec, alors ? demanda Arnaud.

De sa taille, les mains s'égarèrent plus bas. Sur son ventre d'abord, disparaissant sous son tee-shirt. Il leva les bras, glissant ses doigts dans les cheveux aux boucles souples de Arnaud. Un rapprochement ne faisait pas de mal. Une pipe non plus, songea-t-il distraitement quand l'érection poussa un peu plus entre ses fesses. Son propre sexe criait son désaccord quant à son propre choix de vêtements, coincé contre une braguette trop serrée et trop raide. De nouveau, le regard sombre de Sofian se dirigea vers lui. Peut-être qu'il les vit tous les deux, son expression sembla soudain absorbée. Arnaud gloussa.

— Oh-oh, tu crois qu'il apprécie ce qu'il voit ? susurra-t-il.

— Aucune idée, mais n'arrête pas.

— Avec plaisir.

Et ses mains descendirent encore. La bouche vogua de son oreille à son cou, mordillant la peau tendre. La musique pulsait dans son corps, dans tout son système nerveux. Il frémit sous le toucher, résista à l'envie de fermer les yeux quand les doigts tracèrent un chemin jusqu'à son jeans pour presser son entrejambe. Son membre raide protesta tout autant qu'il s'en délecta et il gémit. Sofian venait de laisser échapper son torchon et l'idée d'en être responsable était divine. Et excitant. Ce n'était pas la première fois que ce type était pris en flagrant délit de voyeurisme de cette façon, et Guillaume ne se lasserait probablement jamais de tous les films qui se tournaient dans son esprit. Que faisait-il ensuite pour se débarrasser de toute cette tension sexuelle qui l'habitait ? l'expulsait-il avec son compagnon ? Il savait que quelqu'un l'attendait chez lui, certainement dans leur lit. Nu, peut-être. Sofian semblait être le genre d'homme à aimer les choses coquines. Très, très coquines. Avec ses grandes mains puissantes, il pouvait le soulever, le jeter sur n'importe quelle surface et lui écarter les cuisses pour...

— Putain, t'es dur, murmura de nouveau Arnaud, coupant court aux images qui traversaient son imagination.

— J'ai envie de baiser, t'as pas idée.

— Un peu, ouais. Backroom ?

Guillaume enroula sa main sur l'avant-bras qui le maintenait contre le corps de son collègue et le poussa à serrer plus fermement, sans contenir un gémissement. Il fut presque certain de voir la langue de Sofian glisser sur sa lèvre inférieure tandis qu'il les regardait toujours depuis sa place à quelques mètres, à travers tous ces corps, feignant mal la discrétion.

— Qu'est-ce qu'on attend ? gloussa-t-il en se retournant.

Là, des yeux brillants de désir l'accueillirent et ils ne perdirent pas de temps. Traverser la foule ne leur prit qu'un instant qui dura des heures, d'après l'excitation qui bouillait dans tout son sang, et ils eurent à peine passé un vigile devant le petit couloir menant à cette salle de débauche que Guillaume connaissait par cœur, qu'ils se jetaient déjà l'un sur l'autre avec des gestes frénétiques. Arnaud grogna dès que son sexe fut enlacé par des doigts empressés.

— J'ai senti les capotes dans ta poche, dit-il dans un nouveau grondement.

Guillaume ne retint pas un léger rire ; son pantalon était trop serré pour que le rond caractéristique ne se remarque pas, plaqué contre son cul.

— Je sais m'amuser, souffla-t-il en l'extirpant. Intéressé, ou... ?

— T'as la tronche de quelqu'un qui en a besoin, ça me va parfaitement.

Oh, ces mains qui voguaient sur tout son corps à lui en faire tourner la tête. Il embarqua Arnaud jusqu'au sofa, ne prêtant qu'une attention distraite aux autres couples enfiévrés dans la pièce. Les sons qui en émanaient étaient terriblement excitants. Les boutons de son jeans sautèrent sous l'impatience d'Arnaud, son sexe douloureux appréciant cette première libération. Les doigts s'enroulèrent autour, dans un soulagement qui le fit soupirer et se tendre alors qu'il s'acharnait à débarrasser le blond de ses entraves.

— Pressé, souffla celui-ci.

— T'as pas idée, putain.

Il fut un peu surpris quand il se retrouva brusquement dans l'autre sens, le cul en l'air, pantalon et caleçon à mi-cuisses. Avant qu'il n'ait le temps de penser avec une quelconque cohérence, il y eut un bruit d'aluminium déchiré et des doigts chauds glissèrent sur son anus, lui arrachant un gémissement d'anticipation. Puis un râle lorsqu'ils s'enfoncèrent dans son corps, froids et mouillés de lubrifiant.

— Merde, ça fait du bien un mec qui sait ce qu'il fait, souffla-t-il en s'alanguissant sur les coussins.

— Ça va être rapide, j'ai pas baisé depuis au moins dix ans, ricana Arnaud.

— Je demande pas la lune, fais ça bien.

Il n'eut pas à attendre longtemps ; quelques pompages entre ses fesses plus tard, les doigts le laissant vide. Oh, à peine quelques secondes, le temps d'un autre emballage s'ouvrant, puis la sensation d'un gland contre son trou le fit se chambrer aussitôt.

— Putain, ce cul...

— Grouille-toi de me la mettre.

— Même pour baiser, t'es pas possible, rit de nouveau Arnaud.

Il s'enfonça dans un mouvement qui n'était pas très fluide, mais qui ne le contentait pas trop mal. Les soupirs, les gémissements et les bruits de succion ou de la peau claquant contre la peau emplissaient l'air, happant son attention et réchauffant l'intérieur de son corps alors qu'il agrippait un coussin. Entre ses fesses, c'était cette de délicieuse brûlure dont il avait besoin, le feu balbutiant au creux de son ventre.

— Plus fort, gronda-t-il.

Il bascula en avant à l'impulsion suivante et essaya de se déplacer pour obtenir le bon angle, mais un poids appuya entre ses omoplates pour le maintenir. Plus fort, et Arnaud se déchaîna entre ses cuisses, son autre main s'enfonçant dans ses cheveux et tirant fermement, son bassin claquant contre le sien. Plus à droite, plus en bas..., espéra Guillaume à chaque nouveau coup de boutoir, mais pressé comme il l'était sur le sofa, il ne parvint pas à s'orienter pour gagner un autre plaisir que la pauvre satisfaction d'une queue dans son cul. Un râle grave s'éleva alors que la frustration pointait de plus en plus son nez, frisant l'agacement. Puis, plus rien. Rien que la respiration saccadée de Arnaud, la sensation de son sexe quittant son corps et il réussit à se redresser sur les genoux, son propre membre encore gonflé. L'air moite léchait son épiderme désagréablement. Dans son dos, Arnaud ne le regardait plus, occupé à se nettoyer avec un petit sourire satisfait, ses doigts nouant maladroitement le préservatif. Un frisson glacé parcourut sa peau. Les yeux bleus de Arnaud croisèrent les siens et ses sourcils se froncèrent en se baissant sur son entrejambe.

— Oh, tu veux que je te suce ?

— Y'a dix minutes, j'aurais dit oui, dit Guillaume en remontant son caleçon puis son jeans.

L'instant était passé, songea-t-il en se tortillant pour que le tissu couvre de nouveau ses fesses. Une main accrocha un passant de ceinture, retenant ses gestes.

— Eh, je vais pas te laisser comme ça, quand même !

— Si, contra-t-il. On a fini.

— Quoi ? Allez, fais pas ta chieuse, Gui ! Je peux te sucer, ça va être cool !

Une simple tape sur les doigts d'Arnaud ne suffit pas à lui faire lâcher prise, alors il se leva aussi brusquement qu'il le put pour se dégager.

— Lâche-moi ! gronda Guillaume quand il le retint au sofa.

— Je t'ai dit que ça allait être cool, qu'est-ce que tu comprends pas ?

Une main appuya tout à coup sur son torse, la surprise l'immobilisant alors que l'autre rabaissait son caleçon d'un geste soudain et s'enroulait autour de ce qu'il restait de son érection. La sensation fut désagréable, entre le mécanisme du plaisir et le dégoût, et se tortilla pour essayer de s'y soustraire quand la bouche d'Arnaud toucha son gland pour le lécher. Une sueur glacée lui glissa dans le dos.

— Arrête ça, putain ! s'exclama-t-il.

— Bouge pas ou je te mords.

— Eh, y'a un problème ? demanda une voix quelque part autour d'eux.

Merde, ils n'étaient pas seuls, se rappela-t-il. Exactement le genre de moment gênant. Les bruits autour d'eux s'étaient amoindris, si ce n'était un gémissement étouffé. Son cœur battait à toute vitesse, mais ce n'était plus de désir.

Maintenant que toute excitation était redescendue et qu'il n'y avait plus que la déception qui coulait dans ses veines, Guillaume se sentait mal à l'aise dans cette pièce. Pourquoi est-ce que même un coup rapide, ça ne pouvait pas fonctionner ?

Arnaud le dévisageait toujours, les yeux noirs et les traits crispés.

— Aucun, grinça-t-il d'une voix sèche.

Son regard était sombre sur Guillaume, d'une façon bien différente de quelques minutes plus tôt quand il le fixait avec désir, et le jeune homme déglutit, enfin capable de se lever et remonter ses vêtements sur son corps. Ses doigts tremblaient un peu en refermant les boutons de sa braguette. Lorsqu'il releva les yeux, la silhouette de son collègue était déjà à la porte, disparaissant rapidement dans un rayon de lumière. Un claquement.

Et lui ?

Lui, il ne savait pas. Plus. Il passa une main dans ses longs cheveux, essayant d'y remettre de l'ordre. Il avait bien fait d'enlever son maquillage avant de se jeter là-dedans.

— Eh, mec, ça va ?

Une poigne se posa sur son épaule, le faisant sursauter. Il n'avait jamais vu l'homme debout à ses côtés et il y avait un aspect un peu étrange à se trouver là, face à tant de peau et un sexe qui n'était pas rassasié. Visiblement, il avait interrompu sa rencontre de ce soir.

— Je... ouais, ça va, je crois...

— Désolé, on était pas loin, on a entendu. T'as bien fait de dire non. Quand c'est retombé... eh bien, c'est retombé !

Il fit un clin d'œil et Guillaume ne put retenir un petit rire malgré la situation. Il y avait au moins des types sympa, même s'il doutait que son compagnon ait apprécié d'être délaissé en plein ébat. Quoique, il semblait que le compagnon en question était accoudé au dossier du sofa et les observait avec curiosité, la peau brillante de sueur et les joues rouges, le souffle encore court. Son expression soucieuse était suffisante pour l'assurer qu'il n'était pas dérangé pas la situation. Pasde cette façon, en tout cas.

— Putain, derrière le canapé ? grommela Guillaume. Effectivement, vous étiez aux premières loges...

— T'étais consentant pour venir ici, au moins ? demanda l'homme en fronçant les sourcils. Ça avait l'air...

— Ouais, c'est bon pour ça. C'est juste... c'est retombé, marmonna Guillaume en reprenant ses mots.

Parce qu'il n'y avait pas vraiment d'autre terme. Arnaud n'était simplement pas le coup du soir dont il avait eu besoin, finalement. Ou peut-être qu'il ne savait pas baiser. Ça aussi, il y en avait beaucoup des types qui prenaient, tiraient leur plaisir, et hop, c'était fini. Ce n'était pas la première fois.

— OK, bon, tant mieux. Mais il y a la sécurité si jamais tu veux leur en parler, ils font super gaffe à ça, ici.

Il remercia les deux hommes, essayant de ne pas les regarder lorsqu'ils se retrouvèrent dans une effusion de baisers ardents – il risquait de les jalouser – et franchit la porte à son tour. Là, la lumière l'aveugla dans le minuscule couloir menant aux backrooms. Il n'eut pas le temps de faire plus de deux pas, cependant, qu'un corps massif le prit dans son ombre, se dressant devant lui. Tian, le chef de la sécurité, celui qui les avait observés en souriant quand ils étaient entrés avec le feu aux fesses.

— Il avait l'air furieux, ça va ?

Béni soit cet établissement. D'autres fois, Guillaume les trouvait un peu trop collants avec ce genre de choses, ce soir en revanche il était bien ravi d'en bénéficier. Il se savait chanceux sur toute la ligne. Pas comme d'autres. Avant d'y penser, il carra légèrement les épaules. Son cœur battait encore trop vite, se remplissant de « et si » qui étaient déjà arrivés par le passé.

« Il y a la sécurité si tu veux en parler. »

Tian faisait toujours bien son travail, il n'en doutait pas, mais c'était un peu personnel à cause de leur contexte professionnel. Et du fait qu'il s'était déjà envoyé deux vigiles qui avaient démissionné après avoir eux-mêmes rompu. Oh, et le fait qu'il fréquentait trop la backroom depuis qu'elle avait été ouverte, deux mois plus tôt. Était-ce le genre de mec qu'il était devenu ?

— Gui ?

Il cligna des yeux. Tian était tout proche, une expression inquiète sur le visage.

— Il s'est passé quelque chose ? insista-t-il doucement.

— Euh, oui.. non !

— Un problème ?

À la nouvelle voix grave qui se joignait à eux, Guillaume se retourna, son palpitant sursautant aussitôt. Devant le couloir que surveillait Tian, Sofian se tenait droit, deux verres à pied coincés entre les doigts d'une main et son éternel torchon dans l'autre. Un troisième bouton de chemise était défait. La fatigue de la soirée était inscrite sur son visage et ses yeux noirs le fixaient comme le faisait le vigile.

— Je crois que oui, mais tu sais ce que c'est, coupa le vigile en lui dédiant un regard un peu insistant. Fierté masculine mal placée.

— J'ai dit non ! rétorqua Guillaume.

— M'est avis que tu l'as aussi dit à quelqu'un qui n'était pas très d'accord, vu la tronche qu'il tirait.

Il se décomposa. Finalement, il détestait la sécurité trop maternelle du Manoir.

— Putain. T'es à pied ? grogna Sofian.

— Bus.

— Ça m'étonnerait, vu l'heure.

— Je vais marcher, j'ai l'ha...

— Hors de question !

Guillaume rentra la tête dans les épaules à l'éclat du barman. Avec la retombée de tout, il assumait moins les regards échangés à travers la piste alors qu'Arnaud le touchait et l'excitait.

— On te ramène, reprit Sofian plus doucement. Tom a un casque en rab, il pourra te le prêter.

— Mais je ne suis pas...

— On s'en fout, coupa Tian en croisant les bras. On ne prend aucun risque, tu nous connais.

Ouais, il les connaissait. C'était plus souvent Tian qui le reconduisait, d'ailleurs, ou encore Théo, quand il était ivre.

— J'allais rentrer maintenant, marmonna Guillaume.

— Moi aussi, Tom fait la fermeture. Je dégage juste ces deux merdes, ajouta Sofian en levant les deux verres, ils sont ébréchés. Attends-moi au comptoir.

Ses mots ne laissaient pas de place pour quoi que ce soit qu'un « oui monsieur ». Ce-disant, il quitta l'ouverture du petit couloir et disparut, le bruit de la porte de service se faisant un peu entendre malgré la musique qui résonnait toujours. Moins fort cependant, nota-t-il. Quelle heure pouvait-il être, au juste ? Si Sofian était déjà sur le départ...

— Il y a eu des agressions dans le quartier ces temps-ci, dit soudainement Tian à voix basse. On ne veut pas courir de risque.

Guillaume sursauta, pris de court par le sujet amené.

— Autour du Manoir ?

— Ouais. Alors autant on peut respecter que tu ne veuilles pas parler de ce qui vient de se passer, autant c'est vraiment préférable que So te raccompagne. J'aimerais que ce soit tous les soirs et être rassuré, mais...

— Mais tu n'es certainement pas ma mère, soupira le jeune homme et il le regretta presque immédiatement en voyant les épaules de Tian s'affaisser.

— Ouais. C'est ça. Ni la tienne ni celle des autres.

Il croisa les bras, un pli soucieux entre les sourcils.

— Je veux juste être sûr que vous êtes tous en sécurité.

— On l'est avec toi, sourit Guillaume. Et avec tes gars, aussi. T'as une chouette équipe.

— Plus qu'avant ?

Il n'aimait pas particulièrement le chemin que prenait cette discussion, mais il l'avait probablement cherché. Il soupira :

— Peut-être. Tu connais mon avis là-dessus...

— David n'était pas un si mauvais type.

— Tian...

— Je veux juste dire qu'il faisait bien son travail. Sa vie privée... malheureusement, je n'avais pas de pouvoir dessus.

— Je le sais.

— Ça se passait si mal entre vous ?

Guillaume inspira profondément avant de relâcher tout l'air de ses poumons, le regard rivé sur un bout de mur derrière le chef de la sécurité.

— C'était... particulier, plutôt, murmura-t-il. Nous étions trop différents et trop attachés à la fois... mais il m'a supporté quand même.

— Tu n'es pas si infernal, allons.

— Tu ne dirais pas ça si rien de ce que tu faisais ne convenait. Il détestait à peu près tout ce que j'aimais, pour être honnête.

— Pourquoi êtes-vous restés ensemble si longtemps ?

— Parce que je le lui demandais.

De nouveau, Guillaume expira. Ces souvenirs-là étaient de ceux qui l'avaient le plus marqués. Cet homme avait été son centre pendant près d'une année, dans les hauts, les bas... Surtout les bas. Beaucoup de bas. La maladie de sa mère, la décision de la mettre en établissement spécialisé, cette terreur de la solitude qui l'anéantissait dès qu'il osait y penser, la peur de voir les symptômes dans la moindre de ses habitudes au quotidien... pendant des mois, il s'était raccroché à David, l'un des vigiles de l'équipe de Tian à l'époque, également son compagnon.

Guillaume avait passé des nuits, des jours, des semaines presque, à être avec lui, peu importait que ce soit dans l'appartement de l'un ou de l'autre. Puis, il avait loué la deuxième chambre qu'il avait, ne supportant plus de la voir inoccupée. Ils s'étaient moins collés alors. La proximité qu'ils avaient, mais également la poigne qu'avait David sur lui, s'étaient mues en quelque chose de différent. La jalousie avait commencé à ronger l'homme, les injonctions pleuvaient. Jusqu'au jour où il avait récupéré Guillaume sur la piste de danse, bougeant seul au milieu d'une multitude de corps. Avec plus de violence qu'il ne l'aurait imaginé. Le lendemain, David démissionnait et disparaissait du paysage du Manoir.

Et c'en était terminé de cette idylle. Peut-être était-ce depuis cette époque qu'il avait commencé à se réfugier dans les jeux vidéo dès qu'il était enfermé chez lui. Ou plus exactement, depuis qu'il n'y avait plus ni petit ami ni colocataire sympa pour le maintenir à flot dans son quotidien. Il s'était mis à sortir, seul, espérant ne pas le rester pour la nuit. Pas franchement efficace, s'il devait émettre un avis dessus. Ce soir n'était pas une exception en termes de résultats.

Tian n'eut pas le temps de poser de nouvelles questions que Sofian était de retour, son sourire toujours absent.

— T'es encore là ? demande-t-il en les voyant.

— On discutait.

Un soupir. Gentiment, Sofian passa un bras autour des épaules de Guillaume et l'entraîna avec un « Viens, on rentre ».

On.

Si seulement. 

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