Chapitre 3 : Alexandre
Cinq minutes. Dix minutes. Quinze minutes. Son assiette refroidissait lentement sur ses genoux tandis qu'il y picorait du bout de sa fourchette. Sur le grand écran faisant face au canapé, l'émission qu'Alex avait trouvée ne l'intéressait pas plus que cela. Il regardait l'heure fréquemment. Vingt minutes, à présent, s'étaient écoulées depuis le départ de Sofian. Son compagnon ne reviendrait pas avant des heures, il le savait, mais il tenait toujours à patienter quelque temps avant de se lancer dans des activités, quelles qu'elles soient. Au cas où. Un demi-tour était vite arrivé, pour n'importe quelle raison.
Quand il éteignit l'écran, son assiette à moitié vide avait déjà élu domicile dans le réfrigérateur depuis quelques minutes. Faire le vide après une journée de travail était une étape quotidienne qu'il prenait avec sérieux. Se débarrasser de tout ce qui l'avait dérangé durant ses heures, mettre de côté les différents propos qu'il avait glanés de-ci de-là à la boutique... Il expira, posa la télécommande sur la petite table basse en bois laqué, puis se leva. Ses articulations craquèrent quand il s'étira de tout son long, ses pas le menant à la pièce qu'il utilisait presque toutes les nuits.
Oh, enlevez le « presque », il passait plus de temps ici que dans la chambre à coucher ! Cette dernière pensée tournait encore alors que l'écran de son ordinateur lui présentait l'interface de démarrage. Il se laissa donc tomber sur son fauteuil, le cuir et la structure crissant sous son poids soudain. Par habitude, ses doigts sur la souris cliquèrent dans un ordre donné, les diverses fenêtres s'ouvrant sur les deux moniteurs dans une disposition qu'il avait paramétrée depuis bien longtemps. Les réseaux sociaux pour la messagerie instantanée dans ce coin, le streaming dans cet autre morceau de l'écran de gauche. Sur celui de droite, l'interface du jeu de ce soir se lançait tranquillement. Il positionna son casque sur son crâne et ses oreilles, descendit le micro à hauteur de sa bouche et rejoignit la conversation dans laquelle il percevait de l'activité. Bientôt, les rires et les mots l'envahirent et il se crispa quelques secondes. Puis, il inspira profondément.
— Salut, articula-t-il enfin.
— Eeeeeeh, salut, t'es déjà là, c'est cool ! résonna une première voix.
— Yo Cassian ! Merde mec, t'es tombé du lit !
— Je rentre du boulot.
— Ah ouais, c'est vrai que t'as un job à côté.
Il retint une grimace. La plupart de ces types vivaient complètement de cette activité. Plus ou moins bien, ils l'admettaient. Il aurait pu faire la même, abandonner son travail à la supérette du quartier et se contenter de faire des retransmissions en direct de ses parties de jeux vidéo pour les gens qui le suivaient, mais... le côté humain manquerait. Ou plutôt, risquait de ne pas lui manquer. Il savait l'importance de maintenir ce rapport social qui l'ancrait dans la réalité, quand bien même il s'en serait passé avec plaisir – c'était même pour cette raison qu'il y faisait autant attention.
— Les temps sont durs, dit-il simplement. On est toujours sur le programme initial ?
— Ouais, la LAN est ouverte depuis une heure, l'équipe a réglé les premiers problèmes, déjà.
— Cool. On va sur quoi ?
— Labyrinth of Tears.
— Validé. On prend des stuffés ou on fait du nouveau ?
— Nouveau, on se fait chier ces derniers temps. Y'a des vagues de newbies d'ailleurs, on verra sur le recrutement des guildes ce que ça donne sur les nouveaux serveurs.
— OK.
Dans ses phalanges, il y avait déjà ce petit frisson de plaisir alors qu'il n'avait pas lancé le jeu en lui-même.
— J'ai un cousin qui nous rejoindra plus tard normalement, il doit me prévenir quand il pourra se connecter, dit une voix qu'Alex connaissait moins bien.
Super, encore un inconnu avec lequel il ne parlerait pas.
— Pas de souci, c'est un bon ?
— Noob, ricana le type. Enfin il joue à d'autres trucs, mais ce sera sa première sur celui-ci.
— Tu feras sa baby-sitter, marmonna Alex.
— Oh allez, Cassian, ne sois pas rabat-joie comme ça, c'est toujours marrant les nouveaux !
— Ouais, bien sûr, surtout quand on doit tout leur passer parce qu'ils font la gueule sinon.
— Eh, c'était mon petit frère, ça ne compte pas !
— Ça compte, il m'a brisé les couilles pendant trois parties.
— Mais il avait neuf ans, allez !
— Vous me l'avez refourgué sans prendre mon avis en considération.
— Tu adores les gosses.
— Faux.
— Les gosses t'adorent alors.
— Va chier. Eh, il a quel âge ton cousin ?
— Je sais plus, la dernière fois que je l'ai vu il venait d'avoir vingt ans, mais c'était y'a un bail.
Alex retint un long soupir de soulagement. On était assez loin du petit merdeux qui hurlait dans son micro et à qui il fallait laisser tous les butins, sous peine de l'entendre pleurer et supplier durant toute la partie. Du plaisir pur, vraiment.
— OK, murmura-t-il.
— Quoi OK ? Mec, t'as cru que t'aurais le dernier mot ? Il est déjà enregistré sur la LAN, hein.
— Mh.
Mieux valait ne pas aller plus loin dans cette discussion, aussi demeura-t-il évasif. Dans un coin de l'application, un onglet clignota, attirant son attention, et il ouvrit le message privé de Adamute en retenant un souffle agacé. Un peu de tranquillité et simplement jouer, était-ce trop demander pour ce soir ?
Adamute : Ça va ?
Cassian_Ed : Oui
Adamute : Son cousin est sympa, j'ai joué avec lui une fois
Cassian_Ed : Super, tu m'en vois absolument ravi
Adamute : Fais pas la tronche, allez
Les rires résonnaient dans son casque, entretenant un agacement latent. Il n'avait jamais été très porté sur les interactions sociales et, à part quelques contacts comme Adamute qu'il appréciait pour son calme, il maintenait seulement un minimum sa capacité à supporter autrui grâce à son travail. Faire la caisse face aux vieilles du quartier, c'était plus que suffisant. Il avait de la chance qu'elles trouvent « adorable » son air continuellement renfrogné, car son patron n'était pas totalement du même avis qu'elles.
Adamute : ça s'est arrangé avec ton mec ?
Il grogna.
— Qui c'est l'ours des cavernes ? lança une voix dans son casque.
Bon sang, il était toujours connecté sur son micro.
— Je me suis cogné, se justifia-t-il rapidement. Bon, on en est où ?
— Ben on t'attend depuis cinq minutes, t'es parti chier ou quoi ?
— J'arrive.
Déjà en retard sur les autres, Alex se dépêcha de commencer la création d'un nouveau personnage sur son second écran. Un chevalier, ça lui changerait des mages qu'il incarnait habituellement. Quelque chose de bourrin, de rentre-dedans. Un peu comme Sofian.
À cette rapide pensée pour son compagnon, son attention revint vers la fenêtre de discussion. L'onglet d'Adamute clignotait de nouveau, bien qu'il avait quitté leur conversation privé sans répondre à la dernière question. Insistait-il pour savoir de quoi il retournait ? Ou demandait-il autre chose ? Si cela avait eu un rapport avec la partie qui se lançait, son camarade n'aurait pas hésité à parler dans son micro. Il n'y avait que des échanges personnels dans ce canal écrit. Trop personnels, parfois.
Car ce n'était pas la première fois qu'Alex se confiait à son ami après une dispute avec Sofian. Si dispute il y avait réellement eu. Était-ce le cas ? Il avait beau tourner et retourner les paroles qu'ils avaient eus, il ne savait pas vraiment qu'en penser. C'était stupide.
Fais des efforts, putain.
Mais Sofian n'avait rien dit. Peut-être était-ce là le pire. Plutôt que le silence, les mots piquants et blessants auraient probablement été pour le mieux. Plus compréhensible, plus légitimes. Il ne se serait pas senti aussi misérable. Aussi responsable de la situation.
Il pourrait peut-être y remédier ce soir. C'était stupide. Tout ça pour du...
— Putain, Cassian, qu'est-ce que tu branles ? s'agaça la voix grave de Flavy.
— Je lag un peu, mentit-il.
— Tu vas pouvoir jouer correctement ?
— Ouais, ça ira.
Ça irait mieux s'il avait l'esprit serein et les idées claires, mais il ne pouvait vraisemblablement pas tout avoir. Cependant, il fallait bien avouer qu'une fois qu'il avait rejoint l'équipe, ses pensées moroses s'éloignaient. Comme d'habitude. Le brouillard dans son cerveau lui semblait moins dense tandis qu'il se concentrait sur autre chose.
Autre chose que ses erreurs, autre chose que la déception qu'il créait chaque jour un peu plus chez son compagnon.
L'onglet clignotait toujours. Il désactiva l'écran en question pour ne plus être perturbé durant les heures à scruter des paysages virtuels, essayant de garder son attention sur ce qu'il faisait. Il n'était pas seul, après tout. Et une partie de son salaire du mois dépendait de cette soirée.
— Et dix niveaux ! Ça va plutôt vite au début, dites donc !
— Noob, ricana Solarene quand son personnage s'empara du contenu d'un coffre à peine ouvert.
— Eh, connard !
— Escargot, va. Qui prévoit un mage, les gars ? J'ai un bâton pour niveau vingt, dégâts de feu augmentés.
— Fais péter.
— T'as commencé un tank, Cassian.
— Ah oui, merde. J'ai plus l'habitude des paladins.
— T'es complètement à l'ouest, ça va vieux ?
Alex tendit l'oreille, mais Adamute demeura silencieux, ne laissant aucune information sortir. Un bon ami, jugea-t-il. Au moins, les choses restaient entre eux. Pourtant, il ne savait pas s'il était de bon ton de se confier à lui sur ce sujet en particulier. Comprendrait-il la situation ?
— Ça va, marmonna-t-il enfin. Juste un peu fatigué.
Agacé. Ennuyé. Il n'arrivait pas vraiment à passer outre tout ce qui encombrait son esprit. Les mots de Sofian tournaient et retournaient, lui étreignant la poitrine encore et encore. Il inspira profondément, puis expira.
— Cassian, je t'ai envoyé un document en privé, dit soudain la voix de Adamute. Tu peux jeter un œil ? J'aurais besoin d'un avis.
— Adam, bordel, on joue là !
— Ouais, deux minutes, c'est important, on me casse les pieds ici et je sais pas comment gérer ça. Cass s'y connait.
En quoi pouvait-il s'y connaître, au juste ? IRL, il était un simple employé de supérette, il n'avait pas...
Oh.
Il avait rallumé l'écran de gauche. Ouvert l'onglet de Adamute. Déjà survolé ses messages de plus tôt.
Adamute : Si tu as besoin de parler, n'hésite pas.
Adamute : Enfin on est amis, je pense.
Puis, ceux plus récents :
Adamute : Respire. Je te file mon numéro, on s'appelle. Mets ton micro et ton casque en mute.
Bon sang.
Même si tout dans son cerveau hurlait qu'il n'avait pas à emmerder quelqu'un avait ses soucis personnels, il se trouva cependant avec son téléphone à l'oreille et un appel lancé sur ce numéro offert. Un ami, hein ? Adam lui avait déjà prouvé à de nombreuses reprises qu'il était de confiance, oui. Peut-être le seul. Sa nature trop réservée et méfiante faisait qu'il n'avait pas un gros entourage, et il s'était toujours dit que c'était pour le mieux. Il était tellement à l'inverse de Sofian que, parfois, il se demandait pourquoi ils étaient encore ensemble après presque vingt ans de couple. Pourquoi Sofian s'infligeait autant de frustration et acceptait tous ces compromis pour lui. Il aurait pu avoir bien plus. Il aurait pu tout avoir, en fait.
Et il l'avait, lui, Alex.
Pourquoi, bon sang ?
— Cassian ?
La voix au bout du fil lui était inconnue. C'était étrange. Et rassurant à la fois. Comme si ne pas connaître cette personne, ne pas l'avoir face à lui, faisait qu'il n'avait pas à culpabiliser de vouloir lâcher ce qu'il avait sur le cœur. Il aurait aussi pu appeler sa mère, mais même si elle n'avait pas de problème avec leur relation, elle avouait, bien que du bout des lèvres, que parler de sexe était gênant. Il pouvait comprendre. Ce n'était pas comme si elle pouvait se mettre à sa place.
Alors, après une ou deux tentatives pour saisir l'origine de ce qui le dérangeait, il avait abandonné la possibilité de se confier à elle malgré leur proximité.
Être seul n'avait jamais été un souci jusque-là. Du moins l'avait-il cru. Il se rendait compte, avec les années qui s'étaient écoulées, qu'ils avaient entretenu quelque chose qui avait grossi, grossi, grossi, pour devenir l'éléphant dans le magasin de porcelaine qu'étaient leurs sentiments mutuels. En son sens, en tout cas.
— Salut, souffla-t-il.
— Je n'étais pas certain que tu appellerais, merci de l'avoir fait.
— Je... merci pour ta proposition, c'est...
C'est sympa. Dis-le, abruti.
— Merci, répéta-t-il seulement.
— Pas de quoi. Je comprends ce que c'est de ne pas savoir à qui parler. Je veux dire, les sujets importants. Personnels. Enfin, tu vois. Ce genre de choses.
— Ouais.
Adamute, ou Adam de son vrai prénom. Tout ce qu'Alex connaissait de lui, c'était qu'il était plus jeune de quelques années et ne basait pas son avenir professionnel sur le streaming, contrairement aux autres du groupe qui espéraient une carrière foisonnante. Soit il avait la tête sur les épaules, soit il avait mieux à faire dans sa vie. Peut-être les deux, un peu comme lui-même.
— La dernière fois, tu m'as parlé d'une dispute, lança Adam. C'est ça qui te mine ?
Alex laissa passer quelques secondes, le temps de tourner les mots comme il le souhaitait. C'était toujours compliqué de converser, de poser des expressions sur des sentiments, des émotions qu'il ne parvenait pas forcément à démêler.
— J'y pense beaucoup, admit-il.
— Vous n'en avez pas rediscuté ? Vous vous parlez, d'ailleurs ?
— On parle.
— Et ?
C'était un peu succinct, d'accord. Il soupira.
— J'ai arrêté de faire la gueule, marmonna-t-il.
— Et vous avez parlé, tu disais ?
— Ce n'est pas... que c'est un sujet sur lequel... enfin, c'est difficile d'échanger sur ça...
— C'est grave ?
— Pas vraiment...
Du moins, il ne lui semblait pas. Pas jusqu'à quelques mois auparavant. Ou plutôt années, à présent. Depuis combien de temps Sofian lui faisait-il des remarques ? Deux, trois années ? Au moins. Pourquoi n'y faisait-il pas attention lui-même ? Pourquoi ne repérait-il pas ce problème quand il se présentait ? Quelle était la différence avec leur situation deux ans auparavant ? Il ne jouait pas plus, il avait toujours son travail à la supérette, alors pourquoi y avait-il ce changement si flagrant ?
— S'il n'y a rien de grave qui implique la vie de l'un de vous deux, alors vous pouvez en discuter, crois-moi, dit soudain Adam.
La façon dont il tournait la chose était un peu étrange, mais soit. Alex pouvait saisir, en quelque sorte, où il souhaitait en venir.
— Il ne comprend pas, soupira-t-il.
— Tu lui as expliqué ?
— Je lui ai... j'ai essayé de mettre des mots sur la situation.
Essayé était bien le terme.
— J'ai un peu de mal à me positionner sur le truc, avoua Adam. Je veux dire, en ne sachant pas de quoi il est question. Je peux comprendre l'ensemble, mais le sujet...
— Je n'ai pas d'envie sexuelle.
Un blanc. Il avait prononcé sa phrase à toute vitesse, incertain si les mots étaient bien ceux-là, si c'était son véritable problème ou quoi que ce soit. Actuellement, ça y ressemblait. Et il ne savait pas comment y remédier. Comment faire en sorte que Sofian ne le vive pas si mal, ne se sente pas si peu désirable à cause de lui ?
— Oh. C'est... ouais. Effectivement.
Exactement le genre de réponse qu'il ne souhaitait pas entendre.
— Je vais te laisser, marmonna Alex.
— Non non non, attends ! Excuse, je ne m'imaginais pas quelque chose comme ça, c'est... une seconde, tu veux ?
Son cœur battait à tout rompre et il détestait cette sueur glacée qui couvrait sa peau. C'était si personnel. Pourquoi essayait-il, au juste ? Pourquoi un quasi-inconnu était-il son confident alors que ça aurait dû être avec son compagnon qu'il était censé échanger sur ce sujet ?
Parce que Sofian ne comprenait pas.
C'était l'amer constat qu'il faisait.
Il y eut du mouvement autour d'Adam, quelques mots murmurés, certains d'une voix différente de la sienne, puis ce qui ressemblait au bruit d'un bref baiser. Ensuite, de nouveau, le calme.
— C'est bon. Je suis tout à toi.
— Les autres vont nous déglinguer.
— Tant qu'on joue, on s'en fout.
Sur son écran de jeu, effectivement, tout se passait normalement. Peut-être que Solarene hurlait, comme à son habitude, mais ce ne serait pas une nouveauté. Flavy devait ricaner. Les autres... devaient faire pareil. Il était même probable que personne n'ait remarqué leur absence du canal audio, puisqu'ils continuaient de suivre la partie et d'agir.
— C'est un problème de libido ? demanda soudain Adam.
La question le prit de court et il lui fallut quelques instants pour rassembler ses neurones et faire le point.
— Euh... aucune idée. Non. Je ne crois pas...
— Désolé si c'est cru, mais tu la lèves ?
— Évidemment que oui ! grogna-t-il aussitôt. Je ne suis pas impuissant, j'ai même pas trente-cinq ans, déconne pas.
— T'es rapide à répondre sur celle-là, gloussa Adam. J'imagine que ta matinale se porte bien.
Malgré lui, il bougonna quelques secondes tout en ayant du mal à retenir son sourire amusé. Ça se portait bien, en effet. Sauf quand il déprimait comme depuis deux jours, mais c'était une autre histoire.
— Vous faites encore l'amour ? Je crois me rappeler que ça fait un moment que vous êtes ensemble.
— Dix-neuf ans bientôt. Et... oui.
— Et ça se passe bien ?
— Quand on le fait, oui.
— On commence à toucher un truc, je pense.
Alex fronça les sourcils. Peut-être, mais il peinait à trouver quoi. Il n'y avait pas ce « tilt » donc il avait besoin pour comprendre exactement de quoi il retournait.
— Peut-être que ça fait trop longtemps, murmura-t-il.
— Plus la flamme, tu veux dire ?
— Je ne sais pas. Peut-être.
— Dis ?
— Ouais ?
— Tu l'aimes ?
— Putain, oui !
Plus que tout. Un univers et une vie construits avec Sofian.
— Cette réponse était encore plus rapide que ta gaule du matin, mon gars, ricana Adam. Garde bien ça en mémoire, au cas où. C'est quoi le problème, vraiment ? Il te fait bander, lui ?
— Oui.
Pas de souci de ce côté-là non plus.
Quand ils en arrivaient à des moments intimes.
Du bout des doigts, il massant entre ses sourcils, la zone trop tendue.
— Putain, souffla-t-il.
— Pas tant que ça ?
— C'est pas... non, c'est pas ça le hic. Il initie les contacts, il a envie, il lance les choses, bref, c'est parfait et je bande sans difficulté.
— Mais ?
— Mais c'est seulement dans ce sens-là que ça marche.
Là. Le blocage était quelque part par-là. Il le sentait, il le savait. Touche le problème du doigt et ne le lâche plus.
— C'est comme si... en fait, on se prend la tête parce que... enfin, il voudrait que ça vienne de moi, mais... comment dire ça ?
— Ce n'est pas ton truc, devina Adam.
— En quelque sorte... J'aime quand on a des rapports, quels qu'ils soient, mais...
— Est-ce que tu as des envies ? Envie de lui, envie de lui faire des choses ?
— Hein ? Bien sûr, ça m'arrive.
— À quelle fréquence ? Quels moments ? Je veux dire, en dehors de quand lui initie les relations, Cassian.
— Je...
Le cours de ses pensées, alors qu'il fouillait dans ses souvenirs, dans ses habitudes, dans tout cela, lui donna l'impression d'avoir soudain cessé. Rien. Des bribes de quelque chose.
— Je ne suis pas certain... parfois... Ça arrive parfois... Écoute, je ne tiens pas un carnet, hein !
— De ce que j'ai là comme indices, vous vous aimez, il a du désir pour toi et tu le lui rends bien quand il initie les choses, mais il souhaite que ça vienne tout autant de toi et ce n'est pas le cas parce que ça ne te vient pas ?
Alex sentit son souffle se couper. Ça. C'était une grosse piste. Ça y ressemblait. Et c'était... effrayant ? Peut-être. Il ne savait pas comment y réfléchir, comment se positionner.
— Cass ? Ça va ?
— Je... crois ? Il y a peut-être de ça, c'est... je pense que tu as résumé le truc...
— C'est seulement ce que je déduis avec ces éléments, je peux me tromper, fais gaffe.
— Mais c'est déjà beaucoup plus que ce que j'avais comme analyse, soupira Alex.
— J'ai une question. Je peux ?
— Au point où on en est...
— Ton mec t'en veut ? C'est quoi votre dispute exactement ?
Au souvenir de l'expression blessée de Sofian deux jours plus tôt, Alex déglutit et ferma les yeux. Il ne pouvait pas fuir son image. Il en était responsable.
— Il s'imagine qu'il n'est pas désirable.
— Aïe, ça pique pour son ego, effectivement. Il fait quoi comme boulot, d'ailleurs ?
— Barman.
— Oh.
— Dans un club gay.
— Ah ouais, quand même. Attends, et il pense qu'il ne plaît pas ?
Alex renifla.
— Qu'il ne me plaît pas. Je crois.
Ce serait le plus logique, parce que bon sang, il avait déjà vu la façon dont tous ces types posaient les yeux sur son compagnon, les rares fois où il était sorti de sa tanière et l'avait accompagné à des soirées privées sur son lieu de travail. Et Sofian était tout sauf non-désiré là-bas. À chacune de ces excursions, Alex devait se montrer particulièrement coulant et accepter que la vie professionnelle de Sofian comportait également ce morceau-là : plaire, attirer. C'était plus facile pour que les gens consomment, lui avait dit un jour Sofian sans paraître perturbé par le fait que des centaines d'hommes, probablement, avaient envie de se faire culbuter sur le comptoir du bar. Ou de le culbuter. Dans les deux cas, la jalousie lui avait brûlé les veines d'une vilaine façon.
— Je pense que je n'apprécierais pas des masses si mon mec était entouré de gars en rut, marmonna Adam.
— Ton mec ? T'as un mec ?
— Ouais.
— J'ignorais que tu étais gay.
— Tu ne sais pas grand-chose de moi, gloussa l'autre homme.
— C'est vrai, je ne suis pas trop du genre à faire la causette. Tu as un boulot ? À part jouer, je veux dire.
— Je suis mannequin.
— Euh... oh.
— Rien d'extraordinaire, ne t'en fais pas. Ça paie le loyer. À deux, on s'en sort plutôt bien.
— Il est mannequin aussi ?
— Non, photographe.
— Tu es son seul modèle ?
Un gloussement, de nouveau. Adam semblait plus à l'aise, même si sa timidité transparaissait malgré tout.
— Grands Dieux, non, on vivrait sous les ponts ! Il bosse pour quelques agences, dont la mienne. Tu as peut-être vu quelques-uns de ses clichés, enfin si tu as des magazines de mode.
— Peut-être, dit-il seulement.
Ou pas. Sofian, peut-être, car Alex n'avait pas mis le nez dans un truc du genre depuis... il n'osait même pas compter les années. Bon sang, son désintérêt des choses ne se limitait visiblement pas au sexe.
— Pour en revenir à ton affaire, reprit Adam tandis que son personnage pillait une flopée de coffres, je t'avoue que je ne sais pas trop quoi te dire. Hors de question que tu t'obliges pour du sexe, évidemment.
Alex grimaça. Ce n'était pas qu'il se forçait. Seulement que ça ne lui venait même pas à l'esprit. C'était pire. Il se donnait l'impression de s'en foutre royalement.
— Non, bien sûr...
Et chaque moment possible passait, sans rien. Il n'avait pas vu que la détresse de son compagnon était grandissante face à son... rien. Juste ça.
« Tu sais ce que ça fait, quand celui que tu aimes ne te regarde même pas ? »
Il avait l'impression que tout son corps se serrait à ces mots.
« Dis-moi ce que j'ai fait, au moins. »
Peu importait les étreintes, les baisers. Il y avait un manque que son esprit vagabond ne pensait pas à combler.
« Je me sens seul, Alex. »
Et c'était si douloureux. Sa voix, ses mots, son expression, sa peine tout entière. Il l'avait absorbée, incapable de savoir comment réagir à tout cela. Figé.
« Je suis désolé de ne pas être celui qu'il te faut. »
Mais y'avait-il seulement une solution pour eux ?
Équipés, avec du niveau
Nouveaux (ici, joueurs)
Dérivé un peu plus péjoratif de « newbie »
In Real Life – Dans la vraie vie (terme très utilisé dans le milieu numérique/geek, et aujourd'hui devenu assez répandu à l'oral)
Silencieux ; désactivation du micro
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