1.8 : Orage

Clay frottait méthodiquement son arme. Le geste répétitif avait un effet calmant sur son esprit. Dans le silence de la pièce, il essaya de se vider la tête. D'oublier les yeux de la gamine. Il avait pris un bain, et il appréciait de ne plus sentir la sueur et le cuir. Les effluves citronnés qu'il dégageait à présent étaient très agréables. Il aurait dû descendre pour manger. Il avait flairé une délicieuse odeur de rôti un peu plus tôt, et il était persuadé que la tenancière lui avait conservé une part au chaud. Mais il n'avait pas faim, et il tombait de sommeil.

Une fois sûr que ses Smith & Wesson étaient impeccables, il les rangea dans leur holster et les accrocha sur le montant du lit.
Avec un soupir de lassitude, il s'allongea sur le lit moelleux. Les mains croisées sous sa nuque, il fixa une petite araignée qui galopait sur le plafond. La chambre était pourtant propre ; la minuscule bestiole avait, sans doute, fait ses quartiers après le passage de Lottie.
Le tic-tac de l'horloge en bois qui trônait au bout du couloir finit par avoir raison de ses pensées. Il s'endormit alors que le soleil déclinait.

Ses nuits se déroulaient toutes de la même façon. Dans ses rêves agités, il vaquait à ses occupations quand des coups de feu éclataient. Il faisait alors toujours la même chose : il dégainait ses armes sans même y penser et abattait les intrus qui voulaient s'en prendre à lui. Mais il n'avait jamais affaire aux enfants de salauds qui méritaient leur sort, aux assassins, violeurs et pilleurs. Non, il se retrouvait face aux innocents qui avaient eu le malheur de se trouver sur la trajectoire de ses balles. Il y avait eu cette femme, dans le Missouri. Elle s'était précipitée au-devant de son mari. L'individu avait braqué un train et assassiné deux personnes, mettant en rogne le Marshal fédéral* du coin. Pour une prime intéressante, Clay avait participé aux recherches. Il se doutait bien que le fugitif refuserait de le suivre, mais il n'avait pas anticipé la réaction de son épouse. Alors que le voleur allait sortir son arme, il avait tiré. Toujours plus rapide. Mais elle s'était jetée devant son mari et était morte dans ses bras, sous les yeux de ses fils.

À la fin, l'homme avait été arrêté pour être pendu, et les enfants déposés dans le Train des Orphelins*.
Cette nuit ne faisait pas exception. Il revoyait cette mère qu'il avait tuée, mais aussi la gamine qui avait voulu le dépouiller.
Leurs appels, leurs cris se répercutaient dans sa tête, au point de l'étourdir. Leurs prunelles vides le hantaient. Il sentait l'horreur envahir ses entrailles, l'oppresser à lui couper le souffle. Il haleta, et chercha à reprendre une goulée d'air.
Un vacarme assourdissant le réveilla en sursaut. Il attrapa ses armes en une fraction de seconde, prêt à faire feu.
Le grondement roula dans le lointain, prit de l'ampleur puis se déchaîna juste au-dessus de lui, accompagné d'éclairs aveuglants.

Clay tenta de calmer les battements affolés de son cœur.
La respiration saccadée, il reposa ses révolvers et se leva. Le tonnerre avait éclaté sur la petite ville de Sérénité. 
La veille au soir, il avait laissé la porte-fenêtre entrouverte pour rafraîchir l'intérieur de la chambre. À présent, le vent s'engouffrait dans la pièce. Torse nu, il s'appuya sur le chambranle pour contempler l'orage, avant d'allumer une cigarette et la savourer devant les cieux en colère. L'averse faisait un bruit tonitruant sur le toit de la pension. Une rafale plus forte que les autres l'éclaboussa de pluie. Il ne bougea pas d'un pouce, le bout rougeoyant de la cigarette entre ses lèvres.

En contrebas, dans la pénombre, il perçut un mouvement. Il plissa les yeux et observa. Un coup d'œil sur le lit lui apprit qu'il y avait oublié ses Smith & Wesson. Mais s'il ne restait pas immobile, il se ferait remarquer. L'attente dura de longues minutes, puis un nouvel éclair illumina la scène, et Clay sentit ses muscles se relâcher. Devant lui, sous l'auvent d'un appentis, la demoiselle qui l'avait bousculé attendait la fin de l'ondée. Le cowboy aurait pu l'ignorer si elle n'avait pas été vêtue d'une robe sexy, au décolleté plongeant, qui dévoilait ses chevilles et ses mollets.
Elle ne semblait pas avoir conscience de sa présence.
Il se décolla du chambranle et s'avança vers la balustrade. Il aspira une grande bouffée de cigarette, et souffla la fumée dans la nuit.

Il pleuvait toujours, mais le plus gros de l'averse était passé.
Que pouvait bien faire une jeune fille, seule en pleine nuit, dans une tenue si tapageuse ? À moins, bien sûr, qu'elle n'ait caché son jeu la première fois. Lorsqu'elle l'avait percuté, il avait cru se trouver en face d'une jeune fille de bonne famille. Sa toilette était raffinée et de qualité. Mais maintenant, il se disait qu'elle était peut-être très excellente comédienne.
Il plissa les yeux et l'examina avec attention. À ce moment-là, elle leva la tête et l'aperçut. Son corps eut un mouvement de recul et l'obscurité de l'appentis l'avala.
Clay soupira, tira une dernière bouffée sur sa cigarette et la jeta dehors avant de rentrer. Il se tournait lorsque, du coin de l'œil, il vit la silhouette furtive courir vers la pension.
Une seconde plus tard, il entendit la porte d'entrée claquer, et des pas précipités dans l'escalier.

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