La jeune femme connaissait toutes les stratégies pour gagner sans éveiller les soupçons. Il n'était pas envisageable qu'elle exhibe une quinte flush ou même un full. Ses années d'expérience lui avaient enseigné que certaines combinaisons ne sortaient que très rarement.
Elle préféra une suite. Plus fort que le brelan, mais beaucoup moins qu'une flush ou un full.
Le premier homme plaça un dollar sur la table.
— Vous pensez sincèrement qu'une nuit avec moi ne vaut qu'un seul petit malheureux dollar ?
Elle se rencogna sur sa chaise, imitant à la perfection le dédain qu'elle ressentait. De la main, elle remonta sa robe d'un profond rouge carmin sur ses cuisses. Le regard des deux individus s'assombrit. Ils commençaient à avoir une très bonne idée des atouts dont ils allaient pouvoir profiter.
Le type réfléchit un instant puis récupéra son dollar pour extirper une pièce d'or de cinq dollars, de sa poche.
Eden retint son souffle. Elle se tourna vers l'homme au chapeau et attendit sa mise. Les mains cachées sous la table, elle croisa les doigts.
Il pouffa et secoua la tête comme si la partie qu'il était en train de jouer lui paraissait folle.
À coup sûr, elle l'était.
À son tour, il misa, et déposa un billet de dix dollars sur la table. Eden manqua de crier victoire, mais au lieu de ça, elle prit une inspiration pour rester calme.
La partie se déroula comme la précédente. Ils échangèrent tous quelques cartes, avant d'étaler leur jeu.
Celui à sa gauche avait une paire d'as. C'était un bon jeu, mais malheureusement pas assez fort.
L'homme au chapeau avait deux paires : deux as et deux rois. Il aurait pu remporter la main.
Mais Eden ne comptait pas perdre.
Elle écarta lentement ses cartes les unes des autres. Au fur et à mesure que les cartes se dévoilaient, le visage du type se décomposa.
Une suite.
Eden remportait la mise.
Le moment le plus délicat était venu. Peu d'hommes appréciaient de se faire plumer par une donzelle.
Alors qu'elle guettait la réaction de son adversaire, elle sentait son cœur battre la chamade. S'ils comprenaient qu'elle avait triché, elle était morte. Ils s'amuseraient sans doute un peu avec elle avant.
Les secondes s'égrenèrent dans le brouhaha indifférent du saloon.
Au bout de ce qui sembla une éternité, l'homme au chapeau sourit, puis éclata de rire.
— Tu as eu une sacrée veine, poupée !
Eden respira à nouveau.
— La chance du débutant, bafouilla-t-elle.
Des fossettes espiègles se dessinèrent sur ses joues quand elle sourit.
Elle rafla la mise et fourra le tout dans son réticule.
— Messieurs, salua-t-elle, ce fut un plaisir.
Alors qu'elle se préparait à repousser sa chaise, l'homme au chapeau l'attrapa par le bras et lui déroba un baiser. Surprise, la jeune femme donna un coup sur sa poitrine, mais il l'avait déjà relâché.
— Bonne route, petite...
Son visage était grave, son ton presque protecteur.
Eden hésita.
Il la lâcha enfin et se leva. Pour la première fois de la soirée, il ôta son chapeau et s'inclina devant elle comme un vrai gentleman. Elle découvrit sa chevelure sombre, avant qu'il ne se recoiffe de son couvre-chef.
— ... et prends soin de toi.
Sur ces quelques paroles, il s'éloigna suivi de son compère.
Eden les suivit des yeux, jusqu'à ce qu'ils disparaissent du saloon.