1.5 : Poker 2

Le dernier tour arriva.
Ils échangèrent plusieurs cartes de leur jeu pour de nouvelles. Eden passa son tour. Ses deux paires lui convenaient pour la suite.
Les hommes alignèrent leurs cartes, face visible, sur la table ; la jeune fille sourit. Compter les cartes, c'était son truc. Elle s'entraînait depuis des années malgré son jeune âge.
Elle avait débuté sur les genoux de son père, alors qu'il jouait partie sur partie, face à des adversaires qui misaient gros. Elle était son petit ange, son porte-bonheur. Quand il s'était aperçu de ses capacités exceptionnelles, alors qu'elle atteignait presque treize ans, elle était devenue sa magicienne. Les cartes disparaissent et réapparaissaient dans des mains. Elle était capable de donner une quinte flush royale, ou un full aux as à qui elle voulait. Ces tours de passe-passe leur avaient permis de vivre confortablement, de ville à ville, à travers tout le pays.
Jusqu'à la mort de son père, tué dans une rixe d'ivrogne, l'année passée.
À son souvenir, son cœur se serra.
Un raclement de gorge la ramena à la réalité. Elle retourna ses cartes, et révéla une paire de cinq et une paire de huit.
Elle éclata d'un rire enfantin, et battit des mains. Alors qu'elle s'apprêtait à récolter la mise, l'homme au chapeau l'arrêta.
— Du calme, ma belle, lança-t-il d'un air assuré. Je crois que c'est moi qui remporte la mise ce soir.
Il désignait son brelan du doigt.
L'autre type n'avait qu'une paire de deux.
Eden ouvrit de grands yeux effarés. Son père aurait été fier de la voir simuler aussi bien la comédie.
— Mais non ! J'ai deux paires, Monsieur ! C'est bien plus fort qu'un simple brelan ! J'ai quatre cartes, vous n'en avez que trois !
Son ton offusqué monta dans les aigus, et plusieurs personnes se retournèrent vers eux, curieuses.
L'homme au chapeau eut un rire indulgent.
— Désolée, princesse, mais je t'assure qu'un brelan est plus fort que deux paires.
Il lui fit un clin d'œil amical. Eden regretta un instant d'être obligée de lui jouer cette entourloupe. Mais ses regrets s'évaporèrent quand elle repensa au bon lit moelleux et au repas chaud qu'elle aurait grâce à cet argent. La jeune femme pivota vers l'autre type, qui lui confirma d'un signe de tête.
Elle parodia alors avec brio, la femme désappointée, et émit un puissant soupir de frustration. Elle ramassa les cartes d'un geste brusque. L'homme au chapeau s'empara de son poignet. Avec douceur, mais avec également une certaine force qui faisait comprendre à la jeune femme qu'une promesse était une promesse. Il s'inclina vers elle.
Eden savait qu'elle devait le repousser, mais il lui fallait faire preuve de tact. Une moue boudeuse affichée sur son visage, elle plaqua sa main sur la bouche de l'individu avant qu'il n'ait pu atteindre ses lèvres. Ce dernier fronça les sourcils et la jeune femme remarqua un début d'agacement dans ses prunelles.
Elle devait jouer serré.
— Une deuxième partie ?
Elle avait baissé la voix, et chuchotait d'un ton conspirateur.
Le cowboy se crispa. Elle percevait sa méfiance. Du coin de l'œil, elle voyait également l'autre homme la fixer, les traits mécontents.
Il raffermit la prise sur son poignet et la tira brusquement vers lui. Eden hoqueta, de surprise et de douleur.
— Et que promets-tu en échange ? 
Son intonation plus sévère attisa sa peur.
Elle prit sur elle de ne rien laisser paraître. Il n'était pas si stupide que ça, et l'appâter avec un autre baiser était inutile.
Elle se pencha à son oreille pour murmurer.
Il écarquilla les yeux. Aussitôt, il scruta son corps, lorgnant sa poitrine, promesse de délice pas encore consommé.
— Une nuit, vraiment ?
Son ton était encore méfiant. Eden ne ressemblait pas à une des prostituées du saloon. Elle était beaucoup plus jeune, et moins usée par la vie. Ses yeux pétillaient d'une malice que n'avaient pas les autres courtisanes. Une telle aubaine était presque impensable.
Comme elle voyait qu'il n'était pas encore tout à fait convaincu, elle prit son courage à deux mains, et posa ses lèvres sur les siennes. Un frisson d'angoisse la parcourut quand elle sentit ses bras se resserrer autour d'elle.
Son père lui avait appris à ne rien montrer de son jeu. Pour gagner au poker, c'était indispensable. Alors, elle mit en œuvre ses leçons : elle resta de marbre pendant qu'il écrasait sa bouche contre la sienne.
Puis elle décida que cela avait assez duré. Elle se recula, sans hâte, et décrocha gentiment ses bras, qui la maintenaient contre lui.
Un désir avide chatoya dans le regard du cowboy. Elle souhaitait l'amadouer, elle semblait avoir réussi.
L'autre homme les observait d'un œil goguenard. Eden rougit et se racla la gorge.
— Alors... une autre partie, Messieurs ?
Ils hochèrent la tête.
Encore une fois, elle distribua les cartes. Et cette fois-ci, hors de question qu'ils gagnent. Mais elle devait tout de même les appâter pour qu'ils misent. Et bien plus que tout à l'heure.
Elle attribua donc une paire d'as à chacun. Et lorsqu'ils jetèrent un coup d'œil sur leurs cartes, leurs yeux étincelèrent des étoiles de la victoire.
« À nous deux, mes jolis... »

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