Chapitre 1

Assise tout en haut de la falaise qui surplombe la vallée, je me penche vers l'arrière. Mon esprit suit les vents tempétueux qui s'affrontent en remontant le long de la roche et vagabonde autour des nuages paresseux qui défilent dans le ciel. Rêveuse, je m'imagine toucher le blanc duveteux qui parcourt le ciel et descendre en de petits sauts enfantin jusqu'à la mer, si lointaine et que je n'ai jamais vu. 

La journée est belle, la nature est verdoyante, le ciel et clair, et au loin, je peux apercevoir la bourgade du creux de la vallée, où les rires des enfants jouent avec les échos. Tout est calme et paisible, comme ça l'est depuis toujours. Je n'ai pas souvenir d'un moindre malheur survenu dans le village. Loin de tout et protégé du monde par les montagnes, nous entendons rarement parler de ce qu'il se passe de l'autre côté. La neige des montagnes, qui descend des monts au printemps, nous rapporte parfois quelques cadavres couverts de sang séché et conservés par la glace. Ces corps inquiètent les aînés, qui craignent la guerre, mais cela ne nous concerne pas. Les armées auraient trop de mal à atteindre l'autre côté des montagnes, à atteindre notre petite vallée, pour perdre du temps à y venir. En totale autarcie, nous ne faisons de mal à personne, mais serions bien incapable de nous défendre en cas d'invasion. Voilà maintenant bien des générations, selon les aînés, que nous n'avons pas eu de contact, autre que les morts, avec l'autre côté.

Souriante, je me penche vers l'avant pour que les courants ascendants viennent soulever mes cheveux bruns emmêlés. J'aime bien cet endroit si près du ciel. Il faut quelques heures pour l'atteindre les beaux jours, mais ça en vaut la peine. Le petit promontoire offre une vue incomparable sur les horizons et on peut même y apercevoir un pan de l'autre côté des montagnes lorsque le ciel est dénué de nuages. Il y en a trop aujourd'hui, mais il arrive parfois que j'arrive à voir les grandes plaines qui constituent le reste du monde, de l'autre côté des rocs et des monts. Il n'y a rien qui me fasse sentir plus libre. C'est dans ce genre d'endroit qu'on peut réfléchir tranquillement à la vie, à quel point on est un petit point insignifiant et pourtant combien il est agréable de vivre juste pour ces moments de profonds questionnements. S'interroger sur le monde et sa conception, sur l'existence du Grand Créateur, des créatures toxiques comme les démons ou encore de la magie, que nous savons exister, mais qui n'a jamais atteint la vallée.

Un sifflement retentit alors dans la vallée, long et profond. Je souris et me relève doucement tandis que des petits nuages blancs à même le sol de la vallée commencent à bouger vers le village. C'est l'heure de rentrer le bétail, je dois me mettre en route pour le retour. Mes jambes me portent vers le petit chemin que j'ai moi-même créé à force de venir et je me retourne une dernière fois vers le promontoire. J'ai beau admirer ce spectacle souvent, je ne m'en lasse jamais. 

- Leyla !

Je me tourne d'un bond. Quoi ? Personne. J'étudie vite les lieux. Il n'y a absolument aucune trace et je n'ai entendu personne s'approcher. Hum... J'aurais juré entendre quelqu'un appeler mon nom. Les sourcils froncés et méfiante, je me remets en route, mieux vaut rentrer vite. 

- Leyla, non ! 

Je me tourne à nouveau. Qu'est-ce qu'il se passe ? On dirait que la voix vient de la falaise. Est-ce que quelqu'un a essayé de me suivre et s'y est coincé ? Je retourne vers le promontoire et me penche vers les parois lisses. Personne. J'appelle, ne sait-on jamais, mais rien d'autre que l'écho ne me répond. Je soupire, énervée contre moi-même, qui m'imagine des choses, et m'apprête à partir pour de bon avec un dernier regard vers les parois en dessous de moi. 

- Non ! Leylaaaaa ! 

J'esquisse un mouvement rapide pour me tourner encore une fois, mais une légère pression dans mon dos m'en empêche. J'ouvre la bouche pour hurler, mais c'est trop tard. Mon corps bascule vers l'avant et mes pieds se séparent lentement du sol. Tout se passe au ralenti. Ma tête se retrouve d'abord parallèle au sol, à des centaines de mètres plus bas, et dans un mouvement en arc, je me mets à tomber comme une pierre, crâne en premier, offert au choc mortel. Je... Je tombe ! Près de moi, la roche défile à une vitesse hallucinante et le sol est de plus en plus près. Le vent défile le long de ma peau et m'oppose une résistance qui me brûle. Je ferme les yeux et pousse un cri juste avant l'impact, qui me fait tomber sur les fesses. J'ouvre les yeux. 

Je suis encore en haut de la falaise, assise face au précipice. On ne m'a jamais poussé. Je viens d'halluciner. Quoi ? Au sol, je ferme les yeux et me secoue la tête. Ce n'est pas la première fois que ce genre d'hallucination m'arrive. À croire qu'à force de trop rêvasser, mes songes se mêlent à ma réalité. Le seul problème c'est qu'il est impossible de les différencier. Les voix qui me parlent sont à chaque fois semblable, mais je ne le comprend qu'après coup, impossible de m'en rendre compte avant. Avec un soupir, je me relève. Mes membres tremblent un peu, encore sous l'effet de la terreur de la chute, et je me mets en route vers le village.

Les quelques heures que prennent le retour se font dans le vide total de mon esprit. Je ne pense à rien, juste à ces voix qui m'appellent par mon nom et que je ne connais pas. Qui ai-je donc imaginé ? 

Une fois de retour au village, les fermiers qui rentrent chez leurs femmes rondelettes me saluent de la main et je leur répond d'un sourire et d'un hochement de tête. La plupart des femmes désapprouvent mon comportement de vagabonde, mais comme personne n'a le courage de se donner une bouche de plus à nourrir, je suis libre de mes allers et venues. Mes parents étant morts après m'avoir laissé ici, je suis prise en charge par un peu tout le monde. On se cotise pour me faire vivre. J'ignore comment leur rendre cette gentillesse, mais je fais de mon mieux pour m'instruire grâce aux livres que détiennent les gens de la place. Rares sont ceux qui comme moi savent lire et écrire, mais les quelques-uns de la bourgade ont consentis à me partager leur savoir. J'ai une bonne base en lettre et plus tard, j'aiderai avec l'administration et peut-être me rendrai-je utile dans les champs. 

On m'accueille à l'auberge du village avec des bonjours sympathiques qui me font sourire. On me propose alors d'aider à servir les clients et je le fais avec joie. La salle est animée pour une fois et je dirais que c'est grâce au succès des récoltes et à la période de prospérité que nous traversons. Des vois m'interpellent à droite à gauche, auxquelles je fais peu attention, jusqu'à ce que l'une d'entre elle sonne étrangement à mon oreille. Une chope de bière à la main, je me retourne vers son origine. Personne. 

... Je vais vraiment devoir arrêter d'entendre des gens qui n'existe pas... Je manque sans doute de sommeil. Un soupir s'échappe de mes lèvres et je continue mon service. Quand tout le monde commence à quitter, je les salue et leur souhaite bonne chance pour la journée du lendemain. On me sourit et me parle avec cette voix franche et forte des fermiers de la bourgade. Une fois seule avec l'aubergiste, qui loge aussi ici, je mange un des plats encore chaud puis je vais gagner ma chambre, aménagée dans le vaste grenier retapé pour convenir aux standards d'un logement. Il n'y fait ni trop froid, ni trop chaud, c'est bien isolé, et quelques fenêtres donnent sur les vastes prés des alentours. Sur la rue principale, je peux apercevoir les enfants qui courent encore avec cette joie qui leur est propre. Quelques ronchons essaient de les faire taire mais les gamins savent vite se faire pardonner avec des bouilles adorables.

Fatiguée par la longue journée et par toutes celles d'avant, je me laisse tomber sur mon lit avec un regard vers le petit coffret posé sur ma table de chevet. Dedans sont contenues des informations sur mes parents biologiques. Je n'ai pas envie d'en apprendre plus sur eux, mais je garde tout de même cette boîte, par respect de leur souvenir éteint. Je ne me rappelle aucunement de leurs visages et ils sont morts alors que j'étais si jeune. 

Une fois installée sous mes couvertures, mes yeux se ferment vite et je suis emportée par le royaume des songes. Un vent froid y souffle et caresse mon corps flottant. Je pense à peine à la chute que je pourrais faire, et rien ne me lâche tandis que je plane doucement. 

- C'est elle ?

Je cligne des yeux, tirée du sommeil par des voix graves que je ne connais pas. Serait-ce encore mon imagination qui me joue des tours ? Toujours couchée, je fais mine de rien et me concentre sur ce qui trouve derrière moi. Le plancher craque sous des pas... Ça pourrait aussi bien être le vacarme des souris que celui de pas discrets et légers. J'ignore que croire... Dans tous les cas, rester calme est le mieux que je puisse faire. Le plus naturellement du monde, pour ne pas alerter de peut-être agresseurs ayant pénétré dans le grenier, j'inspire et expire pour obliger mon coeur à battre moins vite. Allez, on se calme...

- Oui, c'est elle. 

Je sens que ce qu'il y a derrière moi se rapproche. Quelque chose me dit que ce ne sont pas des souris. Discrètement, je me décale contre le mur. La fenêtre est à seulement quelques pas. Si je les surprends, je pourrais l'ouvrir et sauter. Quoi que... C'est assez haut, et je risquerais de me casser quelque chose... Mais c'est ma seule chance.

Mon plan étant prêt dans ma tête, j'attend de voir ce que font les deux intrus. À moins qu'ils soient plus nombreux ? Peu importe ! Le matelas derrière moi s'enfonce légèrement. C'est le moment. En me tournant d'un bond, je lance ma couverture sur la personne qui a posé son genou sur mon lit et fonce vers la fenêtre. Je bouscule quelques trucs dans ma course et pose ma main contre la poignée, prête à sauter de l'ouverture la plus haute de l'auberge. 

Une main se pose alors sur ma bouche et me tire vers l'arrière. Non ! Je me débat et tente de m'échapper, sans succès. Des mains fortes me plaquent au sol et la troisième toujours posée contre mes lèvres m'empêche de hurler pour qu'on vienne à mon aide. Quelques paroles floues me parviennent et j'ai beau ne pas les comprendre, elles me font frissonner d'horreur. Mon corps est pris de convulsions irrépressibles et mes yeux se ferment contre mon gré. Alors que rien ne m'a touché et qu'on ne m'a rien fait manger, je sombre dans les abîmes de l'inconscience. 


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NDA : Woaaah ! Voilà le premier chapitre de réécrit ! L'introduction de la situation de Leyla est beaucoup plus longue et il n'y a pas de description d'elle-même encore, si ce n'est quelques détails ici et là concernant ses rêves. Au final, on a un total de 1860 mots environs contre un maigre 730 pour l'ancienne version. Et on en est au même point dans l'histoire avec exactement les mêmes éléments d'introduits. J'espère que ça vous plait. 

Vous noterez que cette fois, Leyla mange. Et oui, elle s'évanoui encore.......... Shhhhhh !

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