Deuxième partie

Le grand hôtel dresse sa façade splendide sous le nez de Zhan, presque dédaigneux envers un pauvre secrétaire. Il hésite à franchir son entrée. A-t-il vraiment la tenue appropriée pour être autorisé à goûter à ce luxe ? Il examine son costume bleu nuit et vérifie le col de sa chemise blanche. A quel point se senti-il hors de son monde, ici...

Entre les portes, Yibo se retourne vers lui.

— Vous comptez dîner dehors ?

— J-je me disais que mon costume de bureau n'était pas assez élégant pour un tel endroit...

Yibo glisse ses mains dans les poches, las.

— Seul, en effet, c'est une certitude. Mais vous êtes avec moi, ce soir, dit-il en entrant dans l'hôtel. Et puis, ne soyez pas impressionné pour si peu.

Zhan pose sur lui un regard blasé.

Ses yeux se mettent à pétiller dès lors qu'il pénètre dans le hall gigantesque. Les lustres suspendus à l'immense plafond font scintiller les lieux d'une lueur d'or et les pans de murs en verrière qui réfléchissent leur brillance confèrent aux lieux un éclat fabuleux ; par sa splendeur, Zhan ne peut s'empêcher de penser à un palais.

Aussi silencieux que pourrait l'être un enfant timide aux côtés d'un parent, il suit son patron dans l'ascenseur jusqu'à la grande salle de dîner. Les teintes marron glacé des tapisseries s'accordent à merveille avec le mobilier clair, créant un subtil mélange entre élégance et modernité. Un luxe de prédilection pour n'importe quel homme d'affaires.

Les yeux de Zhan s'écarquillent lorsqu'ils s'installent à côté de l'immense baie vitrée panoramique. Le fantastique paysage nocturne qui s'offre à eux depuis l'immense hauteur de leur étage le laisse subjugué.

— Comment se fait-il que vous soyez si facilement impressionnable ? Vous m'avez accompagné plus d'une fois en rendez-vous dans ce genre d'endroit, se surprend le jeune PDG tout en sirotant son Blue Lagoon, tout juste servi.

Zhan décroche enfin son regard des buildings scintillants pour se focaliser sur son supérieur.

— Dans ces occasions, je n'ai pas vraiment le temps de m'attarder sur la vue ou les décorations des lieux où je vous accompagne, Monsieur. J'ai le nez constamment rivé sur un dossier,  l'ordinateur ou sur votre agenda.

— Hm. J'oubliais que vous êtes trop sérieux pour savoir vous amuser.

— Que... c'est faux !

Une lueur maligne brille dans les noisettes de Yibo. Il s'accoude à la table pour mieux se rapprocher de son secrétaire et celui-ci se recule légèrement, de nouveau mal à l'aise.

— Eh bien, donnez-moi tort, Monsieur Xiao. Ce soir, vous devrez me prouver que vous savez vous amuser.

Zhan affiche une moue perplexe. S'amuser ? ici ? Alors que ce psychopathe est avec lui ? Il faudrait un miracle pour qu'une telle chose puisse se produire.

Lisant dans ses pensées, Yibo fait un geste furtif de la main et un serveur dépose aussitôt sur leur table un grand cru hors de prix. Connaissant les recettes de l'entreprise et, grossièrement, les revenus privés de son patron, Zhan ne peut s'empêcher de tiquer. Il fronce un sourcil intrigué. Comment peut-il cumuler des dépenses personnelles aussi faramineuses ? Sa famille est richissime, certes, et leur société est l'une des plus fleurissantes du pays, néanmoins, son train de vie régi par des impulsions hors normes devraient déjà avoir alerté son père ; cet homme, à la tête d'une multinationale, est l'un des chefs d'entreprises les plus rapiats du pays.

Yibo lève son verre pour trinquer ensemble. Lorsque leurs coupes s'effleurent, Zhan n'en croit toujours pas ses yeux. Cette soirée n'a aucun sens. Peut-être est-il mort entre ses mains dans leur bureau, tout ceci ne serait alors qu'un simple rêve. Cette option serait encore la plus probable.

Son verre en cristal au bord des lèvres, Yibo le fixe d'un œil curieux.

— Votre visage parle toujours de lui-même. Qu'est-ce qui vous chiffonne, Monsieur Xiao ? dit-il en se reposant contre son dossier de velours beige.

Après une longue d'hésitation, Zhan finit par articuler.

— Puis-je vous poser une question... indiscrète ?

— Je vous en prie... sourit Yibo, soupçonnant une question sur sa vie intime.

— Comment faites-vous pour... vous permettre un tel luxe, chaque jour qui passe ? Je veux dire, l'entreprise se porte bien, mais...

Toute malice disparaît du visage du concerné. Son regard, presque méfiant, se fige à présent dans celui de Zhan, à nouveau mal à l'aise – la question était-elle trop osée ?

Quelques instants de silence, puis Yibo porte à nouveau sa coupe à ses lèvres tout en laissant dériver son regard à travers la vitre.

— Vous êtes intelligent, Monsieur Xiao. Je pensais que toutes mes affaires seraient évidentes pour vous depuis longtemps, soupire-t-il, ennuyé. A croire que malgré vos six années de plus, vous gardez une certaine... innocence.

Ses yeux se reposent sur son subordonné.

Innocence. Pour une raison inexplicable, ce dernier mot transpire de sensualité.

Les joues rougies de Zhan réfléchissent son embarras. Il s'empare de son verre et noie son malaise en avalant d'une traite son Saint Emillion ; acte qui ne manque pas de faire sourire Yibo. La contemplation de son secrétaire devient une activité captivante. Sa gêne, ses traits délicats, le moindre de ses faits et gestes lui paraissent de plus en plus adorables.

Était-il donc à ce point accaparé par sa colère et ses plans de vengeance pour être incapable d'apprécier la pépite qui se trouvait à ses côtés, depuis tout ce temps ? Obnubilé par la rancœur, il n'avait encore jamais pris le temps de détailler la grande beauté de son visage gracieux. Une telle erreur ne se reproduira plus.

La tête basse, Zhan passe une main dans ses cheveux et se mord la lèvre.

— Monsieur, pourriez-vous... éviter de me regarder comme ça...

— Ah oui ? Et pourquoi ça ?

— Vous... vous le savez.

— Absolument pas, s'amuse Yibo en réprimant un petit rire. Éclairez ma lanterne, je vous en prie.

Zhan balaye la salle du regard, considère la clientèle huppée qui la remplit.

— Premièrement, vous me mettez terriblement mal à l'aise, ensuite... ces gens pourraient croire des choses...

Le sourire de Yibo s'élargit. Camoufler le jeu devient compliqué.

— Oh, des choses ? Et quel genre de choses ?

Zhan plisse sur lui un air accusateur. Son patron se rit de sa gêne. Face à sa moue réprobatrice – loin d'effrayer qui que ce soit – Yibo s'autorise un petit rire.

— Évoquez-vous le sujet de notre sexualité ?

Quelques voisins de table se retournent, marquant un bref instant de silence autour d'eux. Horrifié et livré aux oreilles indiscrètes, Zhan enfouit la honte gravée sur son visage derrière une main.

Pour sa part, à mille lieues d'être embarrassé, Yibo laisse reposer nonchalamment ses bras sur le rebord de son fauteuil en faisant tourner son vin entre ses doigts, d'un flegme arrogant – presque insultant.

— Ce que peuvent penser ces gens, je m'en fous royalement. Vous le savez bien.

Deux offusqués échangent quelques murmures indignés. S'il pouvait disparaître, Zhan le ferait dans la minute. En constatant son malaise, Yibo penche la tête sur le côté, attendri.

— Bien, passons aux choses sérieuses, dit-il en examinant les mets hors de prix qui sont déposés sur la table. Et par choses sérieuses, j'entends parler de vous.

Zhan lève la tête, surpris par une telle remarque.

— P-parler de moi ? Ne comptiez-vous pas parler de futurs arrangements ?

— En effet. Mais nous y viendrons dans la seconde partie de la soirée.

Seconde partie ? Quelle seconde partie ?

— Je sais que vous venez d'une famille modeste, reprend Yibo. Que vous aimez l'art, les viennoiseries françaises, les animaux, que vous avez été graphiste quelques temps et que vous avez ensuite dû vous reconvertir dans l'urgence pour aider votre famille.

Sidéré, Zhan reste bouche bée. Comment son patron peut-il en savoir autant sur lui sans s'être intéressé à lui une seule fois ? Sa surprise laisse place à l'amertume : Wang Yibo sait tout sur ses employés, il en menacer tous les jours plus d'un. Connaître les banalités qui concernent la vie de son secrétaire n'est qu'un détail de plus.

Ce rappel malsain lui coupe l'appétit. La méfiance reprend le dessus à mesure que les habitudes inhumaines de son supérieur reviennent à sa raison.

De sa soudaine froideur, distante, Yibo ne perd pas une miette. Cet air-là, il le connaît. La suspicion et la peur reprennent leurs droits dès que la vie privée se voit exposée. Telle une faille, vulnérable.

— Ne faites pas cette tête. Je pensais que c'était clair.

— Clair ? Que voulez-vous dire ?

Le regard de Yibo se rembrunit.

— J'ai dit que je ne prendrai pas de libertés sur vous. Alors, cessez de me regarder comme si j'étais un monstre prêt à vous dévorer.

Zhan le dévisage, sceptique. Il a observé les dégâts que ce garçon a causé sur leur équipe ; les larmes, les démissions, qui ont suivis. Il connaît son impulsivité, son agressivité. Tenter de le mettre en confiance ainsi ne suffira pas.

— Pourquoi devrais-je vous croire ? Pour quelles raisons changeriez-vous d'attitude avec moi, si brusquement, alors que les autres...

— Les autres sont les autres.

— Mais pourquoi moi ?

Yibo ravale les paroles qui, par inadvertance, auraient à coup sûr dévoilé son jeu. La vérité, également. Sa voix se radoucit lorsqu'il repose ses coudes sur la table pour se rapprocher de lui.

— Parce que mon regard sur vous a changé. Et qu'à partir de maintenant, notre relation va changer, elle aussi.

Les yeux de Zhan s'agrandissent.

— V-votre regard sur moi ? Que voulez-vous dire ? bafouille-t-il.

— Vous avez très bien compris, Xiao Zhan...

La lasciveté dans son regard enjôleur inculque dans l'esprit de Zhan une nouvelle pensée. Inconcevable et effrayante. Il porte une main à sa bouche.

— Ne me dites pas qu'une telle chose vous effraie ? sourit Yibo.

— Venant de n'importe qui, non. Mais, venant de vous...

Un petit pouffement s'échappe des lèvres de Yibo.

— Cette chose, Monsieur Xiao, est justement la garantie que je ne porterai pas atteinte à votre vie personnelle et que vous serez en sécurité. Vous êtes au-dessus de ces « autres » qui sont si importants à vos yeux.

— En sécurité ?

Yibo s'arrête brusquement alors qu'il portait sa coupe à ses lèvres. Grave, son regard se fige dans le sien. La tension se lit sur ses traits. Dans un silence étrange, il repose son verre et tourne la tête pour se perdre dans les lueurs de la ville.

— Monsieur, reprend doucement Zhan tout en se rapprochant de lui, êtes-vous en train de dire que les employés ont quelque chose à craindre au sein de notre société ?

— Pas de notre société.

— Mais...

— Vous n'avez pas à vous préoccuper de quoique ce soit, Monsieur Xiao. Je vous ai dit que vous seriez en sécurité.

— Et les autres personnes ?

Un claquement de langue mécontent marque l'agacement du jeune PDG.

— Pourquoi toujours vous soucier des autres ? soupire-t-il.

Il lève les yeux au ciel tout en faisant glisser la pulpe de son index sur le rebord cristallin de sa coupe.

— Devrais-je donc agir avec vous comme je l'ai toujours fait jusque-là ?

— J'aimerais juste que vous traitiez les employés avec respect, Monsieur Wang.

— Non.

— Alors, je refuse notre arrangement, affirme Zhan en croisant les bras, braqué pour de bon.

— Vous ne savez même pas de quel accord il s'agit !

— Peu importe. Si vous souhaitez que...

Zhan s'interrompt, ignorant la suite de ses propres paroles. Les joues de Yibo creusent à nouveau l'amusement. Tandis qu'un dessert fruité leur est servi, il laisse reposer une joue dans sa paume pour mieux fixer son secrétaire, d'ores et déjà aventuré sur un chemin épineux.

— Je vous en prie, poursuivez, je suis tout ouïe.

— Je... je veux dire...

— Si je traite un peu mieux les personnes de notre équipe, vous accepterez ma proposition ?

— Pas un peu mieux, Monsieur. Mieux, tout court. Et comment pourrais-je accepter une chose dont je ne connais pas les termes ? s'enquiert Zhan, inquiet.

— Pas de panique. Il n'y a rien dans ce « contrat » qui vous causera le moindre tort. Vous n'avez qu'à accepter et je m'engage enuite à changer d'attitude, comme vous le désirez... articule-t-il d'une voix suave, non sans un sourire charmeur.

Zhan demeure interdit. Il a l'occasion d'alléger la vie de ses collègues, de stopper cette vague de démissions qui menace de nombreux foyers, comment pourrait-il refuser une telle offre ? Mais ne rien savoir du contrat qui le lierait à un homme totalement instable et sournois – à plus forte raison lorsque cet homme est son supérieur – n'est pas une idée enthousiasmante.

— Les autres sont si chers à vos yeux, pourquoi hésitez-vous encore ? renchérit Yibo en faisant tourner son fond de vin avec un air rêveur.

— Vous me garantissez qu'il n'y aura rien de... d'étrange ou de malsain ?

— En aucun cas. Sauf si vous me le demandiez... susurre-t-il avec un clin d'œil.

Le visage de Zhan s'empourpre à nouveau. Sa réponse, tous deux la connaissent déjà. Il soupire, résigné, apportant malgré lui sa concession.

Yibo affiche un air ravi. Victoire. Un autre signe de main, cette fois, pour commander une bouteille de champagne. Ou plutôt, la faire livrer ailleurs.

— Pourquoi commandez-vous du champagne maintenant, après le dîner ?

L'index de Yibo plonge dans le coulis de cerise encore présent dans son assiette, puis remonte à sa bouche. Sous les yeux écarquillés de Zhan, il dépose lentement la pulpe rougie de son doigt sur sa langue.

Zhan manque de s'étrangler.

— Nous devons finaliser notre contrat comme il se doit, Monsieur Xiao, déclare Yibo en passant sa langue sur ses lèvres. Passons donc à la suite, si vous voulez bien...


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N/A

Ce dîner vous a plu ? 👀 La suite très vite... 🔥
Bonne St Valentin avec Zhan et Yibo🔐❤️

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