Chapitre 5 : Passé en eaux troubles
Bonjour à tous et bonne année ! On est repartis pour une nouvelle année de publication en compagnie de Frisk :D
Chapitre 5 : Passé en eaux troubles
Couché sur un matelas dans la cellule de garde à vue, Frisk était silencieux. Il regardait le plafond, l'air absent, et tentait d'ignorer la douleur dans ses avant-bras. Il avait vendu chèrement sa peau. Après avoir été embarqué de force dans la voiture, les inspecteurs avaient eu toute la peine du monde à l'en sortir. L'enfant avait hurlé, griffé, mordu et, ne pouvant réussir à le calmer, ils l'avaient abandonné là, derrière une vitre, comme un vulgaire animal. Il avait eu beau crier, taper sur la vitre, pleurer, rien n'avait fait : personne n'était revenu pour lui. Dépité, il s'était simplement couché sur le banc et attendait désormais que quelque chose se passe. Au moins, il n'était pas seul. Asgore et Chara, aussi dépités que lui, étaient assis contre le mur et discutaient d'un autre plan. Frisk n'écoutait pas, épuisé par son voyage dans les Souterrains, son errance en ville et son arrestation. C'était bien trop à supporter pour un enfant de huit ans.
Un sanglot étouffé sortit de sa gorge, attirant l'attention de ses compagnons sur lui. Chara se leva et vint s'asseoir à côté de lui. Elle voulut poser sa main sur son épaule pour le réconforter, mais elle traversa sa peau.
— J'aurais dû attendre encore un peu. Sans... Sans aurait su quoi faire... Si ça se trouve, ils pensent tous que j'ai tué Asgore et même eux...
— Mais non, le rassura la jeune fille. Ton fichu comédien a un humour moisi, mais il est plus futé que la plupart des monstres. Tu sais, quand il nous a parlé à MTT Resort de la promesse qu'il avait fait, je crois qu'il parlait de mam... Toriel. S'il n'est pas trop bête, il sait qu'elle peut reprendre le trône et il va aller la chercher. Je suis sûr qu'il a vu ton message et qu'il t'attend comme un caniche devant la Barrière avec son frère.
Un demi-sourire étira brièvement le visage de Frisk. Chara n'était pas encore très à l'aise avec l'idée de réconforter l'enfant. Elle était plutôt du genre à crier et lâcher des remarques sarcastiques lorsque l'occasion se présentait. Durant son voyage dans les Souterrains, elle avait été une alliée précieuse autant qu'imprévisible, comme lorsqu'elle hurlait des ordres contraires devant Undyne, conduisant à sa mort plusieurs dizaines de fois. Par chance, Frisk pouvait revenir en arrière. Son regard s'illumina à cette pensée. Mais oui ! Il avait juste à revenir en arrière !
Il se concentra et tenta de visualiser devant lui l'étrange menu lumineux qui apparaissait lorsqu'il utilisait sa détermination dans la montagne. Malheureusement pour lui, rien ne se produisit. Pas une once de lumière. Désemparé, il posa instinctivement une main sur sa poitrine.
— Chara, je n'arrive plus à accéder à mes sauvegardes ! paniqua-t-il. Comment je... Comment je vais faire si...
— Du calme, ce n'est pas si grave pour l'instant. C'est peut-être une conséquence de ce qui s'est passé lorsque tu as absorbé l'âme de mon père. Je me souviens que lorsque As... mon frère, se corrigea-t-elle en lançant un regard nerveux à Asgore, a absorbé mon âme, il a perdu immédiatement certains de ses pouvoirs et moi je n'avais plus accès à rien non plus. Ce qui explique pourquoi je suis là.
— C'est possible, répondit Asgore en ignorant sa dernière remarque, les yeux tristes. Pendant la Grande Guerre, plusieurs monstres et humains se sont liés les uns aux autres. Nous n'avions rien contre eux, mais les hommes... Bref, soupira-t-il, lorsqu'une âme humaine et une âme de monstre fusionnent, les traits se mélangent pour ne former plus qu'un. Dans le cas où c'est un monstre qui absorbe l'âme, il devient plus puissant et son niveau de magie augmente considérablement d'où... D'où ce que j'avais prévu pour briser la barrière. J'ignore ce qui arrive dans le sens inverse. Peut-être, à terme, développeras-tu des pouvoirs comme ceux des monstres ? C'est une grande première, même pour moi.
Frisk grimaça. Ce n'était pas très rassurant. L'idée d'obtenir des pouvoirs ne le dérangeait pas, mais le faire ici, alors que les hommes le croyaient déjà fou, était-ce vraiment intelligent ? Les prêtres qui l'avaient poussé dans les Souterrains en premier lieu n'apprécieraient sûrement pas. Un sacrifice qui se carapate la veille de son exécution, c'était déjà un blasphème, mais qu'il revienne en vie avec des histoires de monstres et de la magie, ils ne le supporteraient pas. Il n'était pas très vieux, mais il savait ce qui arrivait aux personnes qui tentaient de les contredire. Le bûcher, la pendaison, la noyade n'étaient pas l'objectif qu'il se donnait dans la vie.
Il jeta un regard vers Chara. Était-ce ce qui l'avait poussé elle aussi dans la montagne ? Il avait essayé d'en apprendre plus sur elle, mais mis à part les panneaux de Waterfall, les monstres du palais et un livre poussiéreux dans la bibliothèque de Snowdin qui lui avaient donné le plus gros morceau de l'histoire, il savait très peu de choses de sa vie d'avant. Elle restait discrète et évitait le sujet aussitôt qu'il était abordé. Ses hypothèses allaient dans le sens d'une vie d'avant violente. Sur la photo qu'il avait trouvée chez Toriel, elle n'avait pas l'air très à l'aise, avec ses longs cheveux qui retombaient sur ses yeux d'un rouge sang inhabituel. Avait-elle été rejetée par les hommes ? Était-elle tombée accidentellement ? Les questions ne manquaient pas. Peut-être que lorsqu'ils auraient fait plus connaissance, elle se livrerait un peu plus. Après tout, il ne la connaissait que depuis quelques jours.
Les questions, cependant, attendraient. S'il devait passer le reste de sa vie en compagnie d'Asgore et de Chara, autant garder des sujets de conversation pour plus tard. La porte de la cellule grinça et s'ouvrit sur l'inspecteur Cassano, une assiette dans les mains. Il s'approcha et s'accroupit à côté de lui.
— Je t'apporte à manger. Tu dois avoir faim après avoir vagabondé comme ça dans les rues. Madame Iris Vonichelle viendra te chercher en soirée pour te conduire à l'orphelinat. Elle t'a identifié et dit que tu t'es enfui il y a quelques jours des dortoirs. Tu peux me dire pourquoi ?
— Je l'ai entendu parler. Elle parlait de me donner aux prêtres pour le sacrifice, que je ne manquerais à personne parce que je n'ai jamais connu mes parents et que je n'avais pas beaucoup... pas d'amis.
— Je vois, Marianne. Je pense que...
— Frisk, le coupa durement l'enfant. Je m'appelle Frisk.
— Je pense que tu as mal compris ce qu'elle a voulu te dire. Tu n'as pas à t'inquiéter, elle prendra soin de toi jusqu'à ta majorité.
L'enfant ne répondit pas et détourna le regard. Le pire scénario possible se produisait sous ses yeux. Il essaya de garder la tête haute, mais ses mains se mirent à trembler. Cassano soupira. Il déposa l'assiette devant Frisk et quitta la pièce. La porte claqua comme une condamnation à mort.
— Il ne faut pas qu'elle vienne me chercher, murmura Frisk. Je ne veux pas retourner là-bas. Il faut... Il faut qu'on reparte... Quitte à avoir une famille, je choisis Toriel. Je m'en fiche de vivre coincé sous terre, je veux juste... Juste retrouver Toriel.
— Tu ne seras pas seul, l'encouragea Chara. Et puis, si tu as réussi à t'enfuir une fois, peut-être que tu réussiras une seconde fois ? Ils ne peuvent pas te retenir prisonnier. Pas vrai ?
— Non, ça va être pire que ça. Quand elle va apprendre ce que j'ai fait... Elle va m'enfermer dans l'asile et... Et ce n'est pas un bon endroit où se trouver. Je ne veux pas y retourner, dit-il en serrant ses genoux contre lui. Je veux rentrer chez Toriel... Je veux manger les horribles spaghettis de Papyrus et danser avec Mettaton. Je ne veux pas retourner là-bas.
Asgore se leva et s'installa sur le banc. Il passa au travers et lâcha un soupir. Même au sol, il était plus grand que Frisk. L'enfant savait qu'il voulait le rassurer, mais rien de ce qu'il pourrait dire n'aiderait.
— Je suis certain que ma femme t'acceptera volontiers, dit-il d'une voix douce. Si c'est ce que tu désires, bien sûr. Mais en attendant de pouvoir la retrouver, il vaut mieux que tu aies un endroit stable où t'installer. Un enfant n'a pas sa place dans la rue, et je m'en voudrais de te voir grelotter de froid sans moyen d'intervenir. Cet orphelinat ne peut pas être bien pire ?
— Vous ne comprenez pas... L'orphelinat, ce n'est pas pareil que l'Asile. Ils... Ils font des choses aux gens. Ceux qui y rentrent ne sortent jamais, ou alors ils sortent mais ne sont plus jamais comme avant. Ils... Ce qu'ils m'ont fait là-bas... Je...
— Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? demanda Chara, prise d'un mauvais pressentiment.
Frisk trembla et serra un peu plus ses jambes contre lui. Avec hésitation, il attrapa le rebord de son pull et se leva. Il le souleva, dévoilant à Asgore et Chara le résultat des trois semaines qu'il avait passé là-bas. Quand il se retourna, les yeux de son amie brillaient de colère et de haine, tandis qu'Asgore, interdit, resta immobile, sous le choc. Son dos était strié de cicatrices anciennes mais mal recousues, qui donnaient du relief à sa peau.
Il cacha rapidement tout ça sous ses vêtements abimés, et retourna s'asseoir.
— Faire ça à un enfant, murmura Asgore pour lui-même. Quels barbares...
— Mais... Pourquoi ils ont fait ça ? Qu'est-ce que tu avais fait de mal ? s'exclama Clara, révoltée.
— J'ai demandé à ce que l'on m'appelle Frisk, répondit l'enfant. Vonichelle a dit que j'étais possédé par le démon et qu'il m'avait donné une deuxième identité pour me punir. Elle m'a enfermée à l'Asile jusqu'à ce que je dise que tout était faux et que le démon m'avait quitté. Après ça, plus personne ne m'a parlé à l'orphelinat, parce que tout le monde avait peur de ce qu'elle allait dire si elle les voyait me côtoyer. Ils avaient peur d'aller à l'Asile et d'attraper mon démon. Après ça, j'ai décidé de ne plus parler, et même pas trois mois après...
— C'est là qu'elle a tenté de se débarrasser de toi, comprit Chara.
— Oui. Elle m'a livré au culte pour me sacrifier. Je me suis enfui la veille de la cérémonie, mais ils étaient sur mes traces. J'ai eu peur, j'ai couru tout droit... Et j'ai raté l'énorme trou sous mes pieds pour aller m'écraser dix mètres plus bas sans aucune égratignure, d'une manière ou d'une autre.
Il sourit au souvenir de tout ce qui s'était passé suite à cela. Si Flowey n'avait pas tout fait rater, il serait sans doute au coin du feu avec Toriel à manger de la tarte au caramel et à la cannelle. Il se sentait épuisé. Dans un soupir, il s'approcha de l'assiette laissée par l'officier à son attention. Des frites, du jambon, une bouteille d'eau et un paquet de bonbons. Il s'assit en tailleur et commença à manger sans grande conviction. Sous l'assiette, il trouva deux paquets de ketchup qui lui brisèrent le cœur un peu plus.
— Si j'étais resté dans les Ruines comme Toriel l'avait dit, rien de tout ça ne serait arrivé.
— Arrête de te blâmer, répondit Chara. Tu ne pouvais pas rester avec Maman éternellement de toute manière.
Après le repas, le moral dans les chaussettes, il décida de retourner se coucher. La planche de bois n'était pas des plus confortables mais lui permit de se reposer quelques heures. Il allait en avoir besoin.
En soirée, la porte de la cellule grinça et deux voix se firent entendre. Frisk se redressa pour leur faire face, le regard noir. L'inspecteur Cassano était de retour en compagnie d'une vieille femme en robe noire. Âgée, elle avait les bajoues d'un bouledogue et le visage aussi ridé qu'un shar-peï. Elle était squelettique et se tenait courbée, appuyée sur sa canne. Derrière ses lunettes, ses yeux fusillaient l'enfant, qui aurait souhaité disparaître plutôt que de lui faire face encore une fois. Elle était aussi contente de le revoir en vie que lui.
— Bonsoir, Frisk. Madame Vonichelle est venue te chercher pour te ramener à l'orphelinat. Tu veux bien nous suivre ?
— Marianne, corrigea la vieille bique, exaspérée.
Face au manque de réaction, elle entra dans la pièce et lui agrippa le poignet avec tant de force que Frisk décolla de la planche de bois. Il résista, sous le regard impuissant de Chara et Asgore, mais elle le traîna vers la sortie. L'enfant se débattit et réussit à échapper à sa grippe. Poussé par l'espoir, il se rua vers la porte pour s'échapper une nouvelle fois. Fermée. Résigné, il se retourna vers son bourreau. Vonichelle n'était pas contente. Sans la moindre honte, elle leva la main et l'abattit sèchement sur la joue de l'enfant.
— Petite impertinente pourrie gâtée, cria-t-elle. Je ne t'ai pas éduqué de cette façon. Ce n'est pas si surprenant que personne n'ait voulu de toi. Souillon, fugueuse, malpolie, menteuse, folle... Tu ne t'intégreras jamais à la société. Tu es un échec.
— Ne me touchez pas ! cria Frisk alors qu'elle tendait la main pour l'attraper une nouvelle fois.
La vieille dame vit rouge. Elle l'attrapa par les cheveux et le poussa dehors. Frisk cria et se débattit, essayant d'échapper à sa grippe. Du coin de l'œil, il vit Chara tourner encore et encore autour de lui. Elle pleurait. Elle voulait l'aider, elle voulait vraiment l'aider, mais sous sa forme, elle ne pouvait rien faire. Tant bien que mal, la vieille dame la poussa dans la voiture. Frisk se jeta sur la portière et essaya de la déverrouiller. Le chauffeur s'était déjà assuré qu'il ne le puisse pas. Vonichelle s'installa à l'avant. Elle se retourna pour lancer un regard incendiaire à l'enfant.
— Quelle honte ! Si tu crois pouvoir me tenir t'enfuir et m'insulter publiquement, tu ne sais pas de quoi je suis capable. Tu vas voir ce que tu vas voir, Marianne.
— Je m'appelle Frisk ! hurla l'enfant.
Elle le gifla.
— Ne t'avise pas de me répondre, petite idiote ! Je vois que la dernière fois ne t'a pas servi de leçon. Tu vas retourner à l'asile et sur ma vie, cette fois, tu n'en sortiras pas !
Frisk voulut répliquer, mais finit par se calmer. Il ne servait à rien d'aggraver davantage son cas. Il garda cependant le regard levé jusqu'à ce qu'elle détourne la tête. Il était déterminé à s'enfuir, peu importe le temps que cela prendrait. Cette vieille bique ne l'arrêterait pas. Il retournerait dans les Souterrains, et personne ne l'en empêcherait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top