Chapitre 2 Roland Banks

Je clignai des yeux plusieurs fois pour essayer de m'habituer à cet éblouissement inconfortable. En vain. Cette année-là, la chaleur avait décidé de s'installer plus tôt que prévu. Était-ce pour que je m'habitue aux moiteurs écrasantes des forêts vierges du Mexique ? Car oui, j'avais finalement donné mon accord pour faire partie de l'expédition. Ho, Akachi y était pour quelque chose. Je ne voulais pas la laisser seule avec ces messieurs très soporifiques. Mais le journal aussi. Une exclusivité avait été signée entre Alejandro et Les Echos. Ainsi, j'allais être leur journaliste officiel, en plus d'accompagner le bon ami Harlan. 

- Rex ! 

La voix enjouée d'Akachi me parvint à mes oreilles, je tournai la tête pour l'apercevoir entre les marchandises disposées aléatoirement sur les quais du port. Je levai un bras pour lui faire signe que la passerelle du bateau était en juste en face de moi. Elle courut presque. Elle me sourit quand elle fut à ma hauteur.

- Heureuse de vous voir ! 

- Moi aussi, Comment allez-vous ? 

- Ça va, j'ai hâte de voir ce qui nous attend.

- Ho ! Je vais vous le dire, un amas de messieurs qui vont aller de déception en déception dès qu'on aura touché le sol du Mexique.

- Vous ne croyez vraiment pas que le peuple Eztli n'existe pas... 

- Je suis dubitatif... Peut-être que je me trompe. Enfin Akachi, une cité état jamais découverte dans la forêt du Mexique ! En Amazonie, je ne dis pas, mais nous parlons d'un pays qui a été étudié de long en large.

- Une parcelle n'a pas dû être découverte, voilà tout.

Elle sourit, presque moqueuse, montrant ses dents blanches qui tranchaient avec sa peau noire. 

- Le professeur Armitage nous a rejoints pour cette expédition, dit-elle abruptement. 

Je la regardai, interdit, de cette nouvelle.

- Armitage vient ?

Son sourire s'agrandit encore plus.

- S'il vient, cela veut dire que cela a suscité sa curiosité... Alors cela pourrait être vrai ?

- En effet, je pense que si un éminent professeur prend la peine de se déplacer, c'est qu'il y a bien quelque chose.

- Il est très intéressé par les objets, peut-être qu'Alejandro lui a fait miroiter une quelconque babiole ?

- Très certainement, répondit Akachi, mais cela vaut la peine de se déplacer, ne croyez-vous pas ?

- Cela tombe bien, je n'avais rien à faire en ce moment, plaisantai-je

Elle rit doucement à ma blague assez nulle. Je me mis à rire avec elle. 

Soudain, je vis au loin une silhouette qui se dessinait dans la chaleur montante de l'asphalte. Un chapeau, un long manteau malgré cette atmosphère chaude et ses yeux qui me scrutaient aussi loin.

- Bon sang, dites-moi que je rêve...

Akachi arqua un sourcil d'interrogation, puis elle tourna la tête vers la même direction que moi.

- Ho ! lâcha-t-elle de surprise. Ça ! C'est le destin qui a parlé...

Le destin ne pouvait-il pas me lâcher un peu ?  Pourquoi lui ?

Roland avançait d'un pas nonchalant vers nous. Sur son épaule droite, je pouvais voir un énorme sac militaire. Dans ma tête, toutes sortes de scenarii se mettaient en place.

Il était surement en mission pour le port, mais non, il n'aurait pas cet énorme sac.

Il va sur un autre bateau ! Non, il vient dans notre direction...

Il prend ce bateau pour une autre mission ! Oui, c'est surement cela !

Je hochai la tête de satisfaction, jusqu'à ce que je voie le reste des membres de l'expédition lui emboiter le pas, dont Armitage en grande discutions avec Harlan, et Alejandro.

Je ne pouvais pas concevoir ce voyage en sa compagnie. Nous nous étions séparés fâchés, en quelque sorte. Du moins c'est ce que je croyais.

Son imposant corps se stationna devant moi sans un mot. Je déglutis péniblement et finis par lever les yeux vers son visage dissimulé par son chapeau. Son regard traduisait des émotions contradictoires. Un mélange de surprise, de colère, mais aussi quelque chose de plus doux, comme s'il était soulagé de me voir.

- Roland ! lança Akachi qui s'était fait royalement ignorer par le fédéral. Quelle bonne surprise de vous revoir.

Akachi était comme cela, positive. Elle le dérouilla instantanément. Il tourna lentement la tête pour la regarder, souleva son chapeau pour la saluer.

- Mlle Onyele, répondit-il

- Akachi, Roland, Akachi. Nous avons, je pense, vécus assez de chose pour nous appeler par nos prénoms.

Celui hocha la tête, mais ne répondit pas.

- Roland ! Interpella le Pr Armitage, je vois que vous avez retrouvé vos partenaires de mission.

Harlan s'avança jusqu'à nous et nous salua d'un coup de tête vite fait.

- Le trio reformé ! À la bonne heure !

Je hurlai dans ma tête pour qu'Harlan se taise pour une fois. Le trio avait enduré assez de chose traumatisante ensemble. Il n'était pas certain que nous soyons si heureux de se retrouver ainsi, ensemble, encore une fois. 

Alejandro prit la parole.

- Bien, je vois que nous sommes au complet. Tout d'abord, bonjour à tous. Nous y voilà. L'expédition de votre vie !

Il parlait avec un enthousiasme retenu. Mais je sentais bien que l'excitation était à son comble. Il rappela divers sujets que nous avions abordés ces dernières semaines. L'expédition était certes financée par l'Université de Miskatonic, qu'il profita de la remercier une nouvelle fois en se tournant vers le Pr Armitage. (Je soupçonnais alors que ce dernier avait quelque chose à voir avec le financement). Mais que nous étions tout de même restreints. Notre équipement était plus que limité par personne. Pour ma part, j'avais pris mes précautions. Des provisions, des médicaments et une boussole. Si la cité existait réellement, ou quelques ruines, j'étais certain que cela serait un labyrinthe. De plus, nous allions dans la jungle, parfait pour nous perdre facilement, et connaissant ma malédiction, je préférais être très prudent.

- Bien, je vois qu'on nous fait signe d'embarquer. Allons-y messieurs ! 

Il omit Akachi et une autre femme dans le groupe, que je ne connaissais pas. Bien, en plus d'être raciste, M. Vela était misogyne. Il était décidément plein de "mauvaises surprises". Je laissai passer tout ce beau monde avant moi, les saluant à leur passage. Mais il y en avait qui n'avait pas bougé de place.

- Banks, vous devriez y aller. Je vais fermer la marche, lui signalai-je

Il s'attarda un peu, puis soupira et alla rejoindre les autres sur la passerelle. J'étais surpris par son comportement. J'avais l'impression qu'il voulait me dire quelque chose. Je secouai la tête afin de remettre mes idées en place, puis à mon tour, je grimpai sur le bateau. J'observai son corps se tordre en fonction du balancement de la passerelle. Son déhanchement me déclencha des flashs dans mon esprit.

Notre dance, dans le dortoir des étudiants, avait été si...

Mes songes essayaient de m'engloutir. Je voulais presque m'y noyer. Mais finalement la réalité reprit le dessus. Alors, je me mordis les lèvres pour provoquer une douleur dans le but de me débarrasser au plus vite ses images de ma tête, entrainant à son passage, une coupure. 

Le sang se mit à couler. Je touchai ma bouche instinctivement et écartai ma main pour constater les dégâts. Je me maudis en silence. Voyant que je n'avançai plus, Roland se retourna. Il était pratiquement rendu sur le pont du paquebot. Il vit le sang et se précipita vers moi. La plateforme bougeait à ses pas pressés. Je basculai en avant et atterris bien malgré moi dans ses bras.

- Rex ! Qu'est-ce que !!??

Il me prit les mains ensanglantées et sortit un tissu noir. Il les essuya frénétiquement pendant que moi, je le regardai d'un air circonspect.

- C'est ma lèvre, murmurai-je. J'ai fait une bêtise.

Ma tête se baissa automatiquement, peut être pour cacher ma honte. À ce moment, je sentis son pouce, enveloppé par son mouchoir, passé sur la blessure, lentement. J'avalai ma salive avec difficulté. Le reste de sa main profita pour élever mon menton qui s'était rétracté dans mon cou, m'obligeant à le regarder. Ses iris brillaient au soleil et je pouvais maintenant apercevoir des petites touches d'or. Je n'avais jamais vu cette particularité, mais je n'avais jamais été aussi près de lui. La chaleur de son corps m'enveloppait, son odeur m'enivrait, mon cœur chavirait.

Soudain :

- Banks, un problème ? Demanda le Pr Armitage du haut du pont.

Je revenais subitement à la réalité, m'écartai de Roland, et répondit :

- Ce n'est rien. Je me suis coupé la lèvre. Je saigne abondamment avec cette chaleur.

Roland semblait lui aussi revenir à lui. Il recula de deux bons pas, et regarda ailleurs, gêné.

- Nous avons ce qu'il faut pour te soigner si besoin, Rex ! cria Harlan.

- Ha ! Tant mieux.

Ma voix s'éteignit presque sur le dernier mot, quand je vis l'expression de Roland. Il paraissait désormais exaspéré. Pourquoi un tel revirement de situation ?

Il monta rejoindre les autres qui nous attendaient.

Pourquoi il avait fallu qu'il soit là.

Pourquoi ?


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