Paige s'écrasa au sol avec fracas, et un jet de sang jaillit de son arcade sourcilière. Le crépitement de la mitraillette reprit de plus belle, et une main salvatrice la saisit juste à temps par le col pour la traîner à l'abri.

— Interdiction de crever." grogna la voix rauque de Gunnar à son oreille.

— J'ai... J'ai vu Carmen... Je crois qu'elle est... Merde, sans elle on est foutus. Tout s'est passé de travers... Les prédictions... Au début, elles semblaient correctes, mais tout est allé de travers !

— Putain d'merde. Mais au moins, son dernier cadeau m'aura été utile... Sans ça, je serais mort à l'heure qu'il est.

— Qu'est-ce qu'on va faire, Gunnar ?

Les yeux de son compagnon d'armes brillèrent un instant dans l'obscurité, reflétant pendant une seconde la lune gibbeuse. Le tonnerre crépitant des fusils s'était arrêté, laissant une brève période de répit aux deux proies. Mais ils ne se faisaient aucune illusion : si la base était si silencieuse, c'est qu'ils étaient en train d'être encerclés. Leur couverture ne suffirait bientôt plus. Ils étaient faits comme des rats.

— Ce qu'on va faire, Paige... C'est qu'on va s'battre jusqu'au bout. Et on va emmener tout ces bâtards avec nous.

L'anneau de métal brilla un instant dans sa main. Les yeux de la détective s'écarquillèrent. Sa main se referma sur celle de Gunnar, touchant le métal froid de la grenade.

— Tu n'y pense pas.

— T'as toujours ta carte ?

— Ou... oui...

— Alors, tu peux t'en sortir. Mais je compte bien tous les emporter avec moi.

— Gunnar, une grenade comme ça...

— Oui ?

— Elle va emporter tout le bâtiment.

— Je sais.

Une explosion ébranla le hangar, les projetant au sol. Des cris et des invectives retentirent de toutes parts, quelques coups de feu se perdant dans la confusion.

— C'est toi qui fait ça ?

— Bien sûr que non !

Ils se plaquèrent au sol, se protégeant comme ils pouvaient de la pluie de gravats qui s'abattaient maintenant sur eux. Le plafond du hangar avait comme été arraché, révélant l'infinité angoissante de l'espace juste au-dessus d'eux. Le ciel était inhabituellement clair, chaque étoile visible à l'œil nu, scintillant de tous leurs feux. Les astres semblaient s'être tournés vers eux, tournant leur oeil inquisiteur sur les pauvres mortels qui troublaient leur sommeil millénaire.

Et, au milieu de la tourmente, une silhouette voluptueuse se dessinait, ses nombreux voiles dansant autour d'elle comme autant de serpents.

— Le Tarot..." murmura Gunnar.

— J'y crois pas ! Cette salope de fausse rousse nous a doublé !

Un vent puissant les balaya, leur faisant avaler poussières et débris. La silhouette s'éleva dans les airs, semblant embrasser les planètes de ses bras grands ouverts. Les cartes s'envolèrent en couronne au-dessus de sa tête, formant un éventail inquiétant. La force du vent ne fit que s'amplifier, les plaquant durement au sol. Les cris autour d'eux étaient désormais paniqués, informes, et de plus en plus rares. Plus la Devin s'élevait, plus les vents se faisaient violent.

— Elle a perdu l'esprit !" hurla Gunnar dans la tempête, peinant à respirer. "Elle ne sait plus ce qu'elle fait !

— Elle sait très bien ce qu'elle fait ! Elle veut juste effacer toute concurrence !

La pression se libéra soudain. Mais la sorcière n'en avait pas fini. Les cartes tournoyèrent, et les vents reprirent de plus belle, soulevant les deux Serpentaire comme s'ils n'étaient que des plumes égarées. Paige s'agrippa de toutes ses forces à Gunnar, ses ongles lui perçant la peau. Les vents célestes les emportaient de plus en plus haut, en compagnie de dizaines d'autres corps gesticulant. Ils eurent tôt fait de passer au dessus de la tête de la rousse, n'ayant qu'un bref aperçu de sa grimace déformée par l'ivresse de pouvoir.

— C'est maintenant ou jamais pour ta grenade !

— Elle m'est tombée des mains !

— C'est pas vrai !

Les vents tourbillonnants les emmenaient toujours plus haut, dépassant même le toit arraché du hangar. Serpentaire et Poissons gesticulaient désespérément, sans pouvoir rien faire. La force mystérieuse qui les soufflait si haut les empêchaient de viser correctement la sorcière responsable de leurs maux. Paige sortit son Colt, visant désespérément la Devin sans jamais parvenir à l'aligner suffisamment longtemps pour tirer. Il ne lui restait plus qu'une seule balle, la sixième.

Ca tombe bien, six, c'est mon chiffre porte-bonheur.

— On a encore une chance de s'en sortir, Gunnar ! Prend ma carte, elle est dans ma poche droite !

— Et tu veux en faire quoi ? Tirer sur Carmen ? Si tu fais ça, on retombera tous, et cette fois pas de seconde chance pour nous sauver le cul.

—Qu'est-il arrivé à se battre jusqu'au bout ?

Gunnar la saisit à bras le corps, l'encerclant de sa poigne de fer. Le souffle des planètes hurlaient autour d'eux, rendant toute communication quasiment impossible.

— Il faut que le clan du Serpentaire survive Carmen ! Je ne te laisserai pas te sacrifier !

— On va quand même crever tous les deux si on ne fait rien !

Elle le repoussa d'une bourrade violente, s'éloignant d'un coup de pied. Ils étaient si hauts, à présent, qu'elle avait presque l'impression de pouvoir toucher la Lune. Carmen aussi s'élevait, les yeux révulsés et la bouche bavante, mais à ce rythme là elle serait bientôt définitivement hors de portée. La toucher relevait du miracle.

— Et puis merde !

Paige sortit la carte de la constellation du Bélier. Elle n'avait droit qu'à une chance, qu'à un coup de pouce du destin. Le canon du Colt tremblait incontrôlablement, ballotté par la magie du Tarot.

— Ô Constellation du Bélier, je t'en conjure... Sauve mon ami.

La prière à peine finie, la carte partit en fumée. Paige n'avait aucun moyen de savoir si cela avait fonctionné ou non. Mais il fallait faire confiance aux planètes, et plus encore aux Serpentaires qui avaient toujours su défier le destin.

Pendant un instant, le canon se stabilisa, tenant la Devin droit en ligne de mire.

— Horoscope des salopes, quatorze août : attention au karma, ou il viendra vous mordre le cul.

Elle tira.

Et voilà qui conclut l'aventure vengeresse du clan des Serpentaire ! 

Qu'en avez vous pensé ? 

Est-ce un univers qui vous plait ?