Chapitre 58 - #5

Après avoir fait un tour un peu plus long que prévu dans les rues de la base pour prendre l'air, je rejoins l'appartement que je partage avec Thomas. J'espère qu'il s'y trouve, car c'est lui qui a gardé les clés et je ne tiens pas à l'attendre sur le palier. Je toque légèrement et la porte s'ouvre quelques instants plus tard.

— Ça va ? Tu as survécu ? s'enquiert-il avec amusement.

— Faut croire.

Je file directement dans ma chambre pour prendre quelques affaires et aller dans la salle de bain. Rester enfermée des heures dans la même pièce avec autant de personnes me donne l'impression d'être aussi crasseuse que si j'avais couru une heure à un rythme soutenu.

Une fois lavée et habillée, je m'affale dans le canapé en passant la serviette dans mes cheveux humides pour les sécher. Assis en face de moi, au pied de la table basse, Thomas est en train d'inspecter et nettoyer ses armes. À côté, il a empilé des boîtes de munitions toutes neuves.

— Est-ce que ça te dit d'aller prendre un verre quelque part pour décompresser ?

Quelle étrange idée. Aller boire un verre dans un bar ? Alors que le monde est en proie au chaos, alors que les gens se foutent sur la gueule en permanence, alors que je viens d'assister pendant des heures à une réunion où l'on a parlé stratégie militaire, avec des objectifs spécifiques en termes de nombre de têtes à décimer dans le camp d'en face... ?

— Je vais chercher mon manteau.

Oui, je crois que boire un verre me fera le plus grand bien ce soir. Thomas rassemble ses armes et ses nouvelles munitions pour les ramener dans sa chambre et en ressort quelques minutes plus tard, rangers aux pieds, blouson léger sur le dos et chèche kaki autour du cou. Tout comme lui, j'ai endossé mon manteau et passé un foulard. Nous quittons aussitôt l'appartement.

En chemin, je lui demande s'il a trouvé ce qu'il voulait comme équipement. Nous engageons alors la conversation, parlant de choses et d'autres avec une certaine forme d'insouciance. Cela me fait du bien de ne plus penser à la Résistance et tous les tracas que ça implique.

Le jeune homme m'emmène dans un autre établissement qu'il affectionnait du temps où il résidait sur base. Je me laisse guider et nous prenons place rapidement au comptoir d'un bar de taille moyenne, déjà bien plein. Il hèle le barman et l'homme, âgé d'une quarantaine d'années, vient s'accouder en face de nous.

— Thomas ! Dis, ça fait un bail que t'as pas mis les pieds ici, qu'est-ce tu d'viens ?

— Je ne t'avais pas dit que je m'étais engagé pour partir à Corbeilles ?

— Ah, toi aussi tu as cédé aux charmes de la jeune Lisandin ?! Il paraît que c'est un très joli morceau.

Je me racle la gorge et m'avance pour que le barman me voie. Ce dernier écarquille les yeux et se confond en excuse.

— Dé... désolé ! Je ne voulais pas vous manquer de respect, Commandante !

— Ça ira, le rassure Thomas en riant. Ramène-nous deux bières, plutôt !

L'homme s'empresse d'aller nous chercher deux pressions. Nous attrapons nos verres et mon compagnon se tourne vers moi.

— À quoi trinquons-nous ?

— À ce verre qui va finir dans mon estomac cul sec ! m'exclamé-je.

Thomas s'esclaffe, me mettant au défi de le faire. Je le regarde droit dans les yeux et descends d'une traite le liquide gazeux qui me réchauffe doucement le gosier. Le verre vient claquer sur le comptoir et je demande au barman de m'en resservir une deuxième.

— Vas-y doucement, quand même.

Je hausse les épaules et nous reprenons notre discussion là où nous l'avions laissée avant d'entrer ici. Le barman, qui s'appelle Jira, nous apporte quelques trucs à grignoter et je me laisse peu à peu aller à des confidences.

— Pfff, je sais pas comment il fait, le Kalan, mais franchement c'est crevant tout ça. Passer plus de six heures en réunion, les fesses vissées sur une chaise inconfortable, c'est encore pire que de se prendre un obus en pleine tronche !

— Tu ne crois pas que tu exagères un peu ? tempère Thomas en portant son verre à ses lèvres.

— Non.

Je finis cul sec ma quatrième bière et fais signe à Jira de m'en servir une cinquième. L'homme interroge Thomas du regard qui lui fait signe de m'apporter ce que je lui demande.

— J'ai la vessie qui va exploser, annoncé-je soudainement d'une voix pâteuse. Je vais faire un tour aux toilettes, je reviens.

— Tu veux de l'aide ? me demande-t-il alors que je vacille légèrement en me levant.

— Non, je suis une grande fille. Je sais faire pipi toute seule.

Thomas lève les yeux au ciel avec un sourire en coin, puis se rassied. La tête me tourne et j'ai l'impression de ne pas marcher très droit pour gagner le petit coin des dames. Une fois plus légère, je me lave les mains dans un lavabo en mauvais état et me regarde dans le miroir cassé à plusieurs endroits. J'arrange un peu mes cheveux et ajuste mon veston sur mon t-shirt afin de me redonner un peu d'allure. J'aurais peut-être dû prendre un peu plus mon temps pour boire ces bières.

— Salut ma belle, tu veux un peu de compagnie ?

Un homme, bien plus éméché que moi, s'approche et se colle contre mon dos pour me serrer dans ses bras. Son haleine chargée me chatouille la joue et alors qu'il me retourne vers lui pour m'embrasser, je l'empoigne sans ménagement pour lui tordre le bras et lui frapper la tête contre la faïence de l'évier.

— Ce n'est pas parce que j'ai bu quelques bières que je ne suis pas capable de me défendre. Touche-moi encore une fois comme ça et t'es mort !

Pour appuyer mon propos, je lui envoie mon genou dans les côtes alors qu'il se laisse glisser le long du mur en gémissant. Deux amis à lui se précipitent alors pour lui venir en l'aide.

— T'es fou, mec ! Qu'est-ce qui t'as pris de t'en prendre à la commandante Lisandin ! s'exclame l'un d'eux.

— Qui ça ?! murmure le concerné visiblement bien sonné.

Je me nettoie la joue à l'eau, là où il s'est collé à moi, et sors des toilettes pour rejoindre Thomas.

— Tout va bien ?

— Mouais. Jira, un shot de rhum !

Le barman accourt et je vide d'un trait le petit verre d'une main tremblante.

— Il s'est passé quelque chose ? s'inquiète mon compagnon.

— Rien que je ne puisse pas régler moi-même.

Je décide de changer de sujet et lui demande alors comment il s'est retrouvé à travailler dans un bar dansant. Il me raconte une belle histoire et je me surprends à me demander si tout ce qu'il me raconte est vrai ou inventé. Pourtant il a l'air d'y croire sincèrement et je passe un bon moment en sa compagnie. Alors pourquoi est-ce que je me pose cette question, d'un coup ?

— Allez, viens, je te raccompagne.

— Je suis capable de rentrer toute seule ! beuglé-je en titubant.

Thomas ouvre la porte du bar pour m'aider à sortir alors que le sol tangue dangereusement sous mes pieds.

— Non, je ne crois pas. Dans ton état je ne suis même pas sûr que tu reconnaîtrais notre immeuble.

— C'est marrant, déclaré-je d'une voix pâteuse en glissant un bras sous le sien et en posant ma tête sur son épaule. C'est la deuxième fois que je suis bourrée en plus de deux ans et les deux fois c'était avec toi. T'as mauvaise influence sur moi, mon cher !

— C'est toi qui le dis, rétorque-t-il d'un ton moqueur. Ça prouve surtout que c'est avec moi que tu arrives à te lâcher et décompresser.

— Et ça fait bien tes affaires, grommelé-je.

— Comment ça ?

— Tu vois très bien ce que je veux dire, m'oblige pas à t'expliquer.

Nous continuons en silence, Thomas me soutenant d'un bras pour que je ne perde pas l'équilibre. La partie de moi encore lucide tente de reprendre le dessus, mais la quantité d'alcool ingurgitée me maintient dans une sorte de brouillard euphorisant. L'autre partie de moi s'y plaît bien et s'y complaît en savourant de se trouver en si charmante compagnie. Elle serait même capable de sauter dans tous les sens en criant à la lune d'aller se faire foutre. Mais je ne crois pas que ça renverrait une bonne image de ma personne et de ce que je suis censée représenter, alors je me contente de me concentrer sur l'endroit où se posent mes pieds.

Dans les escaliers de l'immeuble, Thomas finit par me soulever et me percher sur son épaule malgré mes protestations. J'ai mis de longues minutes à monter le premier étage et je crois que sa patience arrive à bout.

Sans me lâcher alors que je lui frappe le dos du poing, il ouvre la porte et m'emmène directement dans la pièce qui me sert de chambre pour m'allonger sur le lit. Là, il entreprend de me déshabiller sans me demander mon accord.

— Hé ho ! Je t'ai pas dit oui ! m'écrié-je en le frappant à nouveau sans grande conviction. C'est pas parce que Khenzo m'a vue à poil que tu le peux toi aussi !

— Je ne cherche pas à profiter de toi, Xal' ! s'exclame-t-il en riant. Je veux juste te mettre ton foutu pyjama et te coucher. Une bonne nuit de sommeil te fera du bien.

— T'es un menteur !

Je me redresse pour l'attraper par son blouson et me rapprocher de lui avant de poursuivre dans un murmure :

— Je ne sais pas pourquoi tu me mens comme ça, Thomas. J'espère qu'un jour je découvrirai la vérité à ton sujet.

Le jeune homme écarte ma main et retire mon manteau, mon veston et mon t-shirt avant de m'enfiler celui qui me sert de pyjama. Je me laisse choir dans les couvertures en soupirant. Thomas continue de me déshabiller : chaussures, chaussettes, pantalon, il jette tout dans un coin de la pièce. Ensuite avec des gestes doux, il pousse les couvertures sur le côté pour me glisser en dessous et me border.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, Xal'.

J'attrape l'oreiller et enfouis ma tête dedans, tandis qu'il s'assied à mes côtés et pose sa main sur ma tête.

— Tu as trop bu, ça ira mieux demain.

Il a sans doute raison. Je ne sais même pas pourquoi j'ai dit ça. Thomas me caresse doucement la joue, puis il remonte les couvertures sur mes épaules et sort de la pièce en éteignant la lumière.

— Dors bien, princesse, me dit-il.

— Toi aussi.

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Et voilà pour ce second chapitre du tome 4 :)

J'espère qu'il vous aura plu !

Que pensez-vous qu'il va se passer pour Xalyah ensuite ? Résistera-t-elle à la pression de la Résistance ?

Et Thomas, que pensez-vous de lui ? Personnellement c'est un personnage que j'apprécie beaucoup et qui est loin d'avoir livré tous ses secrets encore...

Sur ce, je vous dis à lundi pour le dernier chapitre publié sur Wattpad avant la sortie officielle du tome 4 !

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