Chapitre 58 - #2

De retour dans mes quartiers, je prépare mon sac pour quelques jours, car il est certain que nous ne ferons pas l'aller-retour dans la journée. Peut-être rentrerons-nous demain, voire après-demain, tout dépendra de la réunion d'aujourd'hui, j'imagine.

Une fois prête, je rejoins l'entrepôt pour y retrouver Mali qui devait réviser le véhicule que nous emprunterons pour l'occasion. Je la trouve au côté d'une moto, à essuyer la selle humide avec un chiffon.

— Où se trouve la jeep ? lui demandé-je.

— Malheureusement, elle a une fuite au niveau de la boîte automatique et je n'ai pas réussi à la réparer pour ce matin. Je ne peux pas garantir qu'elle tiendra tout le trajet. Toutes les autres jeeps sont soit déjà utilisées, soit en révision, je n'ai que ça à te proposer.

Merde. Je ne suis pas un as du volant, mais je faisais la conduite accompagnée avec ma mère avant la Rupture. De quoi me débrouiller. Mais une moto... Mon père nous interdisait formellement de monter ne serait-ce qu'à l'arrière d'un petit scooter de ville. Trop dangereux, selon lui. Quand je pense à tout ce qu'il a pu m'apprendre à faire suite à la Rupture... son excès de prudence à l'époque prêterait à sourire.

— T'inquiète pas, c'est moi qui piloterai.

Thomas vient de sortir de l'entrepôt, son sac sur l'épaule.

— À deux avec notre chargement, tu crois que ça va passer ? m'inquiété-je en observant l'imposante motocross.

— Mais oui, j'ai fait bien pire.

Je repense à ce qu'il nous a raconté lorsque nous revenions de l'ancien repaire du Prophète en compagnie de Khenzo.

— Je suis sobre et je ne vais pas rouler comme un dingue, promis, m'assure-t-il, ayant probablement deviné ce qui me traverse l'esprit.

— Bien, de toute façon nous n'avons pas le choix.

Il passe son sac sur le devant, attrape l'un des deux casques posés au sol pour le mettre sur sa tête et enjambe la moto avant de retirer la béquille. Mali s'écarte et je me saisis du second casque. N'arrivant pas à attacher la sangle sous mon menton, Thomas me fait signe d'approcher.

— C'est la première fois que tu fais de la moto ? s'étonne-t-il devant mon manque d'assurance.

— Oui.

Il clipse la sangle et l'ajuste au plus près de ma peau afin que la protection ne se balade pas dans tous les sens. Puis il m'invite à m'installer derrière lui.

— Passe tes bras autour de ma taille pour bien me tenir, m'explique-t-il en m'attrapant les mains pour me forcer à l'entourer. Le plus important, c'est que tu suives bien mes mouvements sur la moto. Ne cherche pas à aller dans le sens contraire quand on bascule sur le côté, mais ne te laisse pas aller non plus de tout ton poids, sinon ça risquerait de nous déséquilibrer.

Je commence à appréhender un peu les heures à venir.

— Ça va aller. Fais-moi confiance et tout se passera bien.

— D'accord.

Thomas démarre le moteur, puis après avoir fait un signe de main à Mali, s'élance en douceur pour rejoindre la route qui nous mènera jusqu'à Vichy. Tendue comme un arc, je serre mes bras autour de Thomas et me colle à lui pour poser le haut de mon casque sur son épaule.

— Me serre pas si fort ! s'écrie-t-il pour couvrir le léger ronflement du moteur électrique. Si tu m'étouffes, on va avoir du mal à arriver à destination !

— Dé... désolée.

Je desserre mon étreinte et respire calmement pour évacuer le stress qui me gagne. Malgré ce qu'on pourrait croire, je n'ai jamais été une amatrice de sensations fortes et la vive allure de l'engin, sans véritable protection, m'impressionne. Donc, contrairement à mon frère, je n'ai jamais bravé l'interdit de mon paternel, malgré les supplications répétées d'Adrien qui voulait toujours m'emmener faire un tour sur son scooter.

Afin de ne pas donner trop d'emprise à cette peur ridicule, je décide de me concentrer sur le paysage, tout en étant attentive aux mouvements de Thomas. Sur la route cabossée, à mesure que le jour se lève et que le brouillard matinal se dissipe, la campagne défile, nous dévoilant un paysage triste de fin d'hiver. Quelques congères résistent encore à l'ombre des arbres dénudés et des bosquets épineux, mais globalement la bouillasse a remplacé le manteau neigeux auquel on avait fini par s'habituer.

Si les températures sont plus douces, le fond de l'air glacial est accentué par la vitesse de la moto. Contrairement à Thomas, je n'ai pas pensé à mettre de gants et j'ai rapidement les doigts si engourdis que je ne les sens quasiment plus lorsque je les porte à ma bouche pour souffler dessus. Le jeune homme m'attrape alors les mains une à une pour les glisser dans les poches de son blouson, sous son sac qui reste collé contre sa poitrine.

Je me focalise à nouveau sur les environs. La campagne rase nous permet d'apercevoir sans difficulté les villes qui sortent de terre, plus loin à l'horizon. Parfois, il n'en reste pas grand-chose. Parfois, on devine de petites silhouettes qui se déplacent.

Lorsque nous arrivons à l'entrée de Bellegarde, Thomas pose un pied à terre et relève la visière de son casque pour s'adresser à la personne qui gère le barrage. La femme nous dévisage longuement en consultant son registre, puis finit par nous laisser passer. Nous traversons la ville rapidement, mais l'activité bat déjà son plein ; les gens vont et viennent et un immense troc se tient sur la place située devant les Arènes. Je me demande si Avissandro vit toujours au milieu de ce taudis puant, ou s'il s'est enfin décidé à changer d'environnement. En tout cas, ça construit et reconstruit un peu partout, pour mieux loger les habitants et bien accueillir les nouveaux arrivants, attirés par l'essor de Bellegarde suite à son accord passé avec Corbeilles – et donc indirectement, avec Vichy.

Après avoir passé le barrage de sortie, Thomas continue de rouler pendant un petit quart d'heure avant de s'arrêter. Je sors les mains de ses poches et descends de la moto, contente de me dégourdir les jambes quelques minutes. En passant mes doigts dans ma chevelure, je réalise que tous les efforts de Rakia ont été ruinés par le port du casque. Thomas libère également ses cheveux bruns qui ont été aplatis sur son crâne, puis agite sa main dedans pour leur redonner meilleure allure avant de me rejoindre.

— Alors, ce premier tour en moto ?

— Pour le moment, ça va. J'attends d'arriver en un seul morceau à Vichy pour valider totalement, ajouté-je sur le ton de l'humour.

Il sort une gourde de son sac pour boire une gorgée avant de me la tendre.

— Si je me démerde bien, on devrait y être dans quatre heures, m'informe-t-il. À quelle heure est la réunion ?

— En début d'après-midi. 14 heures, je crois.

— Bien, on y sera largement à temps et on pourra même se permettre une autre pause dans deux heures.

Le jeune homme étire ses bras vers le ciel avant d'effectuer quelques mouvements de bassin, puis il me fait signe de se remettre en route. Cette fois, j'arrive à attacher la sangle de mon casque seule et avant de monter derrière lui, je pense à sortir mes mitaines pour me protéger les mains. Au final, ça ne m'empêche pas de les remettre dans les poches de son blouson, afin qu'elles restent bien au chaud.

Le reste du voyage se déroule sans accroche et je me surprends même à aimer cette« promenade ». Thomas pique néanmoins une ou deux pointes de vitesse sur de grandes lignes droites en bon état où je m'accroche vivement à lui enfermant les yeux. Cela le fait rire et lorsqu'il ralentit, je frappe du poing le sommet de son casque pour lui demander de ne pas recommencer.

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