Chapitre 58 - #1
lundi 5 mars 2108
Ce lundi, il n'y aura pas de rencontre avec le Prophète. Et cette fois-ci, c'est à mon initiative que le rendez-vous hebdomadaire est annulé. Belary m'a contactée la veille pour me demander de venir plus tôt que prévu à la base afin de faire le point sur les avancées de mon bataillon. De cette réunion – ou plutôt de cette évaluation – découlera notre avenir au sein de la Résistance. J'essaye de me raisonner en me disant que je ne suis plus au lycée et qu'au fond je me fiche bien de leur avis, néanmoins je ne peux m'empêcher de ressentir ces picotements qui me tordaient le ventre avant chaque examen important.
Devant le miroir de la salle d'eau, je contemple mon reflet à la lumière de la guirlande lumineuse me servant d'éclairage. Pour l'occasion, j'ai demandé à Rakia de rafraîchir un peu mon dégradé et ainsi redonner un peu de volume à mes cheveux. La jeune femme en a profité pour les décolorer légèrement sur les pointes accentuant ainsi leur blondeur. Je trouve ça superficiel, mais ça lui faisait tellement plaisir que je n'ai pas su lui dire non.
— Pas question de ressembler à un épouvantail, m'a-t-elle dit en passant le fer à lisser dans mes cheveux afin de les boucler légèrement. Ce sont peut-être des militaires, mais crois-moi, ils sont très attachés à l'apparence et si tu dois être l'image de cette résistance, il faut que tu sois impeccable.
Ça me fait mal de le reconnaître, mais elle n'a pas tort. Même deux ans de chaos n'arriveront pas à changer radicalement les mentalités et nous sommes toujours dans une société – pour ce qu'il en reste – d'apparence.
J'attrape le crayon noir en fin de vie, que j'ai troqué contre une vieille paire de mitaines que je gardais, et dessine un trait sur les extrémités de mes paupières. Puis avec un mascara dégoté dans une ruine de Corbeilles, je recourbe un peu mes cils pour donner plus de profondeur à mes yeux verts. C'est la deuxième fois seulement que je me maquille depuis la Rupture, alors mes gestes sont hésitants, mais le résultat est tout de même au rendez-vous. Pour finir, j'ajuste mon t-shirt et mon veston puis secoue la tête de gauche à droite afin de faire retomber mes cheveux en cascade sur mes épaules.
La demande de Vichy m'a prise un peu de court et la veille, j'ai dû convoquer en urgence mes capitaines pour qu'on finisse de valider la mission de reconnaissance. Khenzo a maintenu son choix d'y participer et nous avons demandé à Kristie et Tung de l'accompagner s'ils étaient d'accord. Tous deux semblaient ravis de pouvoir seconder le jeune capitaine, Kristie en particulier. Il a été décidé qu'ils partiraient ce matin même, sans en informer le reste du bataillon. Et pour m'assurer que cela reste secret, je leur ai donné rendez-vous à l'écart de l'entrepôt et du chantier.
Je recrache l'eau dans l'évier et range la brosse à dents dans une vieille boîte de conserve. Hier soir, j'ai pris le temps de raccommoder mes vêtements ayant un peu souffert. Dans la salle de dépôt, j'ai trouvé quelques boutons en cuivre et les ai ajoutés à mon veston afin de pouvoir le fermer sur ma poitrine. Je boucle ensuite ma ceinture et vérifie que les reprises de mon pantalon tiendront correctement. Satisfaite, je me jette un dernier regard. J'aime bien ce que le miroir me renvoie et je m'autorise même un petit sourire. Il est temps d'y aller.
Je quitte la chaleur de mon nouveau chez-moi pour rejoindre l'obscurité de la nuit. L'air est frais, presque doux, et c'est agréable de déambuler à travers les chemins en terre sableuse qui serpentent entre les baraquements.
Kristie, Tung, Khenzo et l'ensemble de mes autres capitaines patientent déjà en périphérie de la forêt. Pourtant, je ne suis pas en retard au rendez-vous, bien au contraire. Ils discutent à voix basse et lorsque Camélia m'aperçoit, tous se tournent vers moi en me dévisageant avec insistance. Je leur adresse un signe de la main avec un sourire crispé en arrivant à leur hauteur. Je n'ai jamais aimé être le centre d'attention de tout le monde. Ils finissent par reprendre leur conversation et je me joins à eux pour échanger quelques banalités, jusqu'à ce qu'il soit enfin l'heure de nous séparer de nos trois compagnons.
Il ne sert à rien de leur rappeler leur mission, ils savent très ce qu'ils ont à faire, alors ils ramassent leur sac à dos et commencent à faire le tour du groupe pour un dernier « au revoir ». Quand Khenzo s'arrête devant moi, je pose discrètement une main sur son bras.
— Pas d'imprudence surtout, lui murmuré-je.
— T'inquiète pas pour moi, rétorque-t-il. Et puis, quoi qu'il arrive, ça ne changerait pas grand-chose pour toi.
Je lève un regard noir vers le jeune homme. Son expression semble impassible, comme s'il s'était déjà fondu dans son nouveau rôle.
— Ne dis pas n'importe quoi.
— Je ne suis qu'un homme parmi tous ceux que ton bataillon comporte, ajoute-t-il alors. Je ne suis pas irremplaçable.
Je ramène ma main vers moi et serre les dents. Il ne me fera pas craquer maintenant. Pas ici. Pas devant tout le monde. Pas le jour de leur départ. Pour dissimuler mon trouble, je me détourne pour aller souhaiter bonne chance à Kristie et Tung.
— Contente-toi de revenir en un seul morceau, lâché-je néanmoins à son intention.
— À vos ordres, m'dame.
Voyant un sourire furtif passer sur son visage, je me retiens pour ne pas céder à la tentation d'aller lui en mettre une, surtout qu'au fond, je crois que j'ai envie de tout autre chose.
Nous les regardons s'éloigner dans la pénombre jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans les sous-bois. Camélia s'approche alors de moi pour éviter les oreilles indiscrètes.
— T'en fais pas pour lui, c'est un mec plein de ressources.
— Je sais.
Elle pose une main sur mon épaule, mais je me dégage aussitôt. Je n'ai pas envie qu'elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. La jeune femme a compris le message et fait un pas en arrière. Le groupe se met alors en branle pour retourner vers les baraquements.
— Quand est-ce que tu pars pour Vichy, exactement ? m'interroge Camélia en marchant à mes côtés.
— Ce matin. Je compte sur vous pour veiller sur les intérêts de Corbeilles durant mon absence.
— J'espère que tu as changé d'avis et que tu ne feras pas le trajet seule.
— Oui, Thomas m'accompagnera, finalement. Il a besoin de renouveler son matériel, donc ça fera d'une pierre deux coups.
— Je crois qu'il en pince pour toi, lui aussi, déclare-t-elle soudain de but en blanc.
— Pardon ?
Je me tourne vers elle, observant son profil sévère à travers ses mèches turquoise qui balayent son front. L'image de Thomas – penché vers mon visage qu'il tenait entre ses mains suite à son altercation avec Alexian – remonte à la surface tout comme le contact de ses lèvres sur les miennes lors de la mission « Le vent tourne », aussi fugace fût-il.
— Je sais que tu n'y accordes aucun intérêt, mais tu attires fortement le sexe opposé. Que tu le veuilles ou non, tu es une très belle fille, avec un corps de rêve, un visage magnifique, un sourire à faire chavirer les cœurs quand tu te l'autorises. Et avec tes capacités hors du commun, digne d'une véritable machine de guerre et ton caractère bien trempé, aucune autre femme ici présente ne peut t'arriver à la cheville. Pas même Kristie.
— Tu...
Surprise par sa déclaration, je ne trouve rien d'intelligent à répondre. D'autant plus que certains de ses propos font étrangement écho à ceux d'Alexian. Une machine de guerre. Alors c'est comme ça qu'ils me voient tous ?
— Est-ce que tu es jalouse ? supposé-je à voix basse, bêtement gagnée par un sentiment de culpabilité teinté de tristesse.
Le rire clair de Camélia s'élève au-dessus de nos têtes. Salomé et Mervin se retournent pour nous jeter un regard interrogateur.
— Non, pas du tout, répond-elle alors plus doucement. Je comprends tous ces messieurs. Depuis que je le connais, Mervin lorgne sur toi et le fait que nous nous soyons rapprochés tous les deux n'y change rien. Il suffirait d'un seul mot de ta part pour qu'il accoure dans tes bras. Mais je sais aussi que tu ne pourras jamais lui donner ce que moi je lui donne.
— C'est-à-dire ?
— De l'affection, de la tendresse, de l'amour. Tu en es incapable et je ne t'envie pas du tout.
Sa réponse m'ébranle, mais j'encaisse en souriant.
— J'ai toujours aimé ta franchise, Camélia.
— Oui, je sais. C'est une autre de mes qualités.
Cette fois, c'est moi qui éclate de rire. Vraiment, elle ne manque pas d'aplomb. Et c'est pour ça que je l'apprécie autant.
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