Chapitre 33 - #1
samedi 24 au lundi 26 décembre 2107
L'aube se lève à peine lorsque je franchis les portes d'Orléans. La veille, j'ai dormi à l'extérieur de la ville, me réservant la journée pour revenir sur ces lieux où tout s'est arrêté pour mes parents, mon petit frère et ma petite sœur. Après deux jours de marche intense depuis le lieu-dit de l'Épinette, j'avoue que je n'avais pas le courage de m'engager dans Orléans hier soir. Alors me voilà, sous un épais brouillard, coupant à travers le Parc Floral de la Source. Ou plutôt ce qu'il en reste.
Je ne me presse pas, foulant les sentiers à moitié enfouis sous la végétation qui a poussé. Beaucoup de choses se sont passées depuis ce jour-là. Si je devais retenir la meilleure d'entre elles ? Sûrement d'avoir pu compter sur Khenzo durant tout ce temps. Malgré moi, je réalise que sa présence me manque plus que je ne l'aurais pensé. Et la plus difficile ? D'avoir retrouvé Xavier pour le quitter aussitôt. Mais je ne suis pas encore prête à affronter ses reproches, les miens étant déjà assez lourds à porter comme ça.
Mes pensées vagabondent au rythme de mes pas. L'endroit est calme, seulement troublé par quelques oiseaux bravant le froid et des lapins qui bondissent furtivement dans la neige. Du coup j'en profite pour faire un détour et passer devant la bâtisse principale qui tient encore debout malgré l'effondrement de la toiture. Sa silhouette imposante émerge de la brume qui se dissipe peu à peu à mesure que le jour se lève. Je reste un moment, debout dans les herbes folles pointant à travers la neige, à contempler les rayons de soleil caresser la pierre, se refléter dans les carreaux des grandes fenêtres et se perdre dans la végétation blanchie par la gelée matinale. La nature est belle, quoi que fasse l'Homme.
Finalement, je rebrousse chemin, puis me dirige vers le nord du parc. D'après la carte, je devrais tomber sur un axe principal qui me mènera au centre de la ville. Sauf que le parc est cerné d'un mur en pierre et il n'y a pas de portail de ce côté-là. Je longe la clôture jusqu'à trouver une brèche pour passer de l'autre côté.
À peine ai-je enjambé le mur effondré, que j'entends un bruit de moteur. Le vent vient d'en face, donc le véhicule arrive sûrement par la route que j'aimerais emprunter. Je m'accroupis derrière les fourrés pour rester cachée et attends patiemment de voir l'engin approcher.
Une jeep noire et verte – floquée des initiales du NGPP – avance à faible allure, avec à son bord trois hommes en costume militaire qui discutent vivement. Mon cœur s'emballe et une rage sourde s'empare de moi. Encore ces fumiers ! Ils sont partout. Je serre les dents, passant rapidement en revue toutes les options qui s'offrent à moi. Rester cachée ? Même pas en rêve. Sortir à découvert ? Faut pas déconner, quand même. Non, j'ai une bien meilleure idée pour ces trois-là.
Ma main glisse dans mon sac et en sort une des grenades que j'ai piquées à Bourges. J'évalue la vitesse de la jeep, puis dégoupille le projectile explosif pour le jeter sur la chaussée, une vingtaine de mètres plus loin. Si j'ai bien calculé...
La grenade explose au moment où le véhicule passe à sa hauteur, l'envoyant valser dans le bas-côté. Le moteur s'enflamme et j'entends des voix crier depuis l'habitacle. Je me relève et m'approche calmement, mon fusil d'assaut entre les mains. Le chauffeur est mort sur le coup et les deux autres tentent de s'extirper de la carcasse en feu. Je tire une rafale qui achève les survivants. Ils ne m'ont même pas vue arriver.
Les flammes diminuent rapidement et seule une fumée noire s'échappe vers le ciel. Je sors alors une banderole et dessine à la bombe les quatre cercles imbriqués. Cette dernière vient flotter au vent, comme à Bourges, accrochée sur l'antenne de la jeep encore fumante.
D'ordinaire, j'enterre les morts. Que ce soient mes victimes ou non. Là, j'ai décidé qu'il en serait autrement pour ces connards. Eux ont gagné le droit de pourrir à l'air libre. Que les rapaces puissent se repaître de leurs cadavres. C'est tout ce qu'ils méritent après ce qu'ils ont fait à ces pauvres gens dans l'église.
J'hésite un instant avant de poursuivre sur le bas-côté de la route. L'explosion va peut-être attirer du monde. L'axe étant bordé par des arbres et des buttes de terre, je décide de prendre le risque de suivre cette voie, restant néanmoins dans l'ombre des érables.
Une demi-heure plus tard, j'arrive à un grand carrefour où, si je veux continuer tout droit, il va falloir que j'emprunte le tunnel. Alors que je n'avais croisé personne jusqu'ici, j'entends le même bruit de moteur que tout à l'heure. Je regarde autour de moi. Aucune cachette à l'horizon, si ce n'est derrière le tronc d'un érable. Je hausse les épaules et passe en mode automatique, de nouveau animée par cette terrible rage que je n'arrive plus à contenir. Mes préoccupations s'évaporent, mes nœuds au cerveau disparaissent, et plus qu'une seule chose compte : survivre. Avec une seconde idée, latente : en en butant le plus possible.
Ma main s'enfonce une deuxième fois sous le rabat de mon sac pour sortir une autre grenade. Voyons voir si j'ai autant de réussite que tout à l'heure. Si oui, tant mieux. Sinon, va falloir serrer les fesses.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top