Chapitre 32 - #4

Plusieurs corps ont été cloués sur des croix improvisées avec des branches d'arbres. Un autre cadavre calciné trône au sommet d'un bûcher, encore prisonnier de ses menottes en métal qui ont fondu sur la chair. D'autres ont été égorgés et éventrés. Le pire, ce sont les enfants. Les yeux crevés, les mains et les pieds coupés, ils ont été empilés au milieu de l'allée principale. Je me retiens de vomir une seconde fois. Comment peut-on commettre pareil carnage ? Faut pas être humain pour faire ça à des gosses. Ils avaient quoi ? Deux ans pour les plus jeunes, dix pour les plus âgés. L'espace d'un instant, la rage prend le dessus sur les nausées et je me retiens de ne pas l'expulser bruyamment.

Tandis que j'inspire profondément pour reprendre le contrôle de mes émotions, un éclat brillant attire mon regard au pied du bûcher. Je me baisse et prends entre mes mains la douille usée qui a baigné dans le sang. La lampe torche que je sors d'une poche de mon sac vient l'éclairer pour que je puisse mieux l'observer. Sur le côté, la gravure de la marque est presque totalement effacée. Impossible de savoir d'où vient cette munition avec certitude, mais vu la facture, ça ne provient pas du fond d'un garage ou d'un sous-sol.

Je me relève et inspecte l'église à la lueur de ma torche pour chercher d'autres indices. Entre deux rangées de sièges, je trouve un bouton de manchette aux initiales du NGPP. Derrière une colonne, une paire de gants abandonnée avec les mêmes initiales gît au sol. Je serre les dents. Tout me fait penser que c'est bien cette organisation qui est à l'origine de cette boucherie. Et si on y réfléchit bien, les traces de pneus dans la boue pourraient très bien correspondre aux véhicules blindés et aux camions que j'ai mis hors-jeu à Bourges. Les calandres et les roues étaient couvertes de terre.

Ne pouvant plus supporter davantage cette puanteur de chair en putréfaction, je sors de l'église pour en faire le tour et remplir mes poumons d'air frais. Sur l'un des côtés du monument se trouve la parcelle réservée aux sépultures des religieux ayant travaillé ici. Les gens du coin avaient sûrement prévu de faire des travaux, car un trou a été creusé dans la terre et les outils laissés sur le bord. En plissant les yeux, je pourrai presque discerner leurs silhouettes s'affairer à leurs différentes activités. Mais ils sont tous morts. Comme les miens. Mes yeux se perdent dans le trou béant qui se trouve à mes pieds. Je ne sais pas si je dois prendre ce signe comme un juste châtiment pour ce que j'ai fait à Bourges ou comme une confirmation que ce carnage devait bien avoir lieu. Quoi qu'il en soit, là tout de suite, je sais ce qu'il me reste à faire.

L'appentis est fermé, mais d'un coup d'épaule la porte cède. Je pose mon sac dans un coin et retire mon manteau. Puis je retourne dehors pour aller attraper la pelle et agrandir le trou. Ce dernier doit contenir une trentaine de personnes. Actuellement, je n'en mettrais même pas la moitié.

Au bout d'une heure, je retire mon veston, mon bonnet, mes mitaines et relève les manches de mon t-shirt. Vers 13 heures, je fais une pause et mange un morceau dans l'appentis, histoire de prendre des forces, car je n'ai vraiment pas faim. J'essaye de ne pas penser à ce que j'ai vu dans l'église, mais c'est dur. D'autant plus qu'il va falloir y retourner, tôt ou tard. D'ici là, j'ai encore du boulot.

Je me relève et retourne dans le froid. Heureusement, il est sec et le ciel plutôt dégagé. Un temps idéal pour ce genre d'activité. Bordel, Xalyah, comment peux-tu penser un truc pareil ?! Je fais alors le vide dans ma tête et poursuis ma tâche inlassablement, jusqu'à la tombée de la nuit.

Cette fois, on y est. Je ne peux plus reculer l'échéance. Je vais chercher ma lampe torche et mon foulard, puis d'un pas lourd, je fais à nouveau le tour de l'église pour me donner du courage. Au pied des marches, j'ai envie de m'enfuir en courant, pourtant je résiste et franchis à nouveau les portes. L'odeur nauséabonde des corps en décomposition me prend à la gorge et je noue mon foulard autour de mon visage pour me couvrir le nez et essayer de l'atténuer.

Par qui commencer ? Le plus simple, c'est déjà de transporter ceux qui sont au sol. Des hommes, mais surtout des femmes. Certaines probablement violées avant qu'on leur tranche la gorge. Les corps pèsent lourd et le chuintement de leurs vêtements frottant le sol inondé de sang me révulse.

Ensuite, je m'attaque aux hommes cloués sur les croix. Je les fais basculer au sol et à l'aide de la pelle, je fais sortir les clous pour les arracher de ce qui fut leur calvaire durant quelques heures au moins, avant de mourir d'une balle entre les deux yeux. Là aussi je m'échine à traîner les cadavres sur les marches, dans la terre, à travers le cimetière, pour finir par les déposer au fond du trou avec leurs amis, leurs familles, peut-être ?

Le cadavre de la femme sur le bûcher est sûrement celui qui sent le plus mauvais, avec cette odeur de chair brûlée à vous retourner l'estomac dans tous les sens. Le mien fait d'ailleurs le yoyo de plus en plus violemment, mais pour l'instant j'arrive à contenir mes nausées.

Il ne reste plus que les enfants. Et leurs pieds et leurs mains qui ont été rassemblés en un autre tas. Je commence par ça, effectuant plusieurs allers et retours les yeux mi-clos pour ne pas regarder les membres découpés. Étaient-ils encore vivants quand ils leur ont fait ça ? Je n'ose même pas l'imaginer.

Enfin, je prends les enfants les uns après les autres dans mes bras et les dispose également au fond du trou, avec les adultes. Quand le dernier touche le sol, je bondis hors du trou et me précipite vers le mur de l'église pour vider une nouvelle fois mon estomac. J'en crache même de la bile et du sang.

Le souffle court, les yeux rougis, je m'adosse au mur et attends de longues minutes pour reprendre mes esprits. Du nerf, ma vieille, tu n'as pas encore terminé.

Les jambes tremblantes, je retourne près de la fosse commune que j'ai créée et contemple la trentaine de cadavres. Pour ne pas oublier. Non, surtout ne pas oublier ce qui s'est passé dans cette église de Guernica lorsque je croiserai à nouveau ces fumiers. En repensant à l'origine de la construction de cet édifice, je trouve que le NGPP a un drôle d'humour, quand même. Ces gens pensaient peut-être que la maison de Dieu les protégerait. Force est de constater que ce n'a pas été le cas. Dans ce bas monde, on ne peut plus compter que sur soi pour sa propre survie. Les Dieux, quels qu'ils soient, ne nous viendront pas en aide.

Je refoule mes larmes et empoigne la pelle avec une énergie nouvelle pour commencer à recouvrir les corps de terre. Il me faut encore quelques heures supplémentaires pour achever mon travail à la lueur d'un feu de bois que j'ai allumé près de la fosse. Ce n'est pas forcément prudent, mais tant pis. Exténuée, je pars en quête d'un morceau de pierre, sans succès. Je prends alors trois planches, une pour les hommes, une pour les femmes et une pour les enfants afin d'y graver leur nombre et les quatre cercles imbriqués avant de les planter dans le sol.

Je reste un instant à contempler les gravures à la lueur des flammes, puis je m'inspecte. Mes vêtements sont couverts de boue et de sang, tout comme mes avant-bras, mes mains et mon visage. Il faut que je me lave, que j'enlève cette odeur de mort qui me tord les tripes dans tous les sens.

Dans la pénombre, je me déshabille et prends de la neige qui a l'air propre pour me frictionner avec et enlever les taches rougeâtre et brune qui me recouvrent. Ensuite, je me dépêche d'enfiler des vêtements de rechange pour pouvoir laver ceux que j'ai portés aujourd'hui. Dans l'appentis je sors une chaise et la positionne à côté du feu pour faire sécher mes affaires. En espérant qu'il ne neige pas ou ne pleuve pas d'ici l'aube.

Enfin, je regagne l'appentis et m'enroule dans la petite couverture et mon manteau pour poser ma tête sur mon sac. J'aurais probablement plus chaud dans l'église, mais il est hors de question d'y remettre les pieds avec cette puanteur nauséabonde et ce sang qui recouvre le sol et les murs.

Je suis crevée, pourtant le sommeil tarde à venir. Les images d'aujourd'hui repassent en boucle sous mes paupières closes auxquelles se superposent celles qui m'ont profondément ébranlée à Orléans.

Si un jour on m'avait dit que je verrais tout ça... vivrais tout ça... j'en aurais ri. Sauf que là, ce ne sont pas des larmes de joie qui coulent sur mes joues. Non. À cet instant, j'aurais tellement voulu pouvoir poser ma tête sur l'épaule de Xavier ou Khenzo et sentir leurs bras autour de moi pour me rassurer. Mais j'ai fait un choix. Le choix de la solitude. J'enfouis un peu plus mon visage dans mon manteau, me recroquevillant sur moi-même, pour finalement me laisser happer par mes cauchemars.

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Coucou la compagnie !

Nous voilà arrivés à la fin de ce premier chapitre qui démarre moyennement bien pour notre chère Xalyah. À sa place, je ne sais pas si j'aurai réussi à faire ce qu'elle a fait. Et pour être honnête, j'espère ne jamais avoir à être à sa place.

À votre avis, a-t-elle bien fait de repartir seule sur la route ?

La suite lundi ;)

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