Chapitre 15 - #1

mercredi 23 novembre 2107

L'aube vient de se lever et Khenzo m'attend, assis en travers de la porte d'entrée, à l'abri du vent. Surprise de voir qu'il ne m'a pas abandonnée comme il aurait été en droit de le faire après la façon dont je me suis comportée avec lui, je reste immobile. Tout en le dévisageant en silence, je plaque une main sur mon flanc pour endiguer la douleur qui irradie toujours de ma plaie par balle. Si seulement il n'y avait que cette douleur qui me fasse souffrir...

— Tu as pris ta décision à ce que je vois, déclare-t-il d'une voix qui ne laisse transparaître aucune émotion.

— Excuse-moi, murmuré-je, penaude.

— C'est déjà fait.

Il se relève et s'avance vers moi en me tendant une pomme :

— Mange.

Un peu décontenancée, je continue de le scruter. Il n'était pas obligé de me repêcher dans ce fleuve. Il n'était pas obligé de me retirer cette putain de balle et de me recoudre pour que je ne me vide pas de mon sang. Il était encore moins obligé de veiller sur moi plusieurs jours. Mais il l'a fait, et je ne lui ai même pas dit merci. Non, je ne suis pas foutue de lui dire ce simple mot qu'il mérite pourtant amplement. Pour reprendre contenance, j'attrape le fruit juteux qu'il me tend et me concentre dessus.

— Où as-tu trouvé ça ?

— On s'en fout, répond-il un peu brusquement. Mange-la, c'est tout.

Je hoche la tête, comprenant qu'il m'en veut toujours un peu malgré tout, et mords dans la pomme à pleines dents. Je jette un œil dehors. Le vent siffle entre les bâtiments et le sol est recouvert d'une couche de neige, mais le ciel est dégagé pour le moment.

— Tu sais où on est ? demandé-je, la bouche pleine.

— Pas vraiment, répond-il, scrutant toujours l'horizon, un air sinistre sur le visage. Après t'avoir hissée sur une planche en bois qui flottait, le courant nous a fait dériver un bon moment avant qu'on puisse rejoindre la berge. Je pense qu'on a dû quitter Orléans et qu'on se trouve dans une commune voisine, mais je ne connais pas bien le coin. J'y suis souvent passé, mais je ne m'y suis jamais vraiment arrêté.

— Et tu n'as vu aucune trace des autres ?

— Non. Je les ai guettés, mais depuis qu'on est là, je n'ai pas vu âme qui vive dans le quartier.

— C'est quoi le plan alors ?

— Je ne sais pas, soupire Khenzo. On peut remonter le fleuve jusqu'à la Grand-Place, mais je doute qu'ils soient encore là-bas. Tim ne prendrait pas le risque de s'éterniser dans le coin si le PPNG traîne par ici.

— Même pour toi ?

— Même pour moi, rétorque-t-il en baissant les yeux sur moi. Après on peut toujours essayer de les pister depuis là-bas pour les retrouver. Avec ta blessure, on ne pourra pas avancer très vite, mais on devrait y être en début d'après-midi si on se met en route dès maintenant.

— Alors nous n'avons pas de temps à perdre, conclus-je avant de mordre à nouveau dans la pomme.

Marcher me coûte plus d'énergie que je ne l'aurais pensé et rapidement mon corps se met à m'envoyer des signaux d'alerte tous azimuts. Pourtant je ne me plains pas ; j'ai suffisamment emmerdé mon monde comme ça, alors je serre les dents et avance dans les pas de Khenzo, en silence, le regard fixé sur la casserole qu'il a attachée à sa ceinture. Il adopte une allure plutôt lente pour que je puisse tenir le rythme.

La ville où nous avons atterri semble avoir plutôt bien survécu aux ravages des guérillas. Excepté le quartier où nous avons trouvé refuge. Une partie de la population habite toujours les lieux et s'échine visiblement à faire vivre cette communauté. Quelques commerces de proximité sont toujours actifs ainsi que certaines infrastructures communes. Cependant je n'ai pas l'impression que le pouvoir appartient aux habitants à en juger la milice qui quadrille les rues. Les hommes et femmes armés et équipés des pieds à la tête exhibent fièrement leur blason : un lys en argent.

Je sens l'impatience de Khenzo grandir à mesure que nous avançons sous un ciel qui se charge de plus en plus. Vu la piètre compagne de voyage que je fais, je ne peux que comprendre son envie de retrouver au plus vite le reste du groupe. Pourtant, il ne dit rien, ne me presse pas et s'inquiète même de mon état de temps à autre. Un gentleman au royaume des survivants.

Alors que nous traversons un quartier plutôt animé, une pluie glacée s'abat brusquement sur nous, faisant fuir les habitants occupés à reconstruire une partie des bâtiments et les enfants qui jouaient au foot de rue. En l'espace de quelques minutes les lieux se vident. Des éclairs et des roulements de tonnerre viennent s'ajouter à la fête lorsque nous arrivons au point de contrôle de la sortie de la ville. Une patrouille de la milice au lys d'argent nous arrête et nous fouille. Jugeant que nous ne présentons aucun danger – et pour cause, nous n'avons plus aucune arme ni équipement de valeur sur nous en dehors de cette vieille casserole, ils nous laissent passer sans faire d'histoire. Nous remontons le col de nos manteaux et quittons Meung-sur-Loire, tête baissée.


Deux heures plus tard, nous franchissons l'entrée de la ville de Saint-Ay sous la pluie qui se transforme en neige. Manquait plus que ça. Khenzo nous guide jusque dans une ancienne brasserie. Pas un chat à l'horizon. À l'abri des bourrasques et des gros flocons, je me laisse choir contre le bar. La douleur me cisaille le flanc. Je déboutonne mon manteau dégoulinant d'eau et, délicatement, soulève mon t-shirt pour vérifier que les points de suture tiennent le coup. Khenzo a fait du bon boulot.

— Je vais aller jeter un œil dans le coin le temps que tu récupères et ramener de quoi manger si je trouve quelque chose, dit-il avant de s'éclipser.

Je ferme les yeux. Refouler la douleur. Oublier. Imaginer. Tout est possible. Oui. Tout est possible. Je me hisse sur le bar et m'allonge sur le comptoir en inox. Une main posée sur la plaie je commence à faire quelques exercices de relaxation. J'en suis à ma dixième série lorsque Khenzo revient à bout de souffle.

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