Chapitre bonus - Nathan Champrin - #2

Jusqu'à présent, cette journée se déroule absolument comme je m'y attendais : elle est ennuyante. Depuis l'aube, nous déambulons dans les tunnels pour assurer le maintien de l'ordre des lieux. Autrement dit, nous n'avons rien foutu parce qu'ici les gens sont plutôt du genre obéissant.

L'estomac de Yorek, qui se trouve à ma gauche, se manifeste bruyamment. Salim, qui suit comme son ombre l'homme d'origine russe et suisse, ricane. Ce dernier rétorque en se retournant vers le plus petit d'entre nous pour tenter de lui en coller une, mais Salim intercepte sans difficulté le poing de Yorek et lui bloque le bras dans une position inconfortable. Je les laisse se bagarrer quelques secondes supplémentaires avant de les rappeler à l'ordre. Ils sont peut-être plus difficiles à canaliser que les autres, mais ce sont aussi deux gars sur qui nous pouvons compter en toutes circonstances. Après Anten, ce sont eux qui nous ont rejoint en premier. Je les ai croisés environs six mois après la Rupture alors qu'ils étaient en mauvaise posture face un groupe d'hommes et de femmes affamés qui dépouillaient tous ceux qu'ils rencontraient. Normalement j'aurais dû les abandonner à leur sort, mais je ne sais pas pourquoi, ce jour-là, quelque chose m'a poussé à leur prêter main forte. Depuis, avec Anten, Yorek et Salim, nous formons un quatuor de choc autour duquel un solide groupe s'est construit au fil des mois.

— Mec, vise un peu ce qui se passe devant.

Jordan m'enfonce son coude dans les côtes avant de me désigner quelque chose plus loin devant lui. Je quitte mes compagnons des yeux pour balayer la place de marché où le plus gros des commerçants se rassemblent régulièrement pour faire des affaires. Mon regard est aussitôt attiré par un attroupement dont la rumeur commence à enfler progressivement.

— Enfin un peu d'action, grogne Dona aux côtés de mon meilleur ami. Sur qui je tape en premier ?

— Sur personne, mon cœur, me devance Anten. Je te rappelle qu'on est là pour calmer les choses, pas les envenimer.

— Dommage.

Je lève les yeux au ciel. Cette nana est aussi irrécupérable que son mec, dans un autre genre. D'une démarche assurée, je m'avance en direction de l'attroupement, suivi de près par mes gars. Au cœur du cercle qui s'est formé, j'aperçois la silhouette d'une gonzesse qui a l'air d'être prise pour cible. Ma mâchoire se crispe. Je ne suis pas le genre d'homme machiste qui pense qu'une femme ne sait pas se défendre seule et doit pouvoir compter sur un mâle solide pour survivre, mais j'avoue ne pas aimer ce que je vois. Pour le moment, elle me tourne le dos, occupée à résister aux assauts de ceux qui cherchent à l'empoigner. Néanmoins, à l'attitude calme et posée qu'elle adopte, je devine rapidement ce qu'elle est en train de faire : repérer le meneur des hostilités. C'est plutôt malin de sa part.

Plus j'approche et mieux je la distingue à travers les têtes de ceux qui l'entourent. Elle a l'air sacrément bien foutu, bien qu'un peu trop mince à mon goût. Quelques kilos de plus lui aurait donné une poitrine plus plantureuse et des fesses plus rebondies. Je m'attarde aussi sur ses longues jambes sveltes avant de me reprendre. Il serait temps que tu te trouves une partenaire pour la nuit. Je secoue la tête et mes yeux se posent enfin sur son visage. Merde. Dites-moi que je rêve...

— C'est pas la nana qui a buté ces enfoirés de l'IPOC, hier soir ? me demande Jordan en plantant une nouvelle fois son coude dans mes côtes.

— Si, maugréé-je entre mes dents.

Malgré toute la colère qui enfle brusquement dans ma poitrine en songeant que c'est à cette garce que nous devrons le fait de nous retrouver sur les routes alors que l'hiver arrive, je ne peux m'empêcher d'admirer sa façon de se défendre. Elle dégage quelque chose de spécial que je n'arrive pas à définir. Est-ce à cause de ses traits délicats assombris par un regard assassin ? De l'étrange lueur brillant au fond de ses pupilles entourées d'une iris verte tirant sur le gris ? De son attitude fière et arrogante défiant quiconque de la toucher sans son consentement ? Aucune idée. Je secoue une nouvelle fois la tête. Tu débloques, mec. Elle mérite juste une bonne raclée.

Tandis que j'hésite à intervenir, elle finit par plonger sur celui qui harangue la foule avec une vive énergie depuis le début. Elle ne s'est pas trompé de bonhomme ; les badauds se calment aussitôt, attendant de voir l'issue de cette empoignade. Tous deux effectuent une roulade ou sol au terme de laquelle, elle prend le dessus sans aucune difficulté en lui bloquant les bras dans le dos et en exerçant une pression du genou sur sa colonne vertébrale. Cette fois, je décide de passer à l'action, mais avant que j'ai pu atteindre les deux trouble-fêtes, un homme d'à peine plus de vingt ans – dont je n'arrive plus à me rappeler le prénom – se fraye un passage pour attraper la jeune femme par la taille et l'éloigner de sa cible. Elle se débat de toutes ses forces, mais il est bien plus grand et fort qu'elle, si bien que le poing de la fille finit par s'arrêter sur sa poitrine. Il la fixe d'un regard sombre sous son épaisse tignasse brune et j'ai l'impression qu'ils se connaissent parce qu'ils échangent quelques mots. J'aurais bien aimé entendre leur conversation, mais d'où je suis, c'est impossible avec le brouhaha ambiant.

Avec mes gars, nous nous efforçons donc de disperser la foule mécontente de la tournure qu'ont pris les choses. Même si j'aurais bien voulu voir cette garce se faire refaire le portrait, je doute que Max apprécierait d'apprendre que je n'ai pas bronché pour maintenir l'ordre. Alors, nous redoublons d'énergie pour que le calme revienne.

Lorsque les esprits échauffés se sont enfin refroidis, j'observe attentivement la place du marché à la recherche de cette nana qui s'appellerait Xalyah d'après ce que j'ai entendu au QG dans la soirée d'hier, mais elle a disparu. Tout comme son compagnon.

— C'était un sacré morceau cette gonzesse, lâche Salim avec un sourire en coin.

Jordan et Yorek acquiescent vivement tandis que les filles font la moue. Je hausse les épaules et leur fais signe de me suivre. Une autre équipe vient d'arriver pour prendre le relais. Il est temps pour nous d'aller manger, mais avant ça, je dois passer voir Max.

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