Chapitre bonus - Nathan Champrin - #1
lundi 14 novembre 2107
Je souffle dans mes mains pour les réchauffer brièvement et lève les yeux sur l'homme qui se trouve assis en face de moi, de l'autre côté du brasero. Les siens se plissent avec malice et son rire chaleureux m'arrache un sourire. Qu'il est con ! Depuis que je le connais, il me sort toujours les mêmes blagues pas drôles, mais son rire est tellement communicatif qu'aujourd'hui encore, je ne peux m'empêcher de répondre à sa bonne humeur. Anten est le rayon de soleil de notre groupe et surtout, il est le meilleur ami que je n'aurais jamais pensé mériter.
Ses cheveux châtains bouclés se secouent à nouveau en rythme et deux fossettes creusent ses joues couvertes d'une barbe de plusieurs jours. Une fois de plus, je n'ai pas écouté ce qu'il raconte, mais ça ne m'empêche pas de lui adresser un sourire complice. Il sait que je n'ai rien pigé à ce qu'il vient de dire, mais il ne s'en offusque pas.
Dona pénètre dans la pièce de vie qui ne doit pas faire plus de vingt mètres carrés et, de sa démarche chaloupée, s'approche doucement d'Anten pour passer ses doigts dans ses boucles et déposer ses lèvres charnues sur sa nuque. Mon ami ferme les yeux immédiatement pour profiter pleinement de cette démonstration de tendresse. Quand je me souviens de leur rencontre à tous les deux, je me dis que bien du chemin a été parcouru entre eux depuis.
— Alors, c'est quoi le programme aujourd'hui ? On commence l'évacuation ?
La jeune femme fait le tour d'Anten pour venir s'asseoir à côté de lui et enlacer ses doigts avec les siens. Mes yeux fixent leurs mains tatouées et un rictus étire mes lèvres.
— Nate..., intervient le trentenaire en roulant des yeux. T'as pas intérêt à...
Dona se penche vers son amant pour lui tourner la tête et s'emparer de sa bouche avec passion, le coupant net dans son élan. Du coin de l'œil, elle me regarde et esquisse un sourire malicieux contre les lèvres de mon pote.
— Vous êtes écœurants ! m'exclamé-je en riant.
Les lèvres de Dona se détachent enfin de celles d'Anten et je remarque qu'il rougit toujours autant que la première fois. La jeune femme arrange alors son carré plongeant ondulé et des reflets dorés illuminent brièvement sa chevelure brune épaisse. Cette nana a peut-être un joli corps – un peu trop grande et baraquée à mon goût – et un visage gracieux, elle n'a jamais été féminine. Sauf avec Anten quand ils ont commencé à se rapprocher. Et lui, je l'ai vu se transformer en guimauve à ses côtés de jour en jour. Un bon sujet de moquerie au sein du groupe. Qui aurait cru que ce grand gaillard de presque deux mètres tomberait un jour amoureux ? Pas moi en tout cas. Lui, encore moins.
— Si tu pouvais éviter de loucher sur les seins de Do', ça m'arrangerait, ricane Anten. Je n'ai pas envie de te refaire le portrait.
Dona lève les yeux au ciel et mon meilleur ami roule des mécaniques quelques instants, faisant ressortir ses biceps. Il est irrécupérable. La jeune femme caresse le tatouage tribal qu'il porte sur l'avant-bras, le poignet et la main gauche avant de tourner à nouveau son regard vers moi.
— Tu n'as pas répondu à ma question. Ce n'est pas aujourd'hui qu'on commence à plier bagage à cause d'une pétasse qui n'a pas su respecter les règles ?
Je retrouve instantanément mon sérieux à l'évocation de cet incident qui va bientôt changer nos vies.
— Si, Max a lancé la procédure d'évacuation. Mais nous, on ne décollera que demain.
— D'accord. Du coup, c'est quoi le programme en attendant ?
— Surveillance de la Cité, réponds-je laconiquement, notamment des quartiers commerçants.
— Encore ?
Elle souffle. Ouais, encore. Je sais qu'ils aimeraient un peu plus d'action, mais les ordres de Max ne se discutent pas. Il ordonne, on exécute. Depuis que nous sommes arrivés ici, ç'a toujours été comme ça et ça le sera toujours, même si on change d'endroit. J'ai essayé de lui dire que mes hommes valent plus que de quadriller l'intérieur de ces boyaux sinueux et suintant de moisissures, mais j'ai bien compris que ce n'était pas son problème. Ceci dit, l'homme gère son affaire avec une main de fer. Depuis que nous avons intégré sa milice, je dois compter les incidents internes sur les doigts de mes deux mains.
— Je suppose qu'on doit bientôt décoller ?
— Tu supposes bien. Allez réveiller les autres, vous avez dix minutes pour vous préparer, ajouté-je en avisant l'heure sur le cadran digital qui repose au sommet de la seule armoire en métal de la pièce.
Je fais rouler mes épaules et ma nuque, jusqu'à faire craquer une vertèbre puis je me lève et empoigne ma veste rembourrée pour l'hiver et mon fusil d'assaut avant de sortir de nos quartiers. Une fois dans le tunnel, je regarde à droite puis à gauche, pour suivre la trajectoire des rails de l'ancien métro qui se perd dans l'obscurité. De ce côté-là, les lumières de secours ont grillé et l'équipe d'ingénieurs aurait dû effectuer les réparations d'ici quelques jours. Maintenant ce ne sera plus nécessaire.
Un groupe passe devant moi et ils me saluent tous de la main en me jetant des regards en coin. Je leur rends la politesse en inclinant la tête sur le côté et les regarde s'éloigner dans la noirceur du boyau souterrain. Avec mes gars on a la réputation d'être des brutes épaisses sans cervelle qui ne jurent que par leurs poings et leurs armes. On n'est pas loin de la vérité, sauf le « sans cervelle » qui a parfois le don de m'agacer. Je veux bien croire que notre apparence de baroudeurs tatoués et armés comme la légion étrangère peut effrayer, ce n'est pas pour autant que nous sommes des abrutis finis. Ceci dit, cette réputation a l'avantage de nous offrir notre tranquillité. Personne ne vient nous chercher des noises et tout le monde nous respecte. Enfin, je ne sais pas si on peut parler de respect quand l'attitude est guidée par la peur.
Alors que mes pensées vagabondent au gré de mes réflexions, mes gars commencent peu à peu à me rejoindre. Tout le monde dit de moi que j'ai l'âme d'un leader. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment le cas, mais je dois quand même avouer que les gens gravitent facilement autour de ma personne, sans que j'en connaisse la raison. Peut-être est-ce dû à mon physique impressionnant, ou mon caractère bien trempé ? Je suppose qu'il vaut mieux m'avoir dans la poche plutôt que contre soi.
— Salut, mec. Comment ça va, ce matin ?
Mon poing vient cogner celui de Tung, puis celui de Jordan et d'Emilya.
— Mes oreilles saignent encore de tes ronflements, mais sinon ça roule, réponds-je au seul asiatique de la bande.
— T'exagère toujours, Nate.
— Oh non ! s'exclame Julie, la troisième gonzesse du groupe. Je ne te remercie pas pour la nuit blanche que je viens de passer.
Le concerné fourrage ses cheveux noirs et raides tandis que nous nous moquons de lui. Les autres finissent par nous rejoindre à leur tour et quand tout le monde a vérifié une dernière fois son équipement, nous nous engageons sur les rails en direction du cœur de la Cité.
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