Chapitre bonus - Mousha Aba - #1

dimanche 13 novembre 2107

Je lève la tête vers le ciel et mon regard se perd dans la masse nuageuse qui s'approche dangereusement de nous. Ce n'est pas dit qu'il pleuve. Je parierais même plutôt sur de la neige, vu les températures glaciales qui nous enveloppent depuis l'aube. Peut-être pas aujourd'hui, ni demain, ceci dit. Plutôt après-demain. Oui, je parie que dans deux jours, nous aurons droit aux premiers flocons de la saison. Mon frère disait toujours que nous n'avions pas besoin de regarder la télé pour connaître la météo, qu'il suffisait de me demander quel temps il allait faire. Putain, ce qu'il me manque ce couillon.

Il avait beau jouer les caïds devant ses potes pour se donner un genre, moi j'ai toujours su quel type de mec c'était. La preuve, il a donné sa vie pour sauver la mienne. Et je lui en veux toujours. Ou peut-être que je m'en veux à moi-même. De n'avoir jamais su faire les bons choix. D'avoir gâché la chance qu'il m'a donné en se sacrifiant pour moi.

Ma main tâte discrètement la garde de mon sabre. Quelle connerie de m'être engagé dans cette voie ! Je me suis laissé berné par un type propre sur lui avec ses grands sourires, sa coiffure impeccable et son discours bien rôdé, et avant que je m'en rende compte, voilà que j'avais signé pour m'engager dans une milice de l'International and Political Oil Corporation. Ouais... une belle connerie. Je ne partage pas leurs valeurs, mais la couleur du fric, l'odeur d'un bon casse-dalle et la chaleur d'un lit douillet ont su avoir raison de ma volonté. Faible. Voilà ce que je suis. Voilà ce que j'ai toujours été.

Je baisse la tête et observe discrètement mes compagnons d'infortune. Je suis le plus âgé alors on m'a filé la responsabilité de cette unité, mais nous ne sommes que des gamins. Deux mois d'entraînement et hop, ils nous ont foutu sur le terrain.

— L'expérience ne s'acquiert pas autrement ! avait alors hurlé notre chef pour nous motiver.

Tu parles ! J'ai vite compris que nous n'étions que de la chair à canon. Je ne comprends même pas que nous soyons toujours en vie avec le peu de compétences dont nous faisons preuve. Peut-être que mon frère veille sur nous de là où il se trouve ? Cette idée est sans doute ridicule, mais elle me rassure.

— À quoi tu penses ? m'interroge Théo.

Je le regarde, détaillant ses yeux enfoncés dans ses orbites sous son casque de protection, dont quelques mèches bouclées s'en échappent pour balayer son front. La main posée sur son fusil d'assaut qu'il garde toujours contre sa poitrine, je sens que l'ennui le gagne. Une heure de silence, c'est trop pour monsieur Bavard.

— À rien.

— T'es pas drôle Mouss.

— Arrête de m'appeler comme ça, m'agacé-je.

Je déteste ce surnom. Il me rappelle mon frère. Je l'ai déjà dit cent fois à Théo, mais ce con n'en a rien à faire. Le silence retombe. Même Fabrice et Lens ne sont pas d'humeur à faire la conversation à Théo. Pourtant ils peuvent être loquaces aussi quand ils s'y mettent.

Mon regard balaye les alentours. Des ruines. De la poussière. De la misère. C'est tout ce que je vois depuis le jour que tout le monde appelle la Rupture. Je ne sais pas qui a décidé de nommer ce jour comme ça, mais ça colle parfaitement à ce qu'il représente pour moi. Il y a un avant et un après. Une rupture physique et morale qui ne pourra jamais se réparer.

— Où est-ce qu'on va déjà ?

Théo me sort une nouvelle fois de mes pensées. Je m'arrête et sors un Mémo basique où s'affiche la carte du secteur avec les objectifs de la mission.

— On doit quadriller Sourdun avec huit autres unités, puis faire un crochet par la ville voisine avant de rentrer à l'avant-poste.

— Sourdun... c'est nul comme nom, réfléchit-il à voix haute.

— Pas plus que Poitorond comme nom de famille, réplique Lens.

— Hé oh ! On avait dit qu'on ne s'attaquait pas au nom de famille.

— C'est toi qui dit ça ?!

Théo et Lens se chamaillent un moment. Je les laisse faire, je ne me sens pas d'humeur à faire la police aujourd'hui.

— Quelque chose ne va pas ? s'enquiert alors Fabrice.

Plus réservé et secret que les deux autres, Fabrice est également fin observateur. Ses yeux d'un bleu profond me transpercent tandis que je réfléchis à la réponse que je pourrais lui formuler. Il a raison. Quelque chose me tracasse, mais je n'arrive pas à savoir quoi exactement. C'est comme une intuition qui me dit qu'une merde va nous arriver en pleine face et qu'on ne l'aura pas vu venir.

— Tout va bien, mens-je.

— Mmmh.

Je ne l'ai pas convaincu, mais je m'en fous un peu. Mon rôle c'est de prendre les décisions importantes et de les ramener en vie à l'avant-poste, pour le reste... je n'ai pas envie de dépenser de l'énergie à devoir les rassurer quand moi-même je ne le suis pas.

Alors que nous passons devant une bouche d'égout, Lens attire notre attention.

— Les mecs, j'ai l'impression que quelqu'un est passé par là il n'y pas longtemps.

Je m'approche de lui et me penche en avant pour observer attentivement les traces de pas qui gravitent autour de la plaque. On voit effectivement qu'elle a été déplacée il y a peu de temps et certainement plus d'une fois étant donné que les contours ne sont pas pris dans la poussière ambiante.

— On va jeter un œil ? m'interroge Lens.

— Ouais.

— Cool ! Enfin un peu d'action ! s'exclame Théo, tout guilleret. Je ne sais pas pour vous, mais je commençais à en avoir marre de ce paysage de désolation. À part nous, il n'y a personne dans le coin.

— Je n'en suis plus aussi sûr que toi, rétorque Fabrice en pointant du doigt les traces de semelles qui s'effacent progressivement en s'éloignant de la bouche d'égout.

— Ouais, bah justement, raison de plus d'aller voir ça de plus près !    

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