Chapitre bonus - Khenzo Eneour - #10

C'était sans compter Jeremy qui décide de venir faire un brin de causette. Je murmure son nom à l'oreille de Xalyah tandis que le gosse s'assied à deux mètres en face de nous. Je devine à sa tête qu'il va encore nous sortir des conneries et il ne faut pas attendre longtemps pour que mon hypothèse se vérifie.

— Alors comme ça, tu as aidé Khenzo en tuant dix soldats du NGPP ?

Xalyah me lance un regard surpris et je hausse les épaules en signe d'impuissance.

— Pourquoi ?

— Il parait que tu les as descendus en moins d'une minute... J'aurais voulu voir ça !

Je le vois mimer des tirs avec ses mains et se rouler de façon théâtrale au sol. Bordel, il est irrécupérable ce môme ! Ma mâchoire se crispe et alors que je vais pour le réprimander, Xalyah me devance plus froidement encore.

— C'est exact. Mais cela n'a rien d'admirable de tuer.

Jeremy se pince les lèvres avant de passer sa main dans les cheveux, donnant encore plus l'impression qu'il a des épis de blé qui lui poussent sur le crâne.

— As-tu déjà pointé une arme sur quelqu'un ? enchaîne Xalyah.

— Euh... non. Mon domaine, c'est plutôt le matériel de soutien et la mécanique, répond-t-il d'un ton enjoué.

— Alors débrouille-toi pour le faire le plus tard possible, sinon tu risques de te retrouver dans le même état que lui.

Xalyah désigne Samuel du menton et si mes poings se serrent, je ne peux qu'approuver ce qu'elle vient de dire. Jeremy, lui, l'entend d'une autre oreille.

— S'il est mort, c'est qu'il ne savait pas se battre.

C'est la phrase de trop.

— Redis ça encore une fois et tu peux être sûr qu'on ne t'emmènera plus jamais avec nous.

Ma voix est calme, mais Jeremy a parfaitement saisi la portée de ma menace. Alors il croise les bras sur sa poitrine et fait mine de bouder. Une façon bien à lui de fuir la réalité dramatique de la situation. Lui et Samuel s'entendait très bien et je sais que sa mort est loin de le laisser indifférent. Mais Jeremy est comme ça ; il ne montrera pas sa souffrance ouvertement.

Je change de sujet pour dévier l'attention que ma voisine porte au gamin.

— Et toi Xalyah, que fais-tu dans le coin ?

Je crois que ça ne marche pas, parce qu'elle continue de l'observer attentivement. Lui est déjà passé à autre chose, se levant précipitamment pour aller farfouiller dans son sac et bidouiller un talkie-walkie endommagé par le NGPP.

— Que fait ce gamin avec vous ? me demande-t-elle en me jetant un regard en coin. Il est trop jeune pour faire partie d'une patrouille.

— Il n'y a pas d'âge pour affronter la mort, répond-je, légèrement agacé par son ton moralisateur.

— Tu parles d'une raison !

Je souffle et décide d'aborder le sujet d'un autre angle.

— D'accord, c'était stupide de ma part de dire ça... Pour être honnête, Tim préfère le garder à l'œil. Il serait capable de nous suivre si on ne l'emmenait pas avec nous, alors il vaut mieux l'avoir sous la main. Et, crois-moi, ce gosse est loin d'être sans ressource. Il pourrait t'étonner. Mais, tu n'as pas répondu à ma question.

Deuxième tentative pour détourner la conversation du gamin qui se voit couronnée de succès.

— Je poursuis ma route.

— Et où mène-t-elle ta route ?

J'ai posé la question doucement et un soupir s'échappe de ses lèvres. Un soupir chargé d'émotions dont je crois en saisir les principales : douleur et culpabilité. Je ne la presse pas, attendant qu'elle me réponde d'elle-même parce que je vois au froncement de son nez qu'elle finira pas me lâcher un truc.

— Nantes.

— Nantes ? répété-je, un peu surpris.

— Oui, je suis sur la trace de quelques personnes. Et d'après ce que j'ai pu recueillir comme informations, elles se dirigent vers Nantes. D'ailleurs, il se peut qu'elles soient passées par votre cité souterraine. À tout hasard, vous n'auriez pas croisé, il y a quelques jours, un groupe de civils qui cherchaient à fuir la région parisienne ?

— Des civils qui fuient la région, on en a croisé un paquet. Tu cherches qui exactement ?

— Ma famille...

Alors comme ça, elle a été séparée d'eux ? Est-ce la raison de sa tristesse et sa douleur ? J'ai l'intime conviction que c'est plus gros que ça encore. Aussitôt, je pense au Prophète et à toutes rumeurs qui courent sur lui.

— Il y a peut-être quelqu'un qui pourra te renseigner. Si tu veux, je peux...

Je m'interromps, voyant bien qu'elle a décroché pour partir dans ses pensées. Se rendant brusquement compte de l'impolitesse de son comportement, elle se ressaisit et m'adresse un sourire contrit.

— Excuse-moi, j'étais ailleurs. Tu disais ?

— Quelqu'un pourra sûrement t'aider. On l'appelle le Prophète dans le coin.

— Le Prophète ? C'est ridicule comme nom.

Je vais mettre son sarcasme sur le compte de la journée merdique qu'elle a eu et décide d'aller plus loin de mon explication.

— D'après ce que je sais, il est au courant de tous les mouvements qui ont lieu dans ce secteur. Personnellement, je ne l'ai jamais rencontré, mais je connais quelqu'un qui pourra te mettre en relation avec lui.

— Pourquoi ferais-tu ça pour moi ?

Sa méfiance est quelque peu vexante étant donné que je lui tends la main, mais une fois de plus, je prends sur moi.

— Tu as soigné Camélia sans rien exiger en contrepartie. Comme ça, nous serons quittes.

Xalyah ne répond rien. Son mutisme me déstabilise et je dois faire preuve d'imagination pour deviner ce qu'elle pense. Je comprends parfaitement sa réserve à mon égard, mais je n'ai pas l'impression que de parler à un quasi-inconnu en soit la seule raison. Tout dans son attitude me laisse penser qu'elle a subi un traumatisme dont elle peine encore à se relever et le fait qu'elle soit sur la trace de sa famille confirme ce que je soupçonne depuis tout à l'heure : sa solitude n'est pas une chose qu'elle a souhaité. Elle lui a été imposée par la force. Ceci dit, je suppose que c'est le cas chez bien des survivants de la Rupture et la plupart se reconstruise comme ils peuvent en s'accrochant à ce qui les entoure.

La voir enfermée dans son malheur devrait me faire ressentir de la pitié à son égard, mais ce n'est pas le cas. Elle semble avoir une force de caractère hors du commun bien que certains micro-signes ne me trompent pas : la façon dont elle épie constamment les environs, dont elle ferme son visage pour ne laisser aucune prise aux émotions autres que la colère et le dédain, dont elle garde toujours une arme à portée de main en cas de danger... elle va y laisser des plumes si elle continue comme ça.

Le reste de la journée se déroule tranquillement et nous effectuons tous notre quart à tour en rôle, toujours en binôme. Jeremy vient tenir compagnie à Xalyah en quête d'éléments croustillants à se mettre sous la dent concernant notre fusillade contre le NGPP, mais la jeune femme ne lâche rien, se contentant de quelques répliques moralisatrices lorsqu'il devient trop insistant. Je ris intérieurement de la façon dont elle lui rabat le caquet avec tact et fermeté à la fois.

Les autres l'ignorent totalement, excepté Tim qui n'a de cesse de la foudroyer du regard. Je serais bien allé m'expliquer davantage avec lui pour lui tirer les vers du nez sur son animosité, mais je crois qu'il ne sera pas réceptif alors je reste là où je suis, profitant également de ce repos imposé.

Le soir venu, nous effectuons les routines de vérification et enregistrons notre rapport qu'il nous faudra transmettre à Max lors de notre retour à la Cité. Le dîner se passe dans le calme, et si nous échangeons quelques mots sur un ton détendu, je ne peux m'empêcher de ressentir de façon écrasante la peine qui s'est abattue sur nous aujourd'hui. Samuel est parti pour de bon. Il ne reviendra pas. C'est fini pour lui. Et je me demande qui sera le prochain.

Du coin de l'œil, je vois Xalyah fouiller dans son sac et sortir de maigres provisions. Je lui aurais bien proposé de partager notre repas, mais le regard noir que m'adresse Tim m'en dissuade aussitôt. Je n'insiste pas, comprenant que le moment serait plus que mal choisi pour se disputer une nouvelle fois.

Lorsque j'ai fini d'aider Camélia à se rallonger sur sa paillasse, je me redresse et mes yeux se posent une nouvelle fois sur le corps recroquevillé de Xalyah. Même si le sommeil a détendu ses traits, lui donnant presque l'air d'être une enfant, elle reste sur le qui-vive, car nul doute que la main qu'elle a glissée sous son sac tient fermement le couteau qu'elle a gardé sur elle.

Je m'installe en face, dos au mur et croise les bras sur mes genoux pour poser mon menton dessus. Les voix de Julie, Dan et Samuel résonnent dans mon crâne et je serre les dents pour contenir l'émotion qui menace de me submerger. Une main puissante s'abat sur mon épaule et une masse s'échoue à mes côtés.

— Le seul qui doit se sentir responsable de tout ce merdier, c'est moi, murmure Tim. Vous avez tous placés votre confiance en moi et je l'ai accepté. Leurs morts doivent peser sur ma conscience, pas sur la tienne.

— Mouais, maugréé-je, peu convaincu.

— En attendant, tiens-toi loin de cette fille.

— Mais...

— Je ne déconne pas, Khenzo. J'ai un mauvais pressentiment avec elle.

Je grogne, sans lui répondre vraiment et Tim se relève pour aller s'allonger plus loin. Mes yeux se ferment doucement et peu à peu, le sommeil m'emporte également avec lui.    

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Hey la compagnie !

Et bien voilà, nous y sommes. Ce long aparté en compagnie de Khenzo se clôture ici. Qu'en avez-vous pensé ? Avez vous aimé vous retrouver dans sa tête ? Quelle impression vous a-t-il laissé ? Qu'est-ce qui vous plait dans ce personnage ? Et à l'inverse, qu'est-ce qui ne vous plait pas ?

Bien évidemment, la fin de ce chapitre annonce aussi la fin de la publication des chapitres inédits (pour le moment en tout cas). Il me reste encore quelques bonus à partager avec vous, mais il ne s'agira pas de chapitre, seulement de petites illustrations et... d'une autre surprise d'ici la fin de la semaine !

Si jamais vous avez des envies particulières pour d'autres bonus (chapitres inédits, illustrations, ou tout autre chose) n'hésitez pas à m'en faire part --> ici <--. J'ai beaucoup d'idées de mon côté, mais pour des passages situés dans les prochains tomes :D
Même si pour l'instant je suis très occupée avec la publication d'Horizons, je peux toujours lister ce qui vous ferait plaisir et me lancer lorsque j'aurais plus de temps.

Par ailleurs, si vous avez des questions, par rapport à Horizons, ou d'autres choses qui vous passent par la tête, pareil, vous pouvez me les poser --> ici <--.

Je profite de cette note de fin de chapitre pour vous remercier, tous autant que vous êtes, de me suivre dans cette aventure. Vous êtes un peu plus nombreux qu'au départ à commenter et mettre des petites étoiles à la fin de vos lectures et je prends vraiment beaucoup de plaisir à lire vos réactions au fur à mesure que l'histoire avance (vraiment, vraiment) ! Pour un écrivain, même amateur, c'est la plus grande des récompenses, je pense :) Donc merci à vous de prendre le temps d'illuminer mes journées de cette façon et de me faire rire à travers vos commentaires !

Sur ce... à bientôt pour une petite surprise ;)

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