Chapitre 7 - #2
— Eh, Xalyah ! Quand est-ce qu'on arrive ?
Surprise, je me retourne pour observer Jeremy qui dévale le talus enneigé à toute allure. Une fois sur la route cabossée, il ralentit le rythme et s'arrête à mon niveau. Je reprends ma marche et lui jette un regard en coin, amusée de le voir essoufflé à ce point.
— Si tu veux être un vrai survivant, va falloir que tu fasses des progrès en endurance, le taquiné-je.
Son nez se fronce et ses poings se serrent de colère.
— Ce n'était pas de l'endurance ! C'était une course de vitesse ! s'exclame-t-il pour se défendre. C'est normal que je sois essoufflé.
— Si tu le dis.
J'allonge le pas, retournant à mes pensées.
— Tu ne m'as pas répondu.
Jeremy me lance un regard innocent, certain d'obtenir une réponse de ma part de cette façon. Ce n'est rien qu'un gosse. Il est trop jeune pour jouer à la guérilla. Il n'y a pas d'âge pour se battre. Toute notre vie n'est qu'un vaste champ de bataille. Je serre les dents en me remémorant les paroles de mon père. Je sais que tu as raison, il n'empêche, ça m'insupporte de voir où nous en sommes arrivés !
— Quelque chose ne va pas ?
Je baisse à nouveau les yeux sur Jeremy et lui adresse un sourire discret. Suis-je vraiment bien placée pour penser une chose pareille ? Il a tout autant sa place face aux connards du NGPP ou de l'IPOC que moi.
— Tout va bien. Nous devrions arriver en ville d'ici une heure. Tu peux aller prévenir les autres, si tu veux.
— Non, déclare-t-il fermement. Je préfère rester avec toi. Ils sont chiants les autres.
Un sourire moins dissimulé s'étire sur mes lèvres : je crois que je l'apprécie. Je fronce les sourcils à cette pensée. Non, j'ai juré de ne plus sympathiser avec des inconnus, qu'ils soient jeunes, vieux, hommes ou femmes. C'est terminé !
Malgré mon air renfermé, Jeremy reste à mes côtés jusqu'à notre arrivée en ville. Entourée par des champs en friche aux couleurs hivernales, elle ressemble plus à un village qu'à une agglomération digne de ce nom. Pas d'immeubles de plus de trois étages, pas de bâtiments imposants qui dépassent à l'horizon, rien que des maisons ou des petites structures, en plus ou moins bon état. D'ailleurs, il me semble apercevoir quelques silhouettes humaines qui se détachent sur le principal axe de circulation.
Alors que nous passons à côté du panneau indiquant l'entrée de la ville, trois gaillards bien armés surgissent de nulle part pour nous barrer la route.
— Où est-ce que vous croyez aller comme ça ? demande le plus trapu d'entre eux en nous bousculant.
Il a une tête un peu aplatie, les cheveux noirs, coupés en brosse et il porte des vêtements rapiécés. Sur sa veste kaki, un blason représentant deux balles de fusil a été brodé à la va-vite. Son regard froid et perçant nous toise avec dédain. Les jambes légèrement écartées, il se tient sur le qui-vive, attentif au moindre de nos mouvements.
Ses comparses, l'un sec, la peau blafarde et un œil en moins, l'autre, plus gras, plus grand et dégarni, abordent le même blason. Un peu en retrait, ils se tiennent prêts à intervenir pour nous maîtriser si la situation l'exige. Mâchoires crispées, poings serrés, ils n'attendent qu'un signe de celui qui nous barre la route.
— Qui êtes-vous ? demandé-je, en me plaçant légèrement devant Jeremy.
— C'est nous qui posons les questions, rétorque le borgne. Vous êtes sur notre territoire.
À en juger par leur attitude et leur blason, je suppose qu'il doit s'agir d'une milice chargée de protéger la ville. Le dernier groupe avec lequel je suis restée quelques semaines dans le sud de l'Aisne agissait de la même manière. Ils avaient choisi un blason représentant un soleil jaune, symbole d'espoir selon eux et portaient fièrement leurs couleurs devant les autres.
Leurs principales missions consistaient alors à sécuriser les civils qui tentaient de remettre en état les grandes exploitations et assurer le bon déroulement des convois destinés à alimenter les villes et villages alentour. Bien entendu, ils faisaient un peu de trafic au passage pour alimenter le marché noir. Rester parmi eux m'avait permis de panser mes dernières blessures, mais j'avais bien pris garde à ne pas me lier d'amitié avec eux. Une fois totalement remise, je les avais donc quittés, sans regret. Il en sera de même pour ceux qui marchent sur le même chemin que moi aujourd'hui.
— Alors, qu'est-ce que vous foutez ici ? s'impatiente le troisième homme. Mon pote vous a posé une question, il me semble.
— Nous sommes juste de passage et nous souhaiterions passer la nuit ici, réponds-je. Mes amis ne devraient pas tarder à nous rejoindre.
— Vos amis ? grogne l'homme à la tête aplatie. Vous êtes combien ?
— Huit au total.
— Si vous ne nous laissez pas passer, Xalyah va vous éclater la gueule !
— Jeremy !
Je me retourne et donne une taloche bien sentie sur le crâne du gamin. Surpris, il lâche un juron. Qu'est-ce qui lui prend de dire un truc pareil ?
— Ferme-la ! le grondé-je.
Les trois hommes affichent désormais un sourire narquois et croisent les bras sur leur poitrine. Pourquoi a-t-il fallu qu'il me suive ? Il ne pouvait pas rester tranquillement avec les autres ?!
— Ah ouais, ricane le borgne. J'attends de voir ça.
— Il faut l'excuser, reprends-je sur un ton plus posé. Il est en pleine crise d'ado... enfin vous voyez ce que je veux dire.
— Non pas vraiment, répond le grand.
Mon regard va et vient sur les trois hommes. Ils n'ont pas l'air méchants, mais il va falloir les convaincre de nous laisser passer. D'autant plus qu'ils ne sont sûrement pas que trois à protéger les lieux.
— Bon, je vous propose un deal.
— Continue, ordonne le plus trapu à la tête plate, qui semble être le meneur.
— Si j'arrive à vous faire poser un genou à terre, vous nous laissez passer la nuit ici et vous nous donnerez un peu d'eau et de nourriture.
— Et si tu perds ?
— Nous contournerons la ville.
— C'est tout ?
— Nous pourrions prendre le contrôle des lieux, si vous préférez. À vous de voir.
— À huit ? intervient le borgne, railleur.
— Qui te dit que nous sommes réellement huit ?
— C'est ce que tu as dit, juste avant.
— Et tu crois tout ce qu'on te dit ?
Les trois gaillards me jaugent du regard avant de se concerter à voix basse. Puis, leur chef s'avance d'un pas et me tend la main.
— Marché conclu. On ne risque pas grand-chose et j'ai envie de m'amuser un peu. Mais on fait ça à la loyale, sans arme.
— C'est vous qui voyez. Je peux vous laisser un avantage si vous voulez, répliqué-je en lui serrant la main, fermement.
— Haha ! C'est plutôt toi qui devrais prendre un avantage. Tu ne feras pas le poids contre moi.
— Contre toi ? C'est contre vous trois, le deal.
L'homme me regarde, à la fois surpris et curieux. Non, je ne plaisante pas. Et je sais que je pourrai leur faire mettre un genou à terre sans trop de difficulté.
— Vas-y Xalyah ! Montre-leur de quoi tu es capable ! s'exclame Jeremy en sautillant.
Je lui décoche une deuxième taloche avant de lui tourner le dos.
— La prochaine fois, c'est toi qui te battras Jeremy.
Je l'entends marmonner, mais cela ne m'intéresse plus. Un combat sans arme, à trois contre un, sans trop d'enjeux, voilà un bon entraînement. Je pose mon sac au sol et enlève mon manteau. Le froid s'immisce aussitôt sous mes vêtements, mais je relève tout de même les manches de mon t-shirt. Il ne me faudra pas longtemps pour me réchauffer.
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