Chapitre 5 - #2
Alors que je sors d'un renfoncement avec quelques paquets de nourriture lyophilisée, quelqu'un m'attrape par l'épaule pour me tirer en arrière. Surprise, je lâche mes achats qui s'éparpillent au sol.
— C'est toi la garce qui a attiré l'IPOC ici ?! s'écrie l'homme d'âge mûr qui tente d'enserrer ma gorge de ses grandes mains. Pourquoi ?!
D'autres personnes se mêlent à l'altercation et je suis rapidement jetée à terre. Les injures et les coups pleuvent. Je tente de m'échapper du cercle qui s'est formé autour de moi, mais à chaque fois des mains puissantes me repoussent au centre. En attendant de trouver une ouverture pour m'enfuir, je me contente d'esquiver les coups les plus vicieux.
T'es trop conne ma vieille ! Non, franchement, qu'est-ce qui m'a fait croire que je pouvais flâner, le nez en l'air, les cheveux au vent, avec une telle insouciance ? Je n'ai même pas pris une putain d'arme pour me défendre. Le B-A BA quoi... Jamais sans ton couteau, tu m'entends, Xalyah, jamais ! La voix de mon père résonne dans ma tête comme un reproche. Je me mords la lèvre, contenant la douleur qui éclate à chaque coup reçu. Il faut que je me sorte de là si je ne veux pas y rester.
Froidement, j'analyse l'attitude des personnes qui m'entourent pour trouver leur leader. C'est lui que je dois viser pour mettre fin à ce lynchage en règle. Tandis que j'encaisse un coup de pied dans les côtes et repousse un coup de poing hasardeux, mes yeux s'arrêtent sur un type. Petit, râblé, les bras un peu trop longs, une tête rasée et les traits déformés par la fureur qu'il met dans ses invectives : c'est mon homme !
Je repousse mes assaillants et me jette sur lui. Nous roulons au sol. Mangeons la poussière. Surpris par mon attaque, il ne réagit pas assez vite : avant qu'il ait le temps d'esquisser le moindre geste de défense, j'attrape ses bras pour les lui replier dans le dos et m'appuie de tout mon poids pour le bloquer, face contre terre. Mon genou vient exercer une pression suffisamment forte sur sa colonne vertébrale pour qu'il cesse de gesticuler.
Soudain, des mains m'empoignent pour me séparer de l'homme qui suffoque. Furieuse, je me retourne pour frapper celui qui me tient solidement.
— Putain Xalyah ! C'est moi ! s'écrie Khenzo en essayant de m'immobiliser.
Mon poing s'arrête sur sa poitrine tandis qu'il me maintient dans ses bras. Le souffle saccadé, je regarde autour de moi. Plusieurs hommes et femmes, habillés pour la guerre, armés jusqu'aux dents et arborant des tatouages impressionnants sur le visage ou les bras, dispersent la foule. Si quelques-uns expriment encore leur volonté d'en découdre avec moi, les soldats de la Cité les contiennent sans difficulté. Khenzo finit par me lâcher. Je me plie en deux le temps de reprendre mes esprits.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-il.
— Rien d'important, marmonné-je en ramassant mes affaires.
Le jeune homme soupire devant mon attitude. Il ouvre la bouche, puis la referme aussitôt en fronçant des sourcils, comme s'il avait décidé que ça n'en valait pas la peine. D'un geste un peu brusque, il me prend par le bras pour m'entraîner à sa suite. Derrière nous, la vie du marché reprend tranquillement son cours.
— Le Prophète veut te voir vers 15 heures, lâche-t-il d'un ton égal. Kuzzly m'a indiqué le lieu de rendez-vous. Il faut à peu près une heure pour y aller, je t'y accompagnerai. Mais ça nous laisse un peu de temps d'ici là, ajoute-t-il en regardant sa montre. Tu as faim ?
J'ai le corps en compote et le crâne douloureux. Ma plaie à la cuisse me démange, mais je crois que c'est juste l'effet de la cicatrisation. Encore sonnée par la bagarre, je hoche la tête sans dire un mot : je n'ai rien avalé depuis le bouillon aux pâtes et la gelée.
— Je connais un endroit pas trop mal, mais, avant, on va repasser par nos quartiers pour que tu puisses récupérer tes affaires.
En chemin, Khenzo reste silencieux. C'est quelqu'un d'assez réservé et peu bavard. Il semble souvent absorbé par ses pensées, le regard un peu absent. Et je continue à me demander ce qui me vaut tant d'égard de sa part. On ne peut pas dire que je sois d'agréable compagnie, alors je me serais plutôt attendue à ce qu'il se débarrasse au plus vite de moi.
À notre arrivée dans la pièce principale, Jasmine, Camélia, Jeremy, Ed et Tidji interrompent leur déjeuner pour nous dévisager, l'air un peu perplexe.
— Qu'est-ce que t'as ? me demande Jeremy en touchant son œil.
Je l'imite et grimace sous la douleur provoquée par une légère pression de mes doigts.
— On dirait bien un cocard, réponds-je tout en me dirigeant vers mon sac pour ranger mes emplettes.
— Comment tu t'es fait ça ?
Le gosse enfouit une fourchette pleine d'une mixture peu appétissante dans sa bouche. De ses yeux ronds, il attend que je lui raconte mes mésaventures. Les autres interrogent discrètement Khenzo du regard, qui hausse les épaules. Je boucle mon sac et le balance sur mon épaule, puis j'attrape mes armes avant de retourner dans la pièce principale.
— Il n'y a rien d'intéressant à raconter. Je me suis pris une raclée. Méritée ou pas, c'est à vous de voir. On y va ? demandé-je en me tournant vers Khenzo pour couper court à la conversation.
Jeremy se renfrogne, déçu que je ne lui accorde pas un peu plus d'attention. La petite Jasmine, à la peau hâlée, reprend sa discussion avec la femme aux mèches turquoise, rapidement rejointes par Ed, qui arbore toujours le même regard d'acier sous sa crête sombre et Tidji, le parfait sosie de Ken. À y regarder de plus près, le mélange est assez détonnant. Khenzo hoche la tête et je le suis à l'extérieur.
— Tu pourrais être plus sympa avec Jeremy, déclare mon guide sur un ton de reproche. Il ne t'a rien fait.
Je tâte mon visage avec prudence, pour faire le bilan des dégâts. Je crois que j'ai juste récolté un bel œil au beurre noir, ainsi que quelques ecchymoses sur le corps. Ça va. Je survivrai.
— Je sais qu'il ne m'a rien fait, finis-je par répondre alors que mon interlocuteur reste silencieux. Mais ce n'est pas la peine de s'étaler sur ce sujet.
Khenzo lève les yeux au ciel, agacé par mon attitude. Je prends un ton moins agressif pour poser la question qui me brûle les lèvres depuis un moment :
— Pourquoi le Prophète veut-il me voir ? Je croyais qu'il passait uniquement par ses informateurs.
— Qu'est-ce que j'en sais ? grogne Khenzo.
Je le suis en silence. Lui non plus ne m'a rien fait. Il a même mis fin à une altercation qui aurait pu très mal tourner pour moi. Un peu plus d'amabilité de ma part envers lui serait bienvenue. Distraitement, je touche le sachet en plastique dans ma poche, faisant jouer entre mes doigts l'objet informe qui m'évoque un trèfle à quatre feuilles : est-ce que la chance va finir par réellement tourner ? En secret, j'espère que oui. Mais pas trop fort non plus. Que la déception soit plus facile à encaisser.
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