Chapitre 5 - #11

Petit à petit, les langues commencent à se délier et chacun y va de ses envies. Jeremy veut rester avec Khenzo et moi, car, visiblement, il trouve que j'ai une vie palpitante – je ne suis pas sûre qu'on ait la même définition du mot palpitant. Timothée et Franc, les jumeaux, me fusillent du regard. Ils n'ont aucune intention de me suivre, estimant comme Tim, que je suis responsable de ce qui arrive. Ed tripote ses lunettes de protection, l'air anxieux. Tidji lève un pouce dans ma direction et m'adresse un clin d'œil – premier signe d'empathie à mon égard depuis le début. Camélia semble indécise et son regard va et vient rapidement entre Tim et Khenzo. Jasmine adopte la même attitude que les jumeaux. Josh, Al et Tenten souhaitent rester ensemble et ne me portent, a priori, pas vraiment dans leur cœur. Tony et Akim préfèrent également rester aux côtés de Tim.

Au fil des échanges entre les différents membres du groupe, je vois le regard de ce dernier se voiler, oscillant entre colère et tristesse. Il est contrarié par la tournure que prennent les choses et, à vrai dire, moi aussi. Il n'a jamais été question que Khenzo m'accompagne où que ce soit. Je ne lui ai rien demandé, je ne le connais presque pas et il ne me doit rien. Je dois réagir avant que la situation n'empire.

— Ahem, toussé-je pour attirer leur attention. Si je puis me permettre...

— Ta gueule, m'interrompt Tim. Je crois que tu as fait suffisamment de dégâts comme ça.

— Tu ne peux pas la laisser s'exprimer ?! s'emporte Khenzo.

— C'est vrai ça, renchérit Jeremy. T'es pas cool avec elle.

— Tu la fermes aussi, le gosse, sinon je vais te botter le cul.

L'adolescent s'empourpre et croise les bras en bougonnant. Bien. Moi qui voulais désamorcer la situation, je crois que c'est loupé.

— Bon. Je vais vous laisser discuter, déclaré-je en me levant.

— C'est ça, dégage, confirme Tim, l'air mauvais.

Je quitte la pièce et vais m'asseoir quelques mètres plus loin, contre le mur suintant de la galerie. À part une ou deux sentinelles, et quelques soldats qui poussent les derniers chariots remplis de matériel sur les rails, personne ne circule dans les souterrains. La tête entre les mains, je me vide l'esprit pour ne plus penser à rien.

Juste le vide. Juste le noir. Juste la paix.

— Tout va bien ?

Je sursaute et relève la tête. Khenzo s'est approché de moi sans que je l'entende arriver. Et ça a tendance à me faire flipper. C'est la première fois que j'ai affaire à quelqu'un capable de me surprendre à ce point. Grâce à mon paternel, mes sens sont plutôt bien développés et en général on ne me berne pas aussi facilement.

Soudain un souvenir ressurgit de nulle part. J'avais regardé un reportage sur internet, il y a quelques années, qui m'avait beaucoup intéressée. À l'époque, je devais faire un dossier sur les différents organismes de défense de l'État en Histoire. Plusieurs fois, l'acronyme UDISS était apparu dans mes recherches, mais je trouvais peu d'informations à ce sujet. Jusqu'au jour où j'étais tombée sur un reportage diffusé de manière illégale sur le web.

Cette Unité D'Interventions Silencieuses Spéciales – encore un nom à la con, dans la même lignée que la FLR – avait été mise en place par feu notre Président. Le GIGN, normalement sollicité en cas de conflit armé, était devenu un peu trop indépendant au goût du chef de l'État et l'UDISS avait alors pour objectif de protéger les intérêts des membres des cabinets ministériels, en toutes circonstances, en France comme à l'étranger.

Les hommes et femmes de cette unité spéciale, censée rester secrète, étaient réputés pour leur excellente gestion des conflits. Peu importe le degré de difficulté de leur mission, ils l'effectuaient avec un professionnalisme irréprochable. Pire que des soldats formatés. Des machines de guerre. Précis. Efficaces. Invisibles. Un service de nettoyage sur mesure pour le gouvernement.

Je n'avais pu visionner qu'une fois ce reportage en caméra cachée. Quelques jours plus tard, toutes traces de la vidéo avaient été supprimées de la toile. Alors même que j'en avais fait une copie sur mon portable, celle-ci avait été effacée de mes dossiers. Je n'en avais pas dormi pendant plusieurs jours. Et au final, il ne restait que ma mémoire pour m'assurer que je n'avais rien inventé. Ce qui n'était pas vraiment une preuve. D'ailleurs, le prof m'avait mis un 5/20 pour ce dossier, avec comme commentaire : « Arrêtez de regarder des films d'espionnage et redescendez sur terre. ».

Ce que j'observe aujourd'hui chez Khenzo me rappelle grandement quelques-unes des techniques utilisées par l'UDISS que ce fameux reportage avait tenté de décrypter.

— Tout va bien ? répète ce dernier alors que je ne réponds pas.

— Oui. Je réfléchissais.

— À quoi ?

— À rien.

— Vaste réflexion, rétorque-t-il avec humour.

— Arrête ça.

Mon ton sérieux le surprend.

— Arrêter quoi ?

— Je ne sais pas à quoi tu joues, mais arrête ça. Ça ne te mènera nulle part. Tu n'as aucun intérêt à m'accompagner, à part perdre un ami qui tient à toi et semer le trouble dans votre groupe. Tu ne me dois rien et je ne te demande rien. Reste avec lui. Je n'ai besoin de personne pour aller jusqu'à Orléans et retrouver mes proches.

— Peut-être bien, oui.

Il me dévisage en fronçant des sourcils, avant de fourrer ses mains dans les poches de son treillis et de poursuivre :

— Mais il me semble que je suis un grand garçon et que je peux faire mes propres choix.

— Ce n'est pas un choix que tu fais là. C'est une connerie. Et tu le sais très bien.

— Peut-être, grogne-t-il.

Je garde le silence un moment, ennuyée par la tournure que prennent les choses. Pourquoi vouloir m'accompagner ? Qu'est-ce qu'il y trouverait à part une fille exécrable et des emmerdes supplémentaires ?

— Pourquoi tu fais ça ?

Khenzo s'accroupit à mes côtés pour me regarder dans les yeux.

— Parce que j'ai l'impression que ça fait longtemps que tu es seule sur les routes et qu'un peu d'aide te ferait du bien.

— Et tu aides tous les inconnus que tu croises sur ton chemin ? raillé-je.

— Non. Et je ne m'imposerais pas non plus à tes côtés si ce n'est pas ce que tu souhaites. Si tu me dis maintenant que tu préfères marcher seule sur les routes, ne jamais dormir tranquille et être en permanence sur le qui-vive, alors je ne t'accompagnerai pas jusqu'à Orléans et prendrai la direction de Vichy directement. Dans le cas contraire... tu pourras compter sur moi le temps qu'on y arrive. Donc... que décides-tu ?

Je reste silencieuse un moment tout en le dévisageant bêtement.

— Eh bien... Je... en fait, je... tu...

Impossible de formuler un refus catégorique. Impossible de dire quoi que ce soit d'autre non plus. Voilà longtemps que personne ne m'avait déstabilisée à ce point.

— C'est bien ce que je pensais, conclut-il en se relevant.

Il me tend la main pour m'aider à me remettre sur pied et sans rien dire de plus nous regagnons les quartiers de Tim pour rejoindre nos matelas.

Comme une idiote j'ai été prise au dépourvu par l'attitude de Khenzo. D'habitude, les gens s'attendent toujours à recevoir quelque chose en échange, car rien n'est gratuit dans l'esprit humain. Et maintenant je me retrouve coincée dans une situation que je n'ai pas souhaitée, simplement parce que je n'ai pas su dire « Non »...

Longtemps je fixe le plafond qui ondule au rythme de la lumière mourante du réchaud, à ressasser notre dernière discussion et m'imaginer lui donner une tout autre réponse. Pourtant c'est sa dernière phrase qui finit par résonner lorsque l'obscurité fond sur moi comme un oiseau de proie, prête à se repaître des souffrances de mon esprit.

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Hello la compagnie !

Pour une fois, je déroge à ma règle et publie le vendredi au lieu du samedi, mais comme je vous réserve un petit bonus ce weekend, vous aurez droit à trois publications cette semaine !

Nous voici donc  arrivés à la fin de ce cinquième chapitre ! J'espère que l'histoire vous plait toujours autant. Sachant qu'Horizons comporte actuellement 97 chapitres au total, je me rends compte qu'à ce stade nous n'en sommes encore qu'au tout début. Je vous rassure, tous les chapitres ne sont pas aussi longs ! Disons que celui-là était particulièrement fourni.

Est-ce que vous vous attendiez à ce que le Prophète soit une IA ? Sa description et son attitude vous ont paru convaincantes ? Si vous avez des hypothèses sur le rôle du "bonhomme", allez-y, je serais curieuse de les connaître !

Et que pensez-vous de l'initiative de Khenzo d'accompagner Xalyah jusqu'à Orléans ? Bonne ou mauvaise idée selon vous ? Le groupe de Khenzo a l'air assez partagé sur la question.

Alors à votre avis, ne seront-ils que tous les deux ? Ou des invités surprises vont se joindre à la partie ? Vous, vous feriez quoi à leur place ? Moi je crois que je suivrais bien cette tête brûlée de Xalyah, à mon avis l'avenir lui réserve encore plein de rebondissements... palpitants ?

Je tenais à vous remercier aussi, car vous êtes de plus en plus nombreux à lire Horizons et ça me motive vraiment à donner le meilleur de moi-même pour cette histoire ! J'ai enfin bouclé l'intégralité de la saga et maintenant il va me rester tout le travail éditorial à faire avec l'éditeur. Voilà une aventure que je ne pensais pas vivre un jour... comme quoi, tout peut arriver !

Comme dit plus haut, je vous dis à plus vite que prévu pour une petite surprise.




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