Chapitre 5 - #1
lundi 14 novembre 2107
Un bruit strident me réveille en sursaut. Je prends quelques secondes pour me rappeler les évènements de la veille. En clignant des yeux, je m'aperçois qu'on m'a allongée dans l'une des alcôves et tiré une couverture dessus. Quelqu'un m'attrape par la manche, manquant de me déshabiller. Jasmine m'intime de la suivre.
— Allez, dépêche-toi ! C'est le signal.
Encore un peu abrutie par le sommeil, je dois m'y reprendre à plusieurs reprises avant de réussir à me lever. En plus de la plaie à ma cuisse qui me tiraille toujours un peu, de violentes courbatures entravent la fluidité de mes mouvements. Jasmine m'entraîne à sa suite, dans le cagibi magique.
À l'intérieur, Tim, Jeremy et Nedj, un autre homme du groupe, se pressent déjà comme des sardines. Je me frotte les yeux. Non, ça ne va pas être possible de tous rentrer là-dedans. Jasmine me pousse en avant. Ah si. Il faut croire qu'il suffit de ne pas se poser de questions, car la porte finit par se refermer sur nous. Je suis littéralement écrabouillée entre Nedj et la jeune femme. Super comme réveil. J'ai l'impression de revenir deux ans en arrière, quand je prenais le métro. S'il y a bien un truc qui ne me manque pas, c'est ça.
— Ce genre d'alerte arrive souvent ? réussis-je à demander en me tortillant pour mieux respirer.
— En moyenne, une fois tous les deux ou trois jours, répond Tim d'une voix sèche. La plupart du temps, c'est juste par mesure de sécurité, mais grâce à toi la donne va changer, maintenant. Max a déjà commencé l'évacuation des lieux.
Le doyen du groupe est en colère après moi. Logique, j'ai merdé. Et pourtant, j'aimerais lui cracher à la gueule que je n'y suis pour rien. Qu'ils n'avaient qu'à prendre les devants pour empêcher ces connards d'entrer dans la Cité. Merde. J'ai cruellement envie d'en découdre avec quelqu'un. C'est mauvais. Ça n'arrangera pas mes affaires.
Après trois profondes inspirations et expirations, je demande discrètement l'heure à Nedj, qui m'informe qu'il est 10 heures passées. Si tard ?! Dormir d'une traite aussi longtemps ne me ressemble pas, et il vaut mieux que je n'en prenne pas trop l'habitude. Pour l'instant, je me contente de ne plus bouger avant que les jurons ne pleuvent au-dessus de ma tête.
Une heure durant, nous restons ainsi, serrés les uns contre les autres. J'en profite pour fermer les yeux et continuer ma nuit. Puis on finit par m'expulser de la cellule. L'alerte est levée. Nedj retourne se coucher, Tim interpelle Jeremy pour bidouiller un appareil dans la pièce principale et Jasmine va se changer dans son alcôve. Visiblement, ils n'ont pas prévu d'évacuer tout de suite. Je lui demande si elle a vu Khenzo.
— Il reviendra vers midi.
Bien. Je dois prendre une décision. Rester et attendre ? Partir sans plus perdre de temps ? J'ai cavalé sans relâche ces derniers jours, fuyant l'ennemi autant que je le pouvais, l'affrontant en dernier recours quand je n'avais pas le choix. J'ai tenu bon, comme on me l'a enseigné, grâce à mon instinct. Et là, celui-ci me dit de repartir immédiatement. J'ai trop traîné et personne ne veut de moi ici de toute façon.
Pourtant... j'ai bien envie de ne pas l'écouter cette fois et de profiter de ce répit qui ne sera que de courte durée pour recharger les batteries. Mon corps en a besoin, mes réserves de nourritures et de munitions aussi. Je me prends même à rêver de trouver un trèfle à quatre feuilles, histoire que la roue tourne un peu dans l'autre sens. Soyons fous. S'ils procèdent de manière méthodique pour l'évacuation, je peux encore espérer dénicher quelque chose d'intéressant dans les parages, avant que tout le monde n'ait déserté.
Ma décision est prise. Je passe rapidement par le placard à balais qui sert de salle de bain, puis quitte la zone réservée à ceux qui protègent les lieux. J'aurais aimé me fondre dans la foule, l'air de rien, me promener dans les dédales souterrains, le cœur léger, mais c'était sans compter les évènements de la veille.
En un sens, je peux comprendre ce qui a poussé les gens à s'enterrer ici. Veiller en permanence sur ses arrières et guetter l'horizon avec appréhension est épuisant. L'omniprésence des soldats de la Cité, les abris qui brouillent les traces thermiques et les signaux électriques, le fait de se retrouver en communauté... tous ces facteurs réunis ici tendent à créer l'illusion d'un îlot de sécurité dans un monde chaotique. Mais voilà, ça ne reste qu'une illusion. Parce que l'influence de Macrélois s'accroît de plus en plus et que, si personne ne fait rien, ce n'est qu'une question de temps avant que l'ensemble du territoire ne lui appartienne. Même l'IPOC pourrait finir par s'écraser.
Après avoir déambulé une bonne heure sous les regards hostiles des réfugiés qui organisent leur départ, je finis par tomber sur un pseudo marché. Je n'en espérais pas tant, vu le branle-bas de combat général qui agite les galeries. Parfois, j'ai du mal à comprendre la logique des gens. Ils devraient plutôt penser à sauver leurs fesses, mais non, faire du profit semble être plus important ! Enfin, je ne vais pas me plaindre. Voici l'occasion rêvée de refaire le plein.
Des planches en bois montées sur des tréteaux croulent sous de nombreux articles, derrière lesquelles des marchands hèlent les clients qui négocient les prix. Le tout éclairé à la lueur des lumières de secours et de quelques braseros, et surplombé de tags et graffitis aux couleurs ternes. C'est un spectacle assez étrange, mais cela me permet de redevenir anonyme quelques instants.
Je furète un moment, avant de jeter mon dévolu sur une femme d'un certain âge, un peu grassouillette, qui vend des munitions. Comme la plupart des gens ici, son accoutrement est un curieux mélange de vêtements de ville et de vêtements militaires : une écharpe à grosse maille bariolée, un sweat à capuche par-dessus lequel elle a enfilé une veste militaire sans manche, un pantalon à pince pas très bien coupé pour sa taille, et une paire de baskets usées. Après une âpre négociation, la bonne femme me laisse partir avec 120 cartouches de HK-720 et deux boîtes de munitions .620 S&W Wallgon pour mon semi-automatique.
Quelques étals plus loin, je déniche une batterie de rechange et une carte SD contenant la dernière mise à jour disponible de mon détecteur de présence, obtenues contre quelques informations concernant la position de nouveaux dépôts d'armes du NGPP. Plusieurs sachets de pastilles de chlore effervescentes pour rendre l'eau potable, appelées plus couramment H²0-K, viennent s'ajouter à mes emplettes.
Je m'apprête à me mettre en quête de nourriture, lorsqu'un objet attire mon attention. Il est logé entre deux cravates, une ceinture et une paire de baskets. Je m'approche, le cœur battant. Non, je ne rêve pas. C'est bien un truc qui ressemble à un trèfle à quatre feuilles que j'aperçois dans un sachet transparent ! Je ne cherche même pas à marchander le prix, trop contente d'avoir trouvé le porte-bonheur. Par les temps qui courent on a tous envie de croire en quelque chose ; en l'occurrence, moi, en un machin vert un peu fané. Il faut bien forcer sa chance de temps en temps. Le marchand se frotte les mains, satisfait de la transaction. L'affaire aura eu le mérite de faire deux heureux.
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