Chapitre 4 - #11
— Tiens voilà Kuzzly ! s'exclame Khenzo, me tirant alors de mes pensées.
— Queuquoi ?
— Kuzzly, mam'selle !
Un homme à la voix métallique tire une caisse et s'assied devant nous. Il porte un long manteau en cuir noir, dont la capuche dissimule ses traits. Ses larges mains, couvertes par des gants fins en tissu, se croisent devant lui.
— Alors fiston, tu voulais me parler ?
— Oui, je... Xalyah a une requête.
— Celle qui est à l'origine de tout ce raffut ?
— On peut dire ça comme ça.
Je sens la colère poindre en moi, mais je me retiens. Kuzzly tourne la tête vers moi. Dans l'ombre de sa capuche, je sens qu'il me jauge. Khenzo se recule sur sa chaise pour s'effacer de la conversation et me laisser la place. Je me penche en avant et m'éclaircis la gorge :
— On m'a dit que tu connaissais une personne susceptible de me parler des derniers déplacements effectués dans la région, mais je ne suis pas sûre de pouvoir me fier à ses renseignements.
— Tu parles du Prophète ?
— Il paraît qu'on l'appelle comme ça, oui.
— Le Prophète est quelqu'un de fiable, répond simplement Kuzzly.
— Alors pourquoi aller raconter toutes ces conneries sur un para qui défie Macrélois ?
Ma question le prend visiblement de court.
— De quoi elle parle ? demande-t-il à Khenzo, visiblement pas certain de la réponse à me donner.
— C'est elle, le para en question.
Un éclat métallique brille dans l'ombre de son visage.
— Impossible qu'il se soit trompé..., murmure-t-il avant de se tourner vers moi. Le Prophète ne répand que la vérité. Demande à qui tu veux autour de toi, ici, ils te répondront tous la même chose.
— Désolée de te décevoir, mais à moins que nous soyons deux à entretenir exactement le même rituel, il semble bien que votre foutu Prophète se soit trompé.
— Impossible, répète-t-il.
— Dans ce cas il s'est bien foutu de votre gueule.
— Non, c'est impossible, je te dis.
Je soupire, sentant que cette conversation ne me mènera nulle part.
— Écoute, moi ce qui m'intéresse, c'est de savoir si un groupe de réfugiés est passé par ici récemment. Le reste, je m'en contrefous royalement.
— Le Prophète aura les réponses à tes questions. Dis-moi ce que tu veux savoir et je me ferai son intermédiaire moyennant quelques YES, ou quelques cartouches de HK-100.
— Pourquoi serais-tu son intermédiaire ? demandé-je, suspicieuse.
— Le Prophète ne traite jamais directement avec les clients. Ils passent par son réseau d'informateurs dont je fais partie. C'est comme ça que ça marche.
— Je n'ai pas de cartouches de HK-100 et je n'ai pas quelques YES à gaspiller pour une information dont je ne suis pas certaine qu'elle sera juste.
L'allure mystérieuse de mon interlocuteur ne m'inspire pas confiance. Pas plus qu'un type qui se fait appeler « le Prophète » en répandant des rumeurs saugrenues. Je trouverai ce que je cherche sans passer par ça.
— Je vois. Dans ce cas, désolé mam'selle, mais j'peux rien faire pour toi.
Tandis que je croise les bras afin de clore cette discussion, Khenzo se penche vers l'homme au visage mystérieux pour lui glisser quelques mots à l'oreille. Ce dernier hésite, puis hoche la tête.
— Tu as de la chance, dit-il alors. Tu cherches qui exactement ?
— Ma famille.
Kuzzly reste silencieux un moment, comme s'il réfléchissait.
— Je te recontacte rapidement, déclare-t-il à l'intention de Khenzo.
L'homme à la voix métallique se lève et s'éloigne à la hâte avec une démarche disgracieuse, me laissant un peu perplexe. C'est tout ? Il n'a même pas demandé mon nom, ni celui de ceux que je recherche. Combien sont-ils ? Comment voyagent-ils ? D'où viennent-ils ? Où vont-ils ? De toutes ces questions importantes, il ne m'en a même pas posé une seule. Ça confirme ma première intuition : tout ça, c'est bidon. Je n'en tirerai rien.
Curieuse, j'aimerais quand même bien savoir ce qu'a pu lui dire Khenzo.
— Oh, rien de particulier, répond-il en se passant une main dans les cheveux. Je lui ai juste rappelé qu'il avait une dette envers moi et que c'était une occasion de l'effacer.
— Une dette ?
— Oui. C'était il y a quatre mois, à peu près. Une escouade du NGPP avait cerné son groupe alors qu'ils patrouillaient dans une ville voisine. Par chance pour eux, j'étais sorti prendre l'air dans le coin. Quand j'ai vu que le NGPP retenait prisonnier un groupe de personnes, j'ai tout de suite donné l'alerte pour que la Cité m'envoie des renforts. Malheureusement, plus de la moitié des gars de Kuzzly ont trouvé la mort avant qu'un groupe ne me rejoigne. Le temps qu'on repousse les soldats, l'acide avait déjà rongé une bonne partie de son corps. Ce n'était franchement pas beau à voir, ajoute Khenzo d'une voix un peu lointaine, tandis qu'il revit ses souvenirs. Il s'en est fallu de peu pour qu'il y reste lui aussi. Pendant un mois, il est resté dans le coma et a subi de nombreuses opérations de reconstructions corporelles et faciales.
— Vous êtes équipés pour ce genre d'intervention ? le coupé-je, surprise.
— Oui, nous avons la chance d'avoir une équipe médicale experte en nanochirurgie et neurochirurgie. Au fil du temps, ils ont récupéré du matériel dans différents hôpitaux pour monter un service complet.
Khenzo s'interrompt quelques instants, l'esprit ailleurs.
— Enfin bon, continue-t-il, revenant à son histoire, tout ça pour dire qu'il est venu me voir à son réveil avec une seule idée en tête : payer sa dette. Sauf que je n'ai jamais eu besoin de ses services jusqu'à présent. Peut-être qu'il pourra tourner la page maintenant.
— En bref, tu lui as sauvé la vie quoi, conclus-je avec une pointe d'ironie dans la voix.
Mon compagnon sourit, sans relever ma pique.
— Pourquoi fais-tu ça pour moi ? demandé-je subitement.
— Et pourquoi pas ? répond-il du tac au tac.
— Ce n'est pas une réponse, ça.
Khenzo me regarde droit dans les yeux. C'est vrai ça. Même si j'ai de sérieux doutes sur le résultat, pourquoi se donne-t-il tellement de mal pour aider une inconnue croisée sur le bord de la route ?
— Tu as soigné Camélia et je t'ai dit que je te renverrai l'ascenseur. Je n'ai qu'une parole.
— Me mettre en contact avec Kuzzly aurait suffi à remplir ta part du marché. Tu n'étais pas obligé de régler tes comptes avec lui pour moi. Surtout qu'à mon avis, ton fichu Prophète, il ne vaut pas un clou.
— C'est quoi exactement ton problème ? s'énerve-t-il soudain. Un merci, ça t'arracherait la gueule ? Arrête de voir le mal partout. Tu n'es pas la seule à savoir donner sans rien attendre en échange. Et ce n'est pas mon Prophète. Renseigne-toi cinq minutes sur le bonhomme et tu verras qu'il a très bonne réputation, ici.
Ce rappel à l'ordre un peu sec me cloue le bec et je hoche la tête. Le sujet est définitivement clos. Je n'ai plus qu'à attendre que Kuzzly se manifeste auprès de Khenzo, ou passer mon chemin. J'ai déjà perdu beaucoup de temps sur mon objectif premier : rejoindre les miens, coûte que coûte.
Mes yeux se posent sur la pendule digitale de la taverne ; il est plus de 3 heures 30 du matin. La salle est encore pleine et les clients ne se sont toujours pas départis de leur hostilité à mon égard. Je bâille. Fatiguée d'avoir tué froidement. Fatiguée d'avoir enterré quatre cadavres. Fatiguée d'avoir espéré. Fatiguée d'avoir été déçue. Fatiguée de cette tension. Khenzo prend mon sac et se lève.
— Allez, viens, me dit-il d'une voix plus douce. Il reste un peu de bouillon aux pâtes et de la gelée, si tu as faim.
— Ce ne serait pas de refus. Et j'aimerais bien me décrasser un peu, murmuré-je en regardant mes mains pleines de terre.
Et fuir cet endroit hostile...
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