Chapitre 4 - #1


dimanche 13 novembre 2107

Je me réveille en sursaut, le souffle court. Khenzo me secoue doucement par le bras.

— Allez, lève-toi. C'est l'heure de partir.

Mes doigts relâchent le manche de mon couteau et je m'assieds pour passer une main dans mes cheveux. Toujours ce même cauchemar. D'un soupir, je chasse les dernières images qui me restent en tête et rassemble mes affaires. Alors que je range le sachet d'abricots secs que j'avais laissé à côté de moi, en cas de fringale pendant la nuit, je tombe sur la ceinture de ma rapière. En cuir, elle est finement ouvragée, souple comme du tissu et pourtant aussi solide que du métal. Jeremy, qui traînait dans le coin, se penche au-dessus de moi.

— C'est quoi ça ? demande-t-il d'un air curieux.

— Rien... Ce n'est rien.

Le gamin hausse les épaules et j'enfouis la ceinture au fond de mon sac pour ne plus penser à ce qu'elle représente. Je finis de ranger mes affaires et balance mon barda sur le dos. Ensuite, j'extirpe mes mitaines d'une des poches de mon manteau et les enfile, avant de remonter un peu mon col. Prête, je sors du hangar pour affronter la fraîcheur matinale, aux côtés de ceux qui sont déjà parés à partir.

Dehors, l'aube se lève à peine, colorant le ciel à demi voilé d'une teinte rose-orangé. Une fine couche de givre recouvre le sol, scintillant légèrement sous les premiers rayons qui percent cette enveloppe brumeuse. Un long frisson me parcourt l'échine lorsqu'une bourrasque de vent s'engouffre dans la rue. Le temps se dégrade de jour en jour et l'hiver commence à pointer le bout de son nez. Bientôt, je devrai rajouter une doublure à mon manteau.

Les deux hommes qui m'ont servi de gardes du corps hier – Ed et Tidji, d'après ce que j'ai pu surprendre de la conversation d'hier soir – baissent le rideau de fer et le verrouillent. Le premier est un peu plus petit que Khenzo, mais aussi large d'épaules. Sa tignasse noire, arrangée à l'iroquoise, son regard gris acier et un tatouage tribal, partant de sa nuque pour descendre jusqu'à son poignet droit, lui donnent un air de guerrier. Et, du peu que j'ai vu, cela colle bien au caractère du personnage. L'autre est plus grand, sec et tout en muscle. Les cheveux blonds, presque blancs, volant sous le vent, et les yeux d'un bleu azur, il semble tout l'opposé de son compagnon. Comme les autres, ils sont vêtus de manière pratique pour assurer leur mission. Et pratique ne rime pas forcément avec bon état.

Ed, qui avait gardé mes armes, fait passer la bandoulière de mon HK-720 par-dessus sa tête pour me le rendre. Je le regarde, étonnée.

— Il vaut mieux que tu sois bien armée, au cas où ça tournerait mal, m'explique-t-il de sa voix grave.

Je jette un œil à Tim. Il a l'air toujours aussi énervé qu'hier, mais il feint de m'ignorer. Khenzo me fait alors signe de prendre le fusil d'assaut que me tend son compagnon d'armes. Ce dernier me rend également mon Wallgon-X et mon couteau de lancer que je range aussitôt dans leurs étuis respectifs.

— Khenzo te fait peut-être confiance, mais nous non, me glisse Ed à l'oreille. Alors fais pas de conneries, sinon on ne te loupera pas.

Tidji, qui a tout entendu, me lance le même regard noir que son comparse. Mieux vaut ne rien dire dans ces cas-là pour ne pas mettre de l'huile sur le feu –même si ce n'est pas l'envie qui m'en manque – donc j'acquiesce silencieusement.

Chargés de fermer la marche, ils me font signe d'avancer, alors j'emboîte le pas des jumeaux qui transportent Camélia sur une civière de fortune, aux côtés de ceux qui charrient le mort. La jeune femme est blanche comme un linge et des larmes coulent le long de ses joues lorsque son regard se pose sur le corps inerte de Samuel.

Tim et Khenzo prennent la tête de la petite colonne et nous quittons la zone, en silence, empruntant un itinéraire défini par le doyen du groupe. Je pensais que nous effectuerions une ligne droite, mais visiblement, Tim a décidé de quadriller le secteur afin de repérer tout signe d'activité susceptible de mettre en danger l'existence de la cité. Pratique avec un mort et une blessée transportés sur civière, pensé-je, sarcastique. Mais, apparemment, les ordres sont les ordres, et même Khenzo ne les discute pas. Par deux fois dans la matinée, nous contournons discrètement des patrouilles du NGPP, notant précisément leurs emplacements, le nombre de soldats et leurs équipements. Ces derniers semblent plutôt sommaires. Après le massacre de deux de leurs unités, ils se tiennent sur le qui-vive, mais se cantonnent aux secteurs qu'ils connaissent déjà.

Ces derniers temps, je les trouve de plus en plus présents à la périphérie de l'Île-de-France. L'influence d'Augustin Macrélois a dû s'étendre plus que je ne le pensais, s'il arrive à recruter autant de nouvelles troupes si rapidement. Issu du grand banditisme, ce type fait partie de la vermine de la pire espèce. Bien connu de la police et de la population, Macrélois pratiquait ses activités illégales en toute impunité, couvert par quelques hommes politiques bien placés qui lui étaient redevables. La Démocratie dans toute sa splendeur.

Dès la Rupture, il fit jouer ses relations et son gang prit progressivement le contrôle de la capitale. Six mois plus tard, il tenait entre ses mains ce qu'il restait des administrations et des forces de l'ordre, puis s'autoproclama Président. Rien que ça. Bien entendu, vu le chaos qui régnait à l'époque et qui perdure encore maintenant, cette appellation n'a plus aucun sens. Pour être Président, encore faut-il avoir une nation digne de ce nom à gérer. Aujourd'hui, à quoi ressemble la France ? À un champ de ruines jonché de cadavres et peuplé de survivants.

D'après les différents rapports qui circulent depuis le jour où tout a basculé, au total, seul un septième de la superficie du pays aurait été épargné. Soixante-dix-huit mille petits kilomètres carrés. Sans parler des DOM TOM, dont nous n'avons plus aucune nouvelle depuis pratiquement un an. Le reste du territoire a tout simplement été anéanti. Des villes entièrement rasées de la carte. Des millions de victimes. Et une poignée de rescapés survivant parmi leurs fantômes.

La France ? Une épave abandonnée à elle-même. Oui, voilà tout ce sur quoi Macrélois règne. Rien de plus.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top