Chapitre 2 - #9
Khenzo, qui s'était éclipsé, s'agenouille devant Camélia, un thermos en inox dans une main et une pile de timbales en fer dans l'autre.
— Tu veux un peu de café ?
— Je veux bien, lui répond sa compagne.
Il l'aide à s'asseoir et lui sert une tasse d'un liquide noir, fumant. La jeune femme croise les jambes et tourne la tête vers le corps inerte du défunt Samuel. Ses mains tremblent et ses épaules se crispent sous les sanglots silencieux qui l'étreignent. Je lui aurais bien dit de se rallonger et de rester tranquille, mais je ne me sens pas le courage d'interrompre ses pleurs.
Après avoir fait le tour de ses compagnons – y compris Tim qui fait toujours la gueule – Khenzo s'arrête à ma hauteur pour me tendre sa dernière timbale.
— Et toi, tu n'en veux pas ? lui demandé-je.
— J'aurais l'occasion d'en boire plus tard. Prends-la, insiste-t-il en me la plaçant de force dans les mains.
— D'accord.
Il hoche la tête et s'assied à son tour à mes côtés. Son regard s'attarde un instant sur Camélia qui pleure toujours en silence. Sa mâchoire se contracte et ses traits se durcissent. Il semble absorbé par d'intenses réflexions que je n'ose pas troubler. Rien de ce que je pourrais dire ne leur ramènera leur camarade.
— J'espère que tu ne lui en tiendras pas trop rigueur, finit-il par dire. Il a été un peu brutal, mais comme tu as pu l'entendre, nous avons récemment perdu trois des nôtres. Je pense que tout ça le touche plus qu'il ne veut l'avouer.
— Trois ? Mais il n'y a qu'un...
— Un affrontement avec une patrouille du NGPP qui a mal tourné, il y a quelques jours, me coupe-t-il d'un air sombre. Ils sont de plus en plus nombreux dans le secteur. Nous avons réussi à nous replier, mais Dan et Julie y sont restés.
— J'en suis désolée...
Le silence retombe entre nous. Malgré tout, Khenzo ne semble pas disposé à me fausser compagnie. Près du feu, sous l'ordre de Tim, deux personnes se lèvent, puis sortent du hangar par une porte dérobée vers le fond de la grande pièce. Je suppose qu'ils vont entamer leur quart pour surveiller la zone et s'assurer que les Balayeurs ne viennent pas trop fouiner par ici. S'il n'y avait pas ce corps criblé de balles à quelques mètres, le calme apparent et le crépitement des flammes contre les parois rouillées du baril me rappelleraient presque des temps meilleurs. Je me laisse aller et ferme les yeux quelques instants.
— J'ai une question..., murmuré-je.
— Oui ?
— Que faites-vous ici ?
Je tourne la tête pour le regarder. Même si je lui donne à peine plus que la vingtaine, il a les traits d'un homme mature et réfléchi. Je suppose que, comme la plupart d'entre nous, de nombreuses épreuves l'ont marqué au fer rouge. Je le sens un peu sur ses gardes suite à ma question.
Il souffle sur les mèches qui lui balayent le front et se décide à me répondre :
— Nous tentons de survivre.
Son regard fuit le mien, je suis sûre qu'il y a autre chose.
— Sérieusement. Que faites-vous dans cette ville, armés comme vous l'êtes ? Réponds-moi franchement.
— Eh bien...
Il jette un coup d'œil à Tim. Je sens qu'il hésite à me donner des explications :
— Ça ne va pas lui plaire, mais tant pis. Il n'a pas vu ce que moi j'ai vu, alors, contrairement à lui, je pense que nous pouvons avoir confiance en toi.
Après une courte pause, il se tourne à nouveau vers moi :
— En fait, nous sommes ici en patrouille. Nous... il y a une petite cité souterraine dans le coin et nous veillons à sa sécurité.
— Une cité souterraine ? Ici ?
C'était donc de ça qu'il parlait un peu plus tôt. Voilà qui explique bien des choses. La flamme de l'espoir se ravive au fond de moi. Et si...
— Oui, des survivants de la ville ont trouvé refuge dans les réseaux de transport et les égouts, il y a près d'un an maintenant, continue Khenzo qui ne s'est pas aperçu de mon trouble. Ils les ont aménagés pour pouvoir y vivre. Dit comme ça, ça ne donne pas très envie d'y aller, mais, en vérité, c'est plus confortable que bien des endroits où j'ai vécu.
— Comment ont-ils fait pour échapper aux patrouilles du NGPP ? Ce n'est plus qu'une question de temps avant que la région ne tombe totalement sous le contrôle de Macrélois.
— Disons qu'ils ont trouvé un système de protection qui s'est avéré efficace jusqu'à présent, mais je ne me fais pas d'illusions. Les forces du NGPP ne cessent de grossir... Donc tôt ou tard, ils devront soit se soumettre, soit partir.
Sa conclusion paraît bien fataliste, et pourtant, c'est une réalité. En territoire conquis, il n'y a pas trente-six solutions. Khenzo vient d'en citer deux. La troisième et dernière consiste à mourir. Le passé remonte à la surface une fois encore, mais je décide de m'intéresser un peu plus à l'homme qui m'a tendu la main aujourd'hui :
— Et toi, d'où viens-tu alors ?
— Moi ?
Khenzo me regarde avec un sourire que je n'arrive pas à interpréter, avant de poursuivre :
— Après la Rupture et la chute de Paris, je me suis retrouvé plus ou moins seul. J'ai pas mal vadrouillé dans le nord-ouest de la région, sans véritable accroche, et il y a presque un an et demi maintenant, j'ai rencontré Tim. Depuis, nous voyageons ensemble. Et après avoir parcouru de nombreuses villes et agrandi notre groupe, nous avons atterri ici. Ça fait deux mois que nous assurons la sécurité de la Cité, en échange de quoi nous avons un endroit où dormir lorsque nous ne sommes pas chargés de patrouiller et nous avons droit à des rations hebdomadaires...
— Tu as perdu ta famille pendant la Rupture ? demandé-je après un long silence.
— Non... Ni pendant la guérilla parisienne. J'ai été élevé dans un Centre Pour Enfants Abandonnés.
J'assimile ce qu'il vient de me dire tout en l'observant. Il a un beau visage malgré des traits tirés par la fatigue et la faim. Son attitude calme et déterminée dégage quelque chose d'agréable.
Sabrina l'aurait sûrement trouvé bel homme. Je souris tristement en repensant à ma meilleure amie et concentre mes pensées sur un sujet plus important : si les habitants de la cité souterraine ont réussi à se cacher du NGPP aussi longtemps, il y a peut-être un espoir... Je dois m'y accrocher. Je n'ai pas d'autre choix.
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