Chapitre 2 - #7

La pièce est petite et sale, mais on sent qu'elle est souvent occupée. Quelques magazines, datant d'avant la Rupture, jonchent le bureau poussé dans un coin. Il semble qu'on les ait feuilletés récemment, car aucune poussière ne les recouvre. Un cendrier fraîchement rempli repose sur une étagère et quelques sacs traînent à côté d'une chaise. Je ne prends pas le risque de regarder à l'intérieur, refrénant mon insatiable curiosité.

Au fond, la salle de bain est aussi lugubre que le bureau. Les carreaux grisâtres sont en partie défoncés et les joints ont pris une couleur noire, suintants de crasse. La spacieuse douche à l'italienne et le receveur semblent en meilleur état que le reste de la pièce, en-dehors de la vitre, rayée et fendue à de nombreux endroits. Mais je ne vais pas m'en plaindre, car même si ce secteur n'est pas encore sous l'emprise de Macrélois, les points d'eau sont difficiles à trouver depuis qu'il a lancé une vaste opération consistant à réduire l'accès à l'eau courante à la population.

Avant toute chose, je me dirige vers le lavabo, pour enlever le sang de Camélia qui recouvre mes mains. Puis je remplis mes gourdes vides, en glissant une pastille de chlore dans chacune d'elles. D'ici une heure, l'eau deviendra potable. Tout en refermant le sachet, je me dis qu'il serait grand temps que je me trouve un fournisseur ; il ne me reste plus qu'une vingtaine de petits galets blancs effervescents et ça risque de vite devenir problématique.

Une fois la dernière gourde rangée dans mon sac, je me campe devant le miroir. D'une main, je décrasse la surface lisse pour y observer mon reflet. Les paroles de Tim me reviennent en mémoire : « Quel âge as-tu ? Trente ans ? ». J'esquisse un sourire. Ah, s'il savait... C'est vrai que, depuis la Rupture, j'ai vu et vécu bien des choses. Certaines dont je me serais bien passée. En deux ans, j'ai eu le temps de me forger un masque. Sûre de moi. Fière et forte. Impassible aussi. En toutes circonstances.

Je soupire, lasse de ce quotidien qui me semble sans lendemain. Il y a des jours où le moral est en berne et aujourd'hui fait partie de ceux-là. Demain, ça ira mieux. La liberté est incompatible avec la faiblesse. Papa et ses proverbes... Mais celui-là, j'y crois dur comme fer.

J'approche un peu plus mon visage du miroir, jusqu'à ce que mon nez entre en contact avec la surface froide. J'ai les mêmes yeux verts tirant sur le gris que ma mère. D'après elle, un héritage qui se transmet de mère en fille. Elle aimait dire que les miens étaient les plus beaux de la famille. Sacrée maman. Si fière de sa progéniture. Avant, ça m'agaçait, maintenant, ça me manque. Je donnerais tout pour entendre à nouveau sa voix douce, faite pour les compliments. Mes cheveux, quant à eux, ressemblent à un grand champ de bataille. Poussiéreux, ils ont pris une teinte blanchâtre. Et mes traits, tirés et creusés par la faim et la fatigue, renforcent un peu plus l'illusion des années supplémentaires. Une bonne douche me redonnera un peu de vitalité.

J'hésite un moment avant d'enlever mes vêtements. Après tout, je suis entourée d'inconnus ici et tous n'ont pas l'air d'apprécier ma présence, mais j'ai vraiment besoin de cette douche. Par mesure de précaution, je dépose alors mon couteau dans un coin de la cabine, puis avec des gestes lents, je retire mes vêtements et mon bandage, avant de me glisser sous un jet puissant. L'eau est froide et me donne la chair de poule. D'autres souvenirs déplaisants ressurgissent, mais je les balaye d'une main, me frictionnant avec énergie. L'eau, grisâtre, s'écoule difficilement par l'évacuation. Il me faut bien vingt minutes pour nettoyer la poussière et la sueur qui me collent à la peau. La plaie sur ma cuisse me tire encore, mais d'ici quelques jours, ça devrait rentrer dans l'ordre.

Une fois propre, je me sèche rapidement avec une petite serviette éponge puis enfile des vêtements de rechange : un pantalon marron, un t-shirt blanc et mes fidèles bottines, qui ont partagé toutes mes galères. Je revêts un veston court, puis entreprends de laver mes autres habits. Lors de mes récents exercices d'endurance, mon short gris a subi quelques accrocs qu'il va falloir que je répare. Le reste a l'air en bon état.

Après avoir essoré mes vêtements, j'endosse mon manteau et rassemble mes affaires. J'inspire un grand coup, prête à retourner dans la grande pièce du hangar.

Le rideau de fer a été tiré et un feu brûle vivement dans un baril métallique, projetant des ombres mouvantes sur les murs. L'air reste âcre, malgré les quelques fenêtres ouvertes pour que la fumée s'échappe. Des tonneaux en métal et des cagettes traînent ici et là, mais, en dehors de ces quelques déchets abandonnés, l'endroit a été vidé de tout son contenu.

Plus de la moitié des hommes de Tim se sont réunis autour du feu pour profiter de sa chaleur et discuter. Khenzo se tient en retrait, en compagnie de Camélia qui somnole à ses côtés. Mes deux gardes du corps patientent toujours au pied des escaliers, avec mes armes, et Tim est adossé à un mur, surveillant tout ce beau monde. Je suppose que le reste du groupe patrouille dans les environs.

Les deux hommes s'écartent à nouveau pour me laisser passer, sans me lâcher une seconde du regard. Je me dirige vers le fond, histoire de m'éloigner le plus possible de leurs ondes hostiles. Camélia dort profondément et transpire un peu moins, ce qui signifie sans doute que la fièvre a légèrement diminué. Khenzo m'adresse un signe de tête en guise de remerciements. Je lui réponds d'un sourire discret.

Tim choisit ce moment-là pour traverser le hangar d'un pas lourd et se planter devant moi, l'air furieux :

— Ce n'est pas parce que tu as soigné Camélia que tu dois te croire chez toi ici, alors prends tes affaires et fous le camp !

— Ce n'est pas la gratitude qui t'étouffe, toi !

— Ne fais pas ta maligne avec moi !

Le quinquagénaire m'attrape une nouvelle fois par le col de mon manteau et me colle contre le mur avec violence. Je lâche mon sac sous le coup. Un silence de mort accompagne sa chute. Tous les regards sont braqués sur nous à présent. Il colle son avant-bras sous ma gorge et se rapproche de mon visage. Une veine palpite furieusement le long de sa tempe. Si son regard avait été une arme, je crois que je ne serais déjà plus de ce monde. 

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