Chapitre 2 - #11

Je soupire à mon tour. Le souvenir du vieil homme agonisant me pèse sur les épaules. C'est pour moi qu'il était resté en arrière, guettant ma venue nuit et jour, afin de rejoindre les autres au plus vite. Et il en est mort. Je refoule mes émotions et décide d'être honnête envers l'homme qui m'a offert l'hospitalité aujourd'hui. De toute façon, je ne crains rien à lui lâcher quelques confidences, car demain nos chemins se sépareront pour suivre leurs tracés respectifs.

— Nantes.

— Nantes ?

— Oui, je suis sur la trace de quelques personnes. Et d'après ce que j'ai pu recueillir comme informations, elles se dirigent vers Nantes. D'ailleurs, il se peut qu'elles soient passées par votre cité souterraine. À tout hasard, vous n'auriez pas croisé, il y a quelques jours, un groupe de civils qui cherchaient à fuir la région parisienne ?

— Des civils qui fuient la région, on en a croisé un paquet. Tu cherches qui, exactement ?

— Ma famille...

Le sourire de ma mère, la bienveillance de mon père, ou encore l'insouciance de mon petit frère hantent mes pensées. Ils me manquent tellement. Les choses n'auraient pas dû se passer comme ça. D'ailleurs, rien n'aurait dû se passer comme ça, à compter de la Rupture.

Je me souviens des premières semaines après que le chaos se soit abattu sur nos têtes. Sarah, ma petite sœur, n'arrêtait pas de pleurer. Elle voulait retrouver ses copines, retourner à l'école et préparer sa fête d'anniversaire. Papa et maman avaient fini par arriver à court d'idées pour la consoler et nous nous contentions de la regarder se vider de toutes les larmes de son corps chaque soir. Par moments, cela me tapait sérieusement sur les nerfs, mais là, maintenant, je ferais n'importe quoi pour pouvoir de nouveau la tenir dans mes bras et tenter de la rassurer une nouvelle fois.

Khenzo me parle, mais je ne l'écoute pas.

— Excuse-moi, j'étais ailleurs. Tu disais ?

— Quelqu'un pourra sûrement t'aider. On l'appelle le Prophète.

— Le Prophète ? C'est ridicule comme nom.

— D'après ce que je sais, continue-t-il en ignorant mon sarcasme, il est au courant de tous les mouvements qui ont lieu dans ce secteur. Personnellement, je ne l'ai jamais rencontré, mais je connais quelqu'un qui pourra te mettre en relation avec lui.

— Pourquoi ferais-tu ça pour moi ?

La prudence reprend le contrôle de mon esprit. J'ai déjà eu affaire à des personnes qui te tendent la main, tout sourire, pour mieux te poignarder dans le dos par la suite. Khenzo pourrait très bien faire partie de celles-là.

— Tu as soigné Camélia sans rien exiger en contrepartie. Comme ça, nous serons quittes.

S'il le dit. Tant qu'il m'assure que rien d'autre ne me sera demandé en échange, alors je peux supposer que je n'ai pas grand-chose à perdre à rencontrer ce... Prophète. Et peut-être même beaucoup à gagner.

Méditant sur sa proposition, nous en restons là, chacun s'enfermant dans sa bulle. Je profite de cet instant d'accalmie pour repriser mon short qui a souffert de mes derniers exploits.

Puis, de nouveau, je me laisse porter par la tranquillité de cette journée, uniquement rythmée par les quarts de surveillance du groupe. Une ou deux fois, je tente de proposer mon aide pour patrouiller dans le secteur, mais Tim refuse catégoriquement. Encore suspicieux à mon égard, il ne me quitte pas des yeux et épie le moindre de mes gestes. Je décide donc de prendre mon mal en patience et de profiter de ce repos surveillé pour reprendre des forces. J'en ai bien besoin.

Jeremy vient me tenir compagnie une partie de l'après-midi. Comme je l'avais deviné, il va sur ses quinze ans dans quelques mois. C'est un gamin bavard, plein de volonté et de bonnes intentions. Il a juste grandi trop vite. Beaucoup trop vite. Et son rapport avec la mort est un peu spécial. Je préfère donc éviter le sujet, même s'il essaie de l'aborder avec moi à plusieurs reprises en me questionnant inlassablement sur l'altercation que Khenzo et moi avons eue un peu plus tôt dans la matinée. Je ne lui décrirai pas les sensations qu'ôter la vie de dix hommes procure. Non. Tuer est un traumatisme que l'on n'oublie jamais. Ceux qui disent qu'on finit par s'y habituer sont soit des hypocrites, soit des psychopathes.

Sur les coups de 21 heures, tout le groupe se retrouve autour du baril, dont les flammes montent jusqu'à hauteur d'homme. Bilan de la journée : les Balayeurs ont fait le ménage, fouillé les zones de combat de fond en comble et rédigé un rapport sur l'éradication de deux patrouilles qui n'aura pas de suite immédiate. Ils ont suffisamment d'éléments pour ouvrir une enquête, mais trop de choses plus urgentes à traiter pour l'instant : une poche de résistance cause d'importants dégâts dans l'est de la Seine-et-Marne, mobilisant une bonne partie des troupes de la région. Seules cinq unités seront envoyées en renfort dans le secteur pour le moment. En attendant de pouvoir déployer une force plus importante, les troupes sont juste invitées à renforcer l'armement de leur patrouille et redoubler de vigilance. Le travail de renseignement du groupe de Tim est stupéfiant.

Malgré mon vif intérêt pour leur façon de procéder, je reste à l'écart, respectant leur intimité. Après l'analyse des différents évènements de la journée, deux hommes s'occupent de préparer à manger pour tout le monde. Franc et Timothée. Des jumeaux, approchant la trentaine et le mètre quatre-vingt. Si l'un n'était pas habillé d'un treillis et d'un blouson noir, et l'autre d'un jean et d'une veste en tweed, je serais incapable de les distinguer. Ils ont exactement la même corpulence, les mêmes traits et les mêmes cheveux blonds coupés en brosse. La seule différence notable réside dans leur caractère où le dominant, Franc, a l'air plus extraverti que son frère, qui se contente de marcher dans ses pas.

Ensemble, ils distribuent les gamelles pleines de nourriture lyophilisée – bourrée de protéines et de vitamines – très certainement fournie par la Cité vu le caractère industriel des sachets. Tandis que des odeurs appétissantes me chatouillent les narines, je me contente de ce qu'il me reste, c'est-à-dire pas grand-chose. Mes réserves diminuent et je dois rationner mes repas. Je me sers donc un demi-sachet de viande en poudre, deux abricots secs et de l'eau. Avec un peu d'effort, je m'imagine sur une terrasse ensoleillée, en train de manger un bon poulet rôti accompagné de frites croustillantes. Mon estomac me fait comprendre qu'il aimerait bien que ce soit vrai. Un jour, peut-être...

L'ambiance est calme autour du feu. La perte de Samuel les a visiblement tous un peu sonnés. Des conversations s'engagent à voix basse, teintées de tristesse et de regrets. Malgré tout, ces sons apaisants me bercent. Il ne m'en faut pas plus pour sombrer dans une douce torpeur. Harassée de fatigue, j'ai le cœur léger en pensant à la bonne nuit de sommeil qui m'attend. Je finis par m'allonger dos au mur, enroulée dans mon manteau, avec mon sac en guise d'oreiller. Malgré tout, je reste prudente et la paume de ma main se pose sur le manche de mon couteau de chasse alors que je me sens sombrer peu à peu.

--

Nous voici arrivés à la fin de ce deuxième chapitre ! J'espère que ce début de roman vous plait.

Qu'avez-vous pensé de Xalyah ? 

Et de Khenzo ? Est-ce que son groupe inspire la confiance ?

Et quelqu'un qui se fait appeler le Prophète... ça vous semble ridicule à vous aussi ?

A la semaine prochaine pour la suite !


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top