Chapitre 2 - #1
samedi 12 novembre 2107
Je me réveille en sursaut, tous les sens en alerte. L'aube est encore loin, mais je suis saisie d'une sensation désagréable. Sans attendre, j'empoigne mon sac, mets mon fusil d'assaut en bandoulière et quitte les lieux rapidement, les yeux rivés sur mon détecteur de présence que je viens d'allumer. Je lance un scan sur les puces GPS sur un rayon de deux kilomètres. Pas besoin d'user plus de batterie que nécessaire.
L'icône de chargement cesse de clignoter et la zone s'affiche progressivement à l'écran avec le résultat de l'analyse. C'est bien ce que je pensais : au moins une douzaine de personnes circule dans le secteur, d'après les points rouges qui bougent de façon groupée. Je clique sur l'un d'eux pour que le détecteur me sorte toutes les données associées à la puce GPS. L'opération prend un peu de temps, puis un pop-up m'affiche les détails. Il s'agit d'un HK-100, un fusil d'assaut semblable au mien, avec une puissance et une portée plus réduites ainsi que des chargeurs plus petits. Néanmoins, ça reste une arme de guerre redoutable et efficace, qui était très utilisée dans les plus grandes armées régulières avant la Rupture. Je choisis un autre point au hasard. Il s'agit d'une mitraillette.
Je ne sais pas d'où ils sortent, mais dans le doute je préfère me tenir à distance et rester dans l'ombre. S'ils sont tous armés comme ça, j'ai plutôt intérêt à éviter de les croiser.
Pendant plus d'une heure, ils patrouillent dans les rues de la ville. J'ai comme l'impression qu'ils vérifient les lieux à la recherche de quelque chose... ou de quelqu'un. Cachée dans un placard à jouets – d'après ce que j'en déduis des peluches, poupées et Lego poussiéreux qui ont été abandonnés – j'attends qu'ils s'éloignent, espérant qu'ils ne possèdent pas un détecteur de présence tout comme moi. Apparemment non, ou alors ils ne s'en servent pas pour l'instant.
Depuis plus de dix minutes, ils sont réunis au même endroit et ne semblent plus avoir l'intention de bouger. J'hésite. Mon premier instinct me pousse à poursuivre sans faire de détour. Je n'ai pas de temps à perdre. Et risquer un accrochage avec un groupe bien armé ne serait pas raisonnable après mes mésaventures de la veille. Mais d'un autre côté, il serait tentant de faire un petit crochet pour essayer de reconstituer mes réserves. Mon stock de nourriture s'est réduit à un sachet d'abricots secs, cinq rations de nourriture lyophilisée et quelques pastilles de chlore effervescentes. Avec ça, je tiendrai une semaine tout au plus. Pas suffisant pour atteindre mon objectif.
Oui, mais la prudence doit rester la priorité. C'est ce qu'on m'a appris, et c'est ce qui m'a maintenue en vie jusque-là. Bien, mais une fois que je n'aurais plus rien pour me remplir l'estomac, à quoi ça m'aura servi de prendre mes précautions ? Fait chier, putain. Je n'aime pas ces dilemmes à la con.
Pendant un long moment, je tourne et retourne la situation dans tous les sens, pesant le pour et le contre. Cinquante/cinquante. Alors quoi ? Je tire à pile ou face ? Oh, et puis j'emmerde la prudence ! C'est décidé. Ne m'en veux pas papa, car si je sais que ce n'est pas raisonnable, j'irai quand même jeter un coup d'œil sur ce groupe. Ce sera peut-être ma seule opportunité pour renouveler mes stocks dans les semaines qui viennent.
J'éteins le détecteur et sors mon Mémo. Grâce à son plan détaillé de la ville, je repère la configuration des lieux. La carte m'indique qu'une ancienne banque surplombe l'endroit où ils se trouvent. C'est donc par-là que je vais passer. Je m'équipe des lunettes et les règle en infrarouge pour mieux me déplacer dans l'obscurité. Tout en prenant garde à ne pas faire de bruit, je tiens mes distances et passe par l'arrière du bâtiment, à l'architecture démesurée. Je traverse les salles, une à une, sur la pointe des pieds.
Il reste des machines à moitié cassées sous les décombres, des placards encore pleins de dossiers et même des tasses à café avec leur cuillère sur des tables de réunion jonchées de paperasse poussiéreuse. Le plafond et les murs ne semblent tenir que par miracle et n'attendent qu'une chose : me tomber dessus. Tout est sale, sans vie et noir. L'abandon des lieux donne à cette banque un air sinistre. Des graffitis recouvrent les parois de la cage d'escalier d'où s'élève une odeur nauséabonde. On peut y lire toutes sortes d'insultes grossières, de revendications politiques, de noms, de dates. C'est la représentation exacte du pays. Des morceaux d'idées, d'envies, d'actes, mais rien de cohérent, juste une impression de désordre.
Arrivée au deuxième étage, je passe par-dessus les gravats pour gagner les fenêtres qui donnent sur la rue. De là, je devrais apercevoir le groupe qui a sillonné toute la ville. Je m'allonge sur le sol et appuie sur un bouton de mes lunettes pour les passer en mode jumelles nocturne. Je les adore ! Piquées dans un dépôt d'armes, je ne regrette pas les risques que j'ai pris à l'époque.
En bas, ils sont quinze, postés dans la rue devant un rideau baissé comme s'ils attendaient quelque chose. Certains font les cent pas, nerveux. D'autres, plus détendus, jouent aux cartes assis sur des cagettes en bois. Cette apparente insouciance ne m'empêche pas de les sentir aux aguets et attentifs à ce qui les entoure. Parmi eux, deux femmes trentenaires et des hommes de tous âges : le plus jeune est un adolescent et le plus vieux frise la cinquantaine.
Pendant un long moment je les observe, essayant de repérer un sigle ou un insigne particulier qui me permettrait de les identifier, mais je ne vois rien. Ils ne portent pas d'uniforme, juste des vêtements de ville. Le plus vieux doit être le chef du groupe. Du moins, je suppose qu'il prend le commandement dans les situations difficiles. Malgré leur attitude décontractée, à la moindre inflexion autoritaire de leur aîné ils réagissent aussitôt. Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une obéissance aveugle, mais plutôt d'une forme poussée de respect.
J'en déduis qu'ils ne font pas partie des forces armées du New Generation Political Party. Non, eux sont trop à cheval sur les principes, la discipline et l'uniforme. Et surtout, je n'ai encore jamais vu de femmes dans leurs rangs. Pour la plupart, ils les asservissent comme des esclaves, prêtes à être engrossées, et toutes les tâches répugnantes indignes des hommes leur sont réservées. Niveau technologie, ils sont à la pointe du progrès, mais concernant le droit des femmes... merci pour ce beau retour à l'âge de pierre.
Ils ne doivent pas non plus dépendre de l'International and Political Oil Corporation, car je n'ai vu nulle part le sigle du baril de pétrole et ils ne portent pas de sabre à leur ceinture. Depuis la Rupture, seuls le NGPP et l'IPOC se disputent la région. Contrairement aux autres grandes organisations qui avaient moins d'influence en Europe de l'Ouest, ces deux dernières s'étaient parfaitement intégrées dans le paysage des meneurs européens. Et, aujourd'hui, plutôt que de s'entendre pour reconstruire quelque chose de positif ensemble, elles préfèrent s'affronter pour asseoir leur domination. De la connerie à l'état brut dont la population paie le prix fort.
J'observe à nouveau attentivement les hommes et les femmes qui se trouvent en contrebas. Ils ont l'air trop bien armés pour n'être qu'un simple groupe de survivants et, surtout, qu'est-ce qu'un groupe tel que le leur fabrique encore dans le coin ? À leur place, il y a longtemps que j'aurais fichu le camp d'ici.
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