Chapitre 1 - #4
Le sentier de terre se transforme peu à peu en route de béton parsemée de gravats, les arbres deviennent des ruines, et le chant des oiseaux est remplacé par un silence de mort. Je choisis soigneusement où je pose mes pieds, repoussant la douleur de ma blessure dans un coin de ma tête. Prudence est mère de sûreté. Mon père me le répétait constamment. Bien que j'aie souvent associé la prudence à la lâcheté, aujourd'hui je dois bien admettre qu'il avait raison. Et sa sagesse me manque.
Je sors le détecteur de présence d'une poche de mon sac et l'active. J'ai obtenu ce petit bijou par l'intermédiaire d'un groupe armé avec lequel je suis restée près de deux semaines. Durant ce temps, nous avons combattu côte à côte pour sauver notre peau et celle de ceux que nous protégions. Ils m'étaient redevables plus d'une fois, mais cela ne les a pas empêchés de me réclamer presque toutes mes économies ainsi que certaines de mes affaires pour qu'ils me cèdent l'un des deux exemplaires qu'ils possédaient. Piqués dans un dépôt d'armes ultra-sécurisé du New Generation Political Party, ces gadgets militaires valaient leur pesant de billets verts d'avant la Rupture. Mais je ne le regrette pas.
Ce modèle dernier cri, produit par le géant américain de l'équipement militaire Whirlwind, regroupe tout ce qui se fait de mieux en matière de détection de présence à l'heure actuelle. En passant soit par la chaleur, soit par les puces GPS dont presque tous les équipements sont désormais dotés, soit par les puces biométriques qu'une partie de la population a accepté de se faire poser depuis une trentaine d'années. L'inconvénient c'est qu'on ne peut pas additionner les modes de détection, alors il faut faire le bon choix en fonction de la situation, surtout si celle-ci est urgente.
Je lance un premier scan de détection de puces biométriques sur un rayon de cinq kilomètres, afin d'être large. L'opération prend une grosse minute, avant que l'icône de chargement ne disparaisse pour afficher le résultat en vue aérienne. Rien à signaler. Personne dans le coin ne porte ces saloperies. Donc au moins, je suis certaine qu'il n'y a pas de soldats du NGPP, car ils en sont tous implantés.
Tout en continuant de marcher, je lance un deuxième scan sur les puces GPS en réduisant la zone à trois kilomètres pour économiser un peu les batteries. Résultat : que des points gris ou orange qui me signalent la présence d'appareils domestiques en état de fonctionnement, mais considérés comme sans risque ou à risque modéré. Pas de points rouges, donc a priori pas d'armes dans le secteur.
Bien évidemment, je ne suis pas à l'abri que, comme moi, quelqu'un – voire même un groupe – ait ajouté un système fantôme sur leurs équipements, leur permettant ainsi de masquer les signaux des puces biométriques ou des puces GPS. Mais je vais miser sur la faible probabilité que ça arrive étant donné le prix exorbitant de cette technologie et donc le peu d'exemplaires qui circulaient sur le marché avant la Rupture.
Je relève la tête de l'écran et pousse un soupir de soulagement en scrutant le ciel. Un jour, j'aimerais remercier ces hommes et femmes de l'ombre qui ont pris le contrôle de plusieurs satellites. Grâce à eux, des gens comme moi peuvent survivre en utilisant la technologie de nos oppresseurs.
Je vais enfin pouvoir dormir et reprendre des forces !
Une demi-heure plus tard, je franchis l'entrée de la ville. Le panneau a été arraché et jeté sur le bas-côté. Le nom recouvert de tags est également strié de coups de cutter. On ne distingue que les cinq premières lettres « Subli... » . Pourquoi certaines personnes se sentent-elles obligées de dégrader tout ce qu'elles croisent ? Je ne comprends pas. Comme si le monde n'était pas assez déglingué comme ça.
Je poursuis ma route vers le cœur de la ville. Les rues sont désertes, les volets des bâtiments encore debout sont clos et, parfois, je crois apercevoir un rai de lumière percer à travers les lames en plastique avant de me rendre compte que mon imagination me joue des tours. Des détritus en décomposition depuis longtemps s'amassent dans les caniveaux : restes de sandwich, canettes, papiers gras, auxquels s'ajoutent aussi des déjections... Probablement des animaux sauvages étant donné qu'il n'y a pas âme qui vive dans le coin. Par moments, des odeurs nauséabondes me soulèvent le cœur, m'obligeant à relever mon foulard sur le nez. Quelques lampadaires bioélectriques fonctionnent encore à puissance réduite, peut-être alimentés par un réseau d'énergie solaire encore en marche, renforçant l'aspect lugubre des lieux. Le sentiment de légèreté qui m'étreignait à l'idée d'atteindre la ville s'estompe, laissant sa place à la morosité.
En passant à côté d'une laverie, je récupère trois vieilles cagettes en bois esquintées par le temps : elles me serviront à allumer un feu. Je continue à déambuler entre les ruines et les déchets pendant un long moment. Mon choix finit par se porter sur une grande maison familiale à l'architecture ancienne qui semble inhabitée depuis longtemps, comme le reste de la ville. De trois ou quatre étages à l'origine, il n'en reste plus que les vestiges du premier, encombré par l'effondrement des étages supérieurs. Au rez-de-chaussée, la partie arrière – où se trouvaient probablement la cuisine et la salle de réception – est affaissée. Seul le salon me protégera du vent et de la pluie. Un vieux fauteuil en cuir traîne dans un coin. Je le tire devant la cheminée et pose mon sac à ses pieds. J'ouvre la porte vitrée et jette les cagettes dans l'âtre pour les enflammer avec mon briquet. Cela me réchauffera l'espace d'une heure ou deux. C'est peu, mais ce sera suffisant pour cette nuit car je ne veux pas que la fumée dégagée attire trop l'attention sur ma position.
Avant de m'endormir, j'hésite à laisser le détecteur allumé pour programmer des scans à intervalles réguliers. Finalement, je préfère miser sur la chance et économiser ainsi le peu de batterie qu'il me reste. Enroulée dans mon manteau, je laisse mon esprit vagabonder où bon lui semble. La journée a été dure, mais j'ai connu pire.
Des souvenirs douloureux s'emparent de moi, me plongeant dans un état second. La vie est injuste. Et en même temps, je préfère penser que nous méritons ce qui nous arrive. Cela me donne la dérisoire illusion que je reste maîtresse de mon destin. Que je peux influer sur le cours de ma vie. Il faut juste que je continue à m'en donner les moyens. Et que je continue d'y croire.
Le doux crépitement des flammes finit par me bercer et peu à peu je sombre dans le pays des rêves, là où tout est permis, même l'espoir d'un meilleur futur.
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Coucou la compagnie,
Le premier chapitre s'achève ici ! J'espère qu'il vous a plu ? N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, votre avis est important pour moi :)
L'idée c'était de prendre le train en marche avec notre héroïne, alors j'espère avoir réussi à vous embarquer pour la suite des aventures !
Je vous dis à très vite !
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