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Respire.
Doucement, inspire par le nez. Expire. Voilà. Lentement.

Je bat des paupières, accoudée à l'entrée, grelottante sous la pluie. À l'intérieur, le visage de Ambre se plisse d'inquiétude. Je m'efforce de lui adresser un sourire, de me redresser pour faire mine que ce n'est que la faute de ce hamburger que j'ai mangé trop vite. Mais aussitôt que je m'engouffre à l'intérieur, la chaleur, les bruits, la foule et l'absence d'air m'oppressent et le monde tangue. Mes poumons se compressent. Le noir et les couleurs dansent devant mes yeux, je tâtonne, si terrifiée que j'en oublie qui je suis, où je suis et pourquoi je suis.

Les crises d'angoisses. Et la foule. Voilà longtemps que je n'en ai plus fait. Près de quelques mois. Et c'est une victoire à mes yeux.

Pourtant, il va bien falloir que je retourne à l'intérieur. Autrement Ambre et Quentin se douteraient que quelque chose ne va pas. Ce que je refuse catégoriquement. Personne en ce monde ne saura cette honteuse faiblesse, celle qui m'empêche de rester assise dans une cantine sans faire de crise d'angoisse. Sans que je n'entende ces voix dans des flashs douloureux me hurler des mots que j'ai cru avoir enterré à jamais. Mon cœur se gonfle, manque d'éclater.

Ça va aller, je reprends, plus calme. Ça va aller. Personne ne te connais ici. Ça va aller.

Et je pousse la porte, retiens mon souffle lorsque la chaleur s'engouffre dans les manches de mon gilet.

— Ça va ? s'enquit Ambre, un sourire compatissant aux lèvres.

— Oui oui, je bredouille, toujours faiblarde. J'ai mangé trop vite, j'avais besoin de prendre l'air.

Mon hamburger est toujours là, tout comme le reste de mon plateau. Et en tombant sur mon dossier, mes sourcils se froncent, je dévisage les deux autres dans un long silence pesant. Voilà une chose bien anormale. Pourquoi mes aliments me dévisagent-ils de la sorte, tout sourire, bel et bien présents ? Pourquoi ne se sont-ils pas envolé, comme cela aurait dû arriver ?

— Qu'est-ce qui se passe ? pouffe Quentin, qui peine quant à lui à conserver sa bouchée derrière ses lèvres tapissées de sauce.

Je bats des cils, dévisage à nouveau Ambre et lui. Je peux aisément lire dans leur regard qu'ils n'ont véritablement aucune idée de mes préoccupations actuelles. Pourtant, il faut bien se rendre à l'évidence : quelqu'un est forcément passé pour me dérober quelque chose. Et voilà que le tout n'a pas bougé d'un seul petit centimètre.

— Tu veux plus de ton burger ? reprend-il, le regard avide.

— Bien sûr que si, je siffle, les yeux plissés.

Peut-être souhaite-t-il me l'enlever à la loyale ? En guise de réponse, j'attrape l'appétissant sandwich entre mes doigts tremblants et plonge mes dents dans le pain. Je croque, mâche, avale en tâchant de ne pas paraître trop ébranlée. Ni vol, ni provocation ; voilà un lieu bien étrange. Et ce comportement pacifiste va de pair avec les baies vitrées, ces deux espaces imposants qui forment le réfectoire ; un endroit de paix où l'on mange sans se soucier de se qui se trouve sur le plateau des autres, sans surveiller le sien. Ainsi, je peux déguster, prendre mon temps, et avaler de la façon la plus lente qui soit sans que cela ne me porte préjudice.

Ainsi, en plus d'avoir un repas complet, d'une nourriture d'une qualité hors norme, je n'avais pas à craindre les vols ? Un sourire conquis s'étire sur mes lèvres : aucun autre terme, à cet instant, ne viens à l'esprit pour décrire cela.

Cet endroit est un paradis.

Mais tout à coup, mon estomac se retourne et je repose le hamburger aux pieds des frites. La culpabilité me ronge, dévore mes entrailles plus rapidement qu'un ver noir ; j'ai volé. J'ai pris à un pauvre enfant qui, vêtu de toute l'innocence du monde, n'en avait jamais fait autant. En d'autres termes, je suis un trouble-fête, la méchante reine d'un monde peuplé de nains qui gambadent gaiement sur les arc-en-ciel.

Fini, je soupire intérieurement, écœurée de moi-même. Je ne volerais plus. Promis.

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