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Mardi a été une agréable journée.
Une journée passée chez moi, entre autres, la tête vidée de tous ces nouveaux visages effrayants.

Cependant, mercredi est vite arrivé. Et en passant le seuil de la classe, c'est un nouveau brouhaha assourdissant qui m'accueille. Mais ce n'est pas tout ; je remarque, en prenant place, la disparition inexpliquée d'Angelina.

Je lève le menton, balaye l'endroit du regard et l'aperçoit alors de l'autre côté de la salle. Aux côtés d'une jeune fille appelée Gaëlle, riant déjà aux éclats et bavardant gaiement avec les autres.

Je réprime un soupir, lâche mon sac sur la chaise à ma droite et m'assoie sans la moindre délicatesse. Je suis agacée. Pourquoi ? Parce que je déteste le changement. Et voilà que je prends à plein nez. Je ne connais ni visage ni nom, n'ai parlé qu'à à peine trois personnes. Dont deux qui ne sont pas dans ma classe.

La porte s'ouvre, et je relève le menton. Il s'agit là d'un petit homme noir à chemise à carreaux, dont le front est dégarni et le petit visage élancé. Il dépose son sac et lève une paume pour nous saluer :

— Bonjour à tous.

La plupart des élèves lui retournent son salut, mais pour ma part, je n'en fais rien. Qui sait quel pourrait être le personnage qui se cache derrière cette expression neutre. Enfin neutre, c'est ce qu'il laisse paraître. Ses lèvres sont retactées aux extrémités, ses phalanges sont crispées et je peux presque entendre son cœur battre d'ici. Pourtant, il semble être un habitué du lycée. Peut-être les nouvelles classes le stressent-elles toujours.

Mais personne ne semble avoir remarqué l'angoisse de notre nouveau professeur de... physique-chimie. Si mes souvenirs sont bons.

— Je suis monsieur Dorra. Je vous propose un petit jeu pour commencer, pour apprendre un peu à se connaître.

Je me retiens de lever les yeux au ciel. Un jeu de présentation. Voilà une chose à laquelle je n'adhère pas. C'est embarrassant.

— Je vous invite donc bel et bien à donnez votre nom et à dire quelque chose que vous aimez faire.

Le tour commence. Je n'écoute pas. Cela ne m'intéresse pas. J'aurais tout le loisir d'apprendre à connaître ces gens plus tard -bien que pour le moment, je n'en ai pas la moindre envie. Très vite, c'est à moi de me présenter. Aussi je relève les yeux vers Dorra et lâche sans la moindre expression au visage :

— Je m'appelle May et je fais du tennis depuis neuf ans.

Un murmure d'approbation parcours la salle tandis que la personne suivante enchaîne.

— Les tennismans c'est pas genre ceux qui ont un bras beaucoup plus gros que l'autre, pouffe Lola, hilare.

J'arque un sourcil sans me retourner. Je ne devais pas me laisser aller à la provocation. Et puis ce n'est pas à moi qu'elle s'adresse. Ses deux amies se sont d'ailleurs vite esclaffées. Non que cela me dérange ; simplement je ne comprends pas. Qu'y a-t-il de drôle ?

Le tour s'achève enfin et Dorra poursuit ses explications. Je promène mon regard sur la classe, serre les dents à la vue de Amin qui s'atèle déjà à lécher les bottes de notre nouveau professeur. Il ne perd pas de temps. Je plisse ensuite les yeux lorsque j'aperçois Angelina, une blonde et Gaëlle au fond. Je me demande pourquoi Angelina est partie sans me prévenir. Hier pourtant elle semblait m'apprécier. Peut-être souhaitait-elle faire connaissance avec d'autres ; ce que je ne pouvais pas lui reprocher.

Lorsque le cours s'achève finalement, je range mes affaires sans me presser ; à ma plus grande surprise, Angelina s'approche et m'accorde un grand sourire :

— Salut May, ça va ?

Je force un sourire sur mes lèvres :

— Ça va et toi ?

— Nickel.

Mal à l'aise, je retiens ma main de me gifler. Pourquoi diable ai-je tant de mal à sourire ? Peut-être n'en avais-je tout simplement pas l'habitude.

— Tu veux manger avec Gaëlle, Rose et moi ?

— Une autre fois, ça vous embête pas ? je grimace, coupable. J'ai promis à quelqu'un...

— Ne t'en fais pas ! À toute à l'heure !

Et sur ces mots, elle m'adresse un léger signe de main et tourne les talons. À cet instant, j'ai envie de me gifler. Évidemment que personne ne m'attend derrière cette porte ; mais bon, c'est ainsi. La peur nous fait parfois faire des choses dont on n'a absolument pas envie. Et manger seule est ce qui me rassure le plus pour le moment. Nouvel endroit, nouvelles personnes, nouvelle cantine. Je n'ai pas besoin d'un poid supplémentaire, celui de rester près de une heure assise avec trois filles que je ne connais pas à devoir faire la conversation. Comme si j'avais la moindre conversation. Que l'on me demande si je vais bien, et je jure que je demanderai pourquoi l'on me pose une telle question. Après tout, pourquoi irais-je donc mal ? Supposeraient-ils que ça ne va pas en s'assurant ainsi de mon état ?

Arrête de faire la conne, je gronde intérieurement. C'est que deux stupides mots. Commence pas à paniquer pour ça. J'attrape mon sac et l'envoie s'accrocher à mon épaule. Je quitte la classe, traverse la cours et me place dans  la queue, le nez levé vers le ciel. Il est si bleu, si beau, aujourd'hui, que j'en aurais oublié ma détresse mentale. Je ne me sens tellement pas à ma place. J'ai le sentiment qu'aucun ne savent ce qu'est la vie, et les problèmes, et les réalités des chocs sociaux. Et ne parlons pas d'argent. N'osons même pas aborder le sujet.

— Salut ! me sourit une voix.

Paupières battantes, perplexe, j'aperçois Ambre qui me sourit à deux pas de là. A côté d'elle, un grand gaillard aux larges épaules traîne sur son dos un sac plus épais que moi.

— Oh, salut ! égayé-je, surprise de sa présence.

— Je te présente Quentin, fait-elle en pointant le jeune homme dans son dos.

— Salut, sourit-il.

Il semble cependant souffrir du poids de son sac. La queue avance et nous la talonnons, tandis que je fronce les sourcils :

— Attendez, vous avez récupéré vos manuels ?

Ambre hoche vivement le menton :

— Oui.

À ses côtés, Quentin réprime un soupir :

— J'ai les onze dans mon sac.

Je pouffe avant de me raviser aussitôt. Rire pour une telle chose est stupide.

— C'est pas trop lourd ? je demande, amusée.

Ils opinent du chef d'un même mouvement et à nouveau, je ravale un rire.
Quelques mètres plus loin, nous plongeons dans la marée d'élève de la cantine. Les odeurs me parviennent dans un grand fouillis, et parmi elles je discerne le délicieux arôme d'un hamburger. Les bruits sont également de concert, qu'il s'agisse des couverts, des arrières sons des cuisines ou du brouhaha qui danse dans la grande salle. Mes pauvres tympans peu habitué à l'endroit sifflent, et je réprime une grimace. Ne panique pas, me souffle une voix rassurante. Ce n'est qu'un vide peuplé de petites billes. Je lève les yeux vers le plafond. Voilà un ami qui ne m'a jamais trahi. Le plafond est vierge, et vide de toute vie. Le plafond est rassurant. S'il pouvait y avoir un plafond dans tous endroits où l'on trouve la foule, le monde serait bien meilleur. Je comprime mon souffle dans mes poumons, l'expulse le plus discrètement possible. Des silhouettes, partout, devant comme derrière, à gauche comme à droite, qui aspirent l'air des alentours, qui mangent les molécules de l'espace, qui s'entassent et qui gesticulent, de la façon la plus improvisée qui soit. Et c'est terriblement effrayant.

J'attrape l'assiette de mon hamburger et pivote sur moi-même. Quentin et Ambre m'encadrent. C'est chose bien vaine de tenter de manger seule. Ils sont là, je suis là. Et puis plus loin, près des baies vitrées, il y a trois place.

Peut-être la discussion me fera-t-elle oublier ces bruits incessants qui me déchirent le crâne.

En nous pressant vers la table, mes yeux glissent sur les plateaux, se plissent et aussitôt, je repère un donut face à une chaise vide. Les regards sont détournés, mes doigts dansent sur la petite assiette et dérobent le gâteau d'un geste vif. Personne n'en a rien vu, pas même Ambre et Quentin, qui s'installent déjà. Je les rejoins, dépose le donut auprès de mon hamburger et les deux me dévisagent, les yeux ronds.

— Comment t'as eu ça ?! s'étrangle Quentin. Y a que les collégiens qui en ont !

Je hausse les épaules sans rétorquer le moindre mot, et il s'en contente, à ma plus grande surprise. A sa place, j'aurais probablement plissé les yeux, cherché à obtenir la source et les moyens qu'il avait employé pour se procurer un tel délice. Mais Quentin semble aussi naïf que mon petit frère, ce qui m'arrange bien. Les questions m'agacent.

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