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Lundi quatre Septembre.

Non, rassurez vous. Ce n'est pas mon nom.

Moi, c'est May Johan, et aujourd'hui -j'aurais dû commencer par là, c'est vrai-, nous sommes le Lundi quatre septembre. Sauf s'il s'en trouve parmi vous qui ne connaissent l'école et qui n'ont jamais eu à souffrir de ses heures assassines, tous savent ce que ce jour signifie. Le retour d'une sonnerie retentissante, qui vrille les tympans mieux qu'un grondement de moto à pleine vitesse.

Enfin, vous connaissez la chanson.

Ce ciel éternellement bleu que vous apercevez là, qui couve jalousement une forêt timide et un château de tuiles bleues, c’est le ciel de Vuséole, une petite ville noyée d’argent et de tranquillité. Je ne suis pas riche, c’est aussi certain que la couleur du ciel ; cependant, il m’a été permis de basculer de l’autre côté pour me présenter devant les grilles noires du château, sac à dos aux épaules. Derrière les serpentins de ferrailles noires qui grimpent en piques jusqu’au sommet s’étale un long chemin de gravillons, bordés d’arbustes soigneusement taillés. Il ne s’agit pas d’un manoir duquel j’aurais hérité par le plus grand des hasards -bien que l’idée m’aurait grandement plu- mais de l’Institut Horizon, le lycée le plus riche des environs. L’école abrite sur ses quelques hectares une maternelle, une primaire, un collège, un parc, une serre et le château : aussi, comme vous l’avez sans doute deviné, les élèves se connaissent depuis bien des années. C’est cette perspective qui me ronge depuis ce jour où, accompagnée de mes parents, j’avais brillemment réussi le test d’entrée. À nouveau seule, à nouveau écartée, à nouveau invisible. À nouveau moi-même.

Bientôt, je perçois les murmures des autres secondes impatients dans mon dos. Tous, moi y compris, attendons l’ouveture des grilles. Nous devrons alors trouver le réfectoire et nous y rendre pour assister à la répartition des élèves dans les classes. Faire le chemin jusque l’endroit m’angoisse déjà. Dressée sur mes pauvres chaussures à vingt balles et élançant mes grandes jambes à travers une gigantesque cours de récréation au milieu de tout ces groupes. Quelle piètre première image je donnerai de la nouvelle moi.

Alors, sans prévenir, les grilles s’ouvrent sans étirer le moindre grincement. La foule me porte sur un sentier à gauche, où nous traversons un parking à vélo, passons le peron de l’acceuil et les branches d’un grand arbre dressé à l’ouverture de la cours. Deux arcades nous menacent alors de leur ombre mais nous laisse finalement passer. Nous coupons alors à travers des champs de béton et de fausse pelouse rigide.

La peur fait battre mon cœur d'un rythme effréné, tout comme le malaise à me déplacer ainsi au milieu d'un vide mêlé au monde.

Le simple fait de les savoir tous amis depuis la primaire me place dans une délicate situation. Si je sais avoir pris la bonne décision en m'éloignant de mes lycées de secteur, débarquer dans un château au milieu de gens qui se connaissaient depuis longtemps déjà ne me rassure pas. Nouvelles habitudes, nouveaux bâtiments, nouvelles têtes. L'inéluctable entrée d'une nouvelle élève.

Finalement, nous atteignons le seuil du réfectoire en quelques minutes. Un regard curieux croise le mien, et mes mains se crispent sur les lanières de mon sac lorsqu'elle approche :

-Salut, minaude-t-elle d'une voix douce. Je m'appelle Élèna.

Élèna est une belle jeune fille aux traits pâles et délicats. Ses yeux noirs bridés brillent de timidité comme d’excitation. Elle glisse ses cheveux noirs derrière ses oreilles et le malaise me prend de nouveau. Je ne sais pas quoi faire, ni quoi dire !

Maladroite, je m’incline alors et mes cheveux glissent devant mon visage, tels d'audacieux rideaux portés par le vent.

-May, je souris faiblement.

Quelle idiote je fais. Ne suis-je donc pas capable de saluer quelqu'un correcement sans avoir à faire une révérence ? Leur richesse ne fait pas d’eux des gens supérieurs. Du moins, je l’espère.

Un magnifique sourire lui couvre alors le visage tandis qu'elle se poste à mes côtés :

-Enchantée.

-Enchantée aussi, je tente de sourire, bien que je doute que cela soit très convainquant.

Le silence se tasse, tout aussi mal à l'aise que moi. Mes pensées dérivent déjà vers celles d'Éléna, n'ayant pour seule volonté que celle de les comprendre. Elle jète des regards légers aux alentours, pourtant ses doigts crispés trahissent sa nervosité. Je devine alors qu’elle est une nouvelle, tout comme moi. La marée d'inconnus la rend nerveuse mais pourtant, je sens comme une hâte de se faire de nouveaux amis dans les tressauts de ses épaules impatientes.

-Tu es de quelle origine ? demande-t-elle gaiement.

Il est peu de dire que ma gorge vient littéralement de me sauver la vie. Le grognement exaspéré qui a tenté de m’échapper a bien failli tuiner ma première discussion.
Mais la déception, elle, n’a pas disparue. Je ne crois pas qu’il y ait la moindre curiosité dans cette question ; je pense surtout qu’elle veuille révéler la sienne et s’en vanter.

-Française à 100%, je m'efforce de sourire néanmoins. Et toi ?

Être aigrie dès le premier jour n'est certainement pas la meilleure solution, aussi je m’éfforce de paraître aimable et chaleureuse.

-Je suis chinoise, pépie-t-elle sans le moindre embarras.

Que suis-je censée rétorquer ? Je n'en ai pas la moindre idée. Aussi je promène mon regard sur les amas d'élèves dispersés, qui attendent l'ouverture du self. Un petit préaut aux murs tapissés de grafitis sert d'arrière plan à cet intriguant tableau, tout comme d'épais grillages verts forêts qui encadrent le réfectoire et le parc dans lesquels nous devons nous rendre. Le sol bétonné, en pente, me donne l'impression d'être plantée sur une montagne aux falaises rocailleuses que seuls les plus courageux seraient en mesure de grimper.

-Salut, bredouille une nouvelle voix, bien plus timide que celle d'Éléna.

Une jeune fille titube maladroitement devant nous, un maigre sourire planté aux lèvres.

Ses yeux bruns papillonnent dans ma direction tandis que je l’observe plus attentivement. Une peau et des cheveux noirs, un air perdu qui donne sens à sa timidité.

-Salut, lui répondons en chœur Éléna et moi.

Nous la saluons brièvement de la main pour appuyer le tout, et la nouvelle venue balbutie quelques mots dont je ne comprends absolument pas le sens.

-Normalement c'est à quatorze heures pile, approuve cependant ma voisine, qui semble avoir compris les paroles de notre interlocutrice. Au fait, tu es de quelle origine ?

Elle hausse les épaules, étire un sourire timide mais à nouveau, les mots qui quittent ses maigres lèvres me sont incompréhensibles.

-Je suis chinoise, répliqua Éléna, d'un ton bien plus claivoyant. Tu t'appelles comment ?

-Mande.

-Mande ? je répète, incapable de savoir si les syllabes que j'ai perçues sont les bonnes.

-Amande, corrige-t-elle en réprimant un rire amusé.

-Amande ?

-Non, Amanre ! articule-t-elle tant bien que mal.

Cette fois-ci, même Éléna semble laissée perplexe.

-Amanre ? je pouffe pour la énième fois, masquant derrière un rire une exaspération grandissante.

-Ambre ! pose finalement la jeune femme d'un ton clair et net.

-Ambre, c'est ça ?

-Oui ! égaye-t-elle, victorieuse.

Nous nous remettons rapidement de notre rire et je serre les dents pour ne pas soupirer. Au fond de mon esprit grouillant de voir tant de nouveaux visages, l'idée naissante de passer le reste de l'année avec Ambre pour lui faire répéter chacune de ses phrases m'inquiète soudainement. Il faut que je parle à d'aures lycéens.

Enfin, les portes s'ouvrent et sonnent une libération à mes oreilles bourdonnante. Je devance les deux jeunes filles et passe les grilles sans la moindre hésitation. Je vais enfin connaître ma classe.

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