- Alors... toussote Miss Blondinette en replaçant deux mèches invisibles derrière ses oreilles. Je suis Madame Apola.

Elle fait glisser le feutre sur le tableau véleda pour former de maladroites petites lettres. Je jette un regard à Angelina. Visiblement, les talons à aiguilles et l’anxiosité plus que palpable de notre professeur de Français ne l’alerte pas. Ses joues sont relevées par la marée de compliments qu’elle vient de recevoir. Quant à moi, j’aime bien ces petits yeux bruns brillants qui se cachent derrière une élégante monture à lunette. S’ils venaient à verser des larmes, je suis presque sûre qu’elles seraient de couleur arc-en-ciel, et gorgées de paillettes. Angelina m’a l’air d’une jeune femme solaire et féroce dont les amis sont si nombreux qu’elle a cessé de les compter.

-... Lisez vous des livres ? demande Apola en battant innocemment des cils. Avez vous lu cet été ?

J’ai lu cet été. Et je n’ai pas moins d’une centaine de livres soigneusement rangés dans ma bibliothèque personnelle. Mais cela n’est qu'un détail et jamais je ne prendrai le risque de révéler cette information le jour de la rentrée. On me prendrait déjà pour l’intello coincée de service.

Cependant devant moi, une petite main délicate se lève.

-Ah ! sourit la blondinette. Quel est ton nom ?

-Satine, madame, sourit-elle doucement.

Tous les visages sont tournés dans sa direction. Sa peau délicate et ses grands yeux bruns qui sont relevés vers la professeur ne semblent échapper à personne. Tout comme sa poitrine marquée par le débardeur qu’elle porte, ainsi que sa nuque lisse et douce sur laquelle poussent quelques petits cheveux inoffensifs. Elle les a relevés en une queue de cheval et ils tombent sur ses épaules, si souple que même un nœud n’oserait les emmêler.

-Tu es nouvelle ? me chuchote Angelina.

Je hoche doucement le menton.

-Et toi ?

Un adorable sourire gagne ses lèvres :

-Je suis venue ici avec ma meilleure amie, je suis nouvelle aussi. Mais on n’est même pas dans la même classe.

D’accord, je prends note intérieurement. Si elle a une meilleure amie, je crois que ça va être difficile de manger avec elle ou de rester avec elle.

-Tu connais quelqu'un ici ? reprend-t-elle.

Je secoue négativement le menton :

-Personne de tout le lycée, même pas une ou deux.

Elle écarquille les yeux :

-De tout le lycée, vraiment ?! Woaw ! Tu as du courage.

Je plisse le nez et hausse les épaules. Je ne sais pas si je peux appeler ça du courage. C’est plutôt un choix d’avoir fuit les lycées de ma ville.

-... et donc cette année en Français, poursuit toujours Apola de sa petite voix naïve, nous... Oh, mon feutre n’a plus d’encre.

Aussitôt, la main d’un des garçons du premier rang se lève :

-Je peux aller vous en chercher un à la salle des professeurs, si vous voulez.

Les joues rosées d’Apola gonflent lorsqu’elle étire un sourire :

-Oh oui, merci... ?

-Amin, hoche-t-il vivement le menton.

-Merci Amin.

Et sur ces mots, il se précipite hors de la salle sur deux jambes maladroites. Un sourcil arqué, je l’observe fermer la porte le plus silencieusement possible. La vague de haine qui vient de frapper les murs de mon esprit se disloque en écume bouillonnante. J’abhorre les élèves comme lui. Tout ce qu’ils souhaitent en ce monde, c’est l’approbation des professeurs. Ils refusent d’apporter leur aide à qui le demande et jalousent ceux qui réussissent mieux qu’eux. Ils n’hésistent pas à trahir leurs amitiés s’il en vient le besoin, afin de garantir une bonne image auprès des professeurs.

En voilà un qui venait de grimper haut dans mon nouveau tableau des visages à éviter. Qu’il se tienne loin de moi. On ne pouvait faire confiance à des fayots dans son genre.

À ma droite, Angelina s’est déjà retournée vers les trois filles du rang de derrière.

-Vous vous appelez comment ? demande-t-elle chaleureusement.

-Carine, lui adresse un clin d’œil la première.

Carine. De soyeuses boucles noires et de beaux yeux bleus, une peau parfaite et un sourire coquin ; voilà l’une du trio des futures reines de la classe.

-Lola, cingle la seconde, dont les yeux bleus se posent royalement sur les miens lorsque je pivote à mon tour dans leur direction.

Elle replace ses cheveux blonds derrière ses oreilles, jette un regard complice à ses deux acolytes.

-Et moi c’est Emma, sourit doucement la dernière.

Quant à elle, elle semble plus réservée que ses deux amies. Ses délicats cheveux bruns tombent en cascade sur ses épaules tandis que ses yeux beaux yeux bruns se cachent derrière une monture élégante.

-Enchantée, égaye Angelina.

-Et toi ? me lance Lola, qui mastique bruyemment un chewing-gum.

-May, je fais d’une voix égale.

Je leur adresse un sourire forcé et me tourne à nouveau vers Apola.

Voilà que de nouveaux noms venaient d’apparaître sur mon tableau.