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Un réfectoire bondé, grouillant d'une foule surexcitée. Tout ce que je hais. Et ne connaître que deux noms parmi tous, de surcroît, n'améliore pas les choses.

Ambre, Elena et moi prenons place parmi les autres, menées et traînées par les vagues. L'écume des bruits me lèche le visage et découle contre mes tympans pour venir y frapper le plus fortement possible. Je retiens mon souffle, concentrée, et fixe un point au devant. Il n'était pas question de se laisser aller dès le premier jour et de paniquer devant tout le monde.

Je jette un bref coup d'oeil par dessus mon épaule, nerveuse, mais regrette aussitôt mon geste ; derrière moi s'étale une vingtaine de rangées de chaises, dont les bras oranges soutiennent une centaine d'élèves aux yeux écarquillés d'impatience. Le décor est dessiné par les professeurs qui encadrent les lieux ; ce qui se mouve sous leurs yeux ne semble pas les réjouir. Encore derrière, c'est les buffet et étagères de métal que l'on a fermé. Les d'écriteaux mal ordonnés indiquant leur utilité pendent tristement, comme déjà las de l'année à venir. Les tables ont été empilées sur les flancs de la pièce pour faire de la place.

Je lève le nez au plafond et repère quelques zigouigouis de noirs et d'or. Une réception, probablement en l'honneur de la remise des diplômes, avait due être organisée un peu plus tôt dans la semaine. Mon regard suit les lignes blanches des carreaux sans pouvoir s'y détacher ; j'ai toujours été fascinée par les plafonds, et laisser mes yeux épuisés s'y reposer me faisait tout le bien du monde. Surtout lors de situations de crises telles que celle-ci. 

Heureusement, l'arrivée pressée d'une imposante femme sur la scène clos vite les lèvres ; un frisson traverse l'assemblée lorsqu'elle arque un sourcil et balaye les lieux d'un regard amusé. Je devine sans mal que ce doit être une personnalité importante de l'Institut Horizon.

Elle se présente rapidement, indique les postes importants du lycée. Le micro qu'elle étrangle dans ses petites mains vernies s'accole à sa bouche et porte à nos oreilles de désagréables sons de frottement.

Mon attention se disperse rapidement, et ses paroles ne m'atteignent plus. Elles me contournent ou ne trouvent plus leur chemin, je n'en ai aucune idée ; je sais seulement que les visages des professeurs, installés à l'entrée du self, à notre gauche, guettent notre silence. Je me demande lequel d'entre eux sera mon référent.

Finalement, l'imposante blonde qui piaille sur scène cède sa place à un nouveau personnage des plus intrigants ; ses lunettes sont relevées sur son crâne chauve et dégarni tandis que son dos se courbe sous le poids des responsabilités qui semblent l'accabler.

Il ouvre la bouche pour débuter son discours quand, dans le même instant, je perçois les faibles paroles d'Ambre à ma droite :

-J'espère qu'on sera dans la même classe.

-Oui, moi aussi, approuve Elena.

Je plisse les yeux ; pourtant, son sourire crispé indique plutôt qu'elle souhaiterait trouver d'autres visages à qui parler.

Je hausse les épaules :

-On verra.

Inutile de se presser. Je ne souhaite pas m'engager dans la moindre relation amicale pour le moment ; je dois d'abord appréhender mon nouvel environnement dans les règles de l'art et m'y sentir à l'aise. Et puis, me trouver des amis n'était pas pressant.

-... Nous allons donc débuter l'appel, fait le petit homme sur la scène, dont les lunettes, malgré ses mouvements de mentons répétés, ne bougent pas d'un poil.

Alors les noms tombent, un à un, sans que le mien ne paraisse cependant. Ambre et appelée la première, très vite suivie par Elena. Cependant, nous sommes toutes séparées dans trois classes distinctes. Le trio des filles paumées dans les films s'est brisé, je songe, amusée, voire presque soulagée. Il valait mieux pour moi me faire d'autres connaissances.

-May Johan ! me hèle-t-il ensuite.

J'attrape mon sac par la bretelle et me fraye un chemin maladroit entre les rangées. Je rejoins une flaque d'élèves aux bras timidement croisés, dont aucun ne semble décidé à parler. Je suis en seconde 5. C'est bien là tout ce que j'ai retenu du spectacle. Ma classe s'amasse contre la vitre, me vole le peu d'air que je parviens à inspirer. Heureusement, la liste s'achève et l'on nous somme de sortir d'ici rapidement. Ordre auquel je me fais un plaisir d'obéir. Je ne prête pas attention aux visages qui m'entoure ; je ne connais aucun d'entre eux, aussi les dévisager serait bien étrange de ma part.

Nous quittons le réfectoire dans un silence tendu, puis la jeune femme aux cheveux blonds platine qui nous devance -notre professeur principale, si j'ai bien compris- nous entraîne jusqu'au seuil d'un arbre à l'épais tronc noueux, sous lequel on nous place prestement. Un nouveau visage apparaît en face, derrière un téléphone tourné à l'horizontal pour l'usage, et nous adresse le plus merveilleux sourire forcé du monde. Mais je ne souris pas, et mes sourcils se plissent. Je suis déjà exaspérée alors même que la journée vient à peine de commencer.

La blondinette aux talons aiguilles nous entraîne ensuite à travers la cours qu'Ambre, Elena et moi avons traversé quelques minutes plus tôt. Les masses s'assemblent sur le chemin et les voix résonnent à nouveau tout contre mes oreilles fatiguées.

-Coucou, sourit l'une d'entre elle juste à mon épaule.

Je manque de réprimer un sursaut et battis plutôt des paupières, surprise.

-... Bonjour ? je bredouille, ne sachant que faire d'autre.

-Désolé, je ne connais personne d'autre ici, s'amuse-t-elle.

Elle a semblé remarquer mon malaise soudain.
Cette œillade rassurante qu'elle me lance apaise aussitôt les battements de mon cœur, et un sourire se glisse sur mes joues.

-T'inquiète pas, je pouffe.

-Je m'appelle Angelina, se présente-t-elle chaleureusement.

Eh bien, Angelina n'a rien en commun avec tous les visages qui ont défilé devant moi depuis mon entrée dans le château. Elle a un sourire craquant, des lèvres détaillées, un visage rond et symétrique dont les grands yeux bruns brillent d'empathie. Quelque chose me disait que dans quelques semaines, elle serait probablement l'élève la plus populaire de ma promotion. Des traits aussi délicats et un penchant pour l'originalité vestimentaire, une personnalité aussi solaire et pétillante et le tour était joué.
Restait désormais à savoir quand déciderait-elle de se lasser de moi.

-Et toi ? demande-t-elle, tout aussi chaleureuse.

-May.

-J'adore ton prénom.

Je hausse les épaules, nullement flattée par son compliment. Une formule de politesse à laquelle je ne prendrais pas le risque d'être toute gaie de recevoir.

-Le tien est très joli aussi.

Elle étire un sourire ravi et nous passons les portes du bâtiment principal. A l'intérieur, la pâle lueur du soleil frappe les dalles reliées de blanc et de gris pour renvoyer une douce lumière. A droite s'allonge un couloir aux allures d'asile, à gauche une porte jaune cassée ; entre eux, c'est une cage d'escalier voisinant celle de l'ascenseur qui nous font face. Je jette un bref coup d'oeil par delà les marches, mais tout ce que je parviens à discerner est un bas plafond et une rampe noire des plus classiques.

Notre professeur principale emprunte le couloir, s'avance d'un pas assuré vers la salle marquée d'un écriteau "Athènes". Nous longeons quelques six grandes fenêtres qui donnent sur le trottoir de la ruelle ; les pieds des passants m'indiquent que nous nous trouvons en réalité sous terre et que les fenêtres, vues de l'extérieur, doivent être à ras du sol. Chose que je trouve plutôt étrange, pour un lycée.

La porte d'Athènes finit par céder sous le rythme effréné que la professeur s'acharne à maintenir sur le trousseau de clefs. Elle pousse la poignée et nous devance dans la salle de classe. Aussitôt, les élèves se jettent sur les tables et je suis Angelina sans me poser de questions. Troisième rang, contre le mur de gauche ; voilà une place à laquelle je n'aurais pu accéder si je m'y étais rendue volontairement.

La pièce se compose de quatre rangées de tables, dont trois colonnes ; au total, nous sommes quatre, cinq, six par tables. Un écart de chaises s'est creusé entre Angelina et nos voisines ; heureusement. Faire connaissance avec d'autres ne m'attire pas pour le moment.

A droite, ce sont de grandes fenêtres aux rideaux de velours gris qui pendent sur le mur ; au coin cependant, nous avons une porte qui donne directement sur la cours de récréation. Là je peux voir les dernières classes se presser jusqu'au bâtiment, petites silhouettes si insignifiantes.

Le brouhaha persiste dans la classe. La blondinette qui se recoiffe au tableau tente tant bien que mal d'apporter le calme, sans grand succès. Seul le premier rang, dessiné d'épaules droites et immobiles de trois garçons, demeure silencieux.

Angelina s'est déjà tournée vers les nouveaux visages du rang de derrière ; j'entends les compliments s'envoler à travers toute la pièce, tous aussi hypocrites que sans la moindre valeur. Je réprime un soupir et passe mes mains sur mon visage. Le puissant sentiment d'ennui qui vient de m'envahir laisse peu de place pour l'excitation. Si l'année prévoyait d'être à l'image de cette première minute en classe, elle allait être très longue.

Très très longue.


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