Vérité
Un bruit de pas me fait sursauter, et je me retourne vivement, cessant de contempler l'Autre Côté.
-Tu as vu ce que cachent les Murs.
Un jeune homme, un peu plus vieux que moi, yeux verts et cheveux auburn me dévisage, son visage ne traduisant néanmoins aucune émotion.
Je murmure, hébétée :
-Oui...
Mais aussitôt, je réalise que ce n'était pas une question.
-Alors tu dois comprendre pourquoi je ne peux pas te laisser repartir.
Je me fige, et mon cœur rate un battement.
-Comment ça ? Je demande.
L'inconnu soupire.
- Oh, je trouverai bien. C'est bien la première fois que quelqu'un à l'idée de traverser les Murs, dans un sens comme dans l'autre...Mais ce que je sais, c'est que si je te laisse retourner chez toi et que tu parles, toute raison d'être de l'Enceinte disparaîtra.
Et on m'a fait prêter serment d'éviter à tout prix qu'une telle chose arrive un jour.
- Mais je ne veux pas retourner chez moi ! Je m'exclame avec véhémence.
Il fronce les sourcils :
-Qu'est-ce-que tu racontes ?
- Je neveux plus vivre dans la Cité ! J'en ai plus qu'assez d'être enfermée dans l'Enceinte ! Je veux être libre, je veux voir l'horizon !
Mon interlocuteur garde un instant le silence, puis soupire.
- Je te comprends...Mais tu ne peux même pas imaginer ce qu'il y a, là bas.
Il pointe le doigt vers la vitre, et la ville que l'on aperçoit derrière. Malgré le fait que ce garçon est un parfait inconnu pour moi et que je ne connais rien de lui, ni de ce qui m'attend, je sens l'excitation m'envahir.
- Tu es déjà allé de l'Autre côté ? Je m'exclame, incrédule.
- Non.Mais je le contemple tous les jours. Ça n'a rien à voir avec la Cité, crois moi.
Je me mets à secouer la tête de toutes mes forces :
- Je m'en fiche ! J'ai passé toute ma vie à l'intérieur des Murs, mais maintenant, je n'en peux plus ! J'ai besoin d'en sortir, ou je vais devenir folle !
Lejeune homme inconnu se met à réfléchir en se mordant la lèvre,puis déclare :
- Je n'ai jamais entendu parler d'interdiction visant à empêcher les gens de la Cité d'en sortir...
L'espoir me submerge :
- Alors je peux m'y rendre ? Je m'écrie, surexcitée.
- Je n'ai pas fini, me coupe-t-il. Ma tâche est de protéger la Cité, d'éviter que quiconque venant de l'Autre Côté ait vent de son existence, et inversement.
De l'Autre Côté, il y a tant d'habitants qu'un de plus ou un de moins, ça ne changera pas grand chose... Ce qui m'embête, c'est que tu risques de parler de la Cité...
- Non !Je m'exclame aussitôt. Je me tairai, je te jure !
- Je suis désolé, je ne peux pas te laisser partir.
Alors qu'il prononce ses mots, sa voix est chargée de toute la peine et la lassitude du monde.
Une idée saugrenue traverse mon esprit, mais elle pourrait marcher après tout.
Je propose :
- Et si tu venais avec moi ? On pourrait aller tous les deux de l'Autre Côté, et tu pourrais me surveiller !
Il sourit. Il a l'air parfaitement surpris. Finalement, il répond :
- Je ne peux pas.
Mais quelle idiote je suis, je me rends compte ! Il ne vit probablement pas ici tout seul ! Il doit avoir une famille qui vit avec lui dans les Murs.
- Tu vis ici avec tes parents ? Je demande.
- Non,je suis tout seul.
- Tout seul ? Je répète, incrédule. Mais depuis quand ? Comment peux-tu survivre ici tout seul ?
- Grâce à ce que les gens de la Cité déposent à l'intérieur de la trappe dans les Murs.
Celle par laquelle tu es rentrée, je présume.
Je plaque mes mains sur ma bouche. Évidemment. Je n'y pensais déjà plus.
Si nous mettions toutes sortes de provisions et d'objets dans cette trappe et que tout disparaissait, c'était parce que ce mystérieux jeune homme les récupérait...
Néanmoins,cela me paraît presque impossible qu'il ait été toujours seul : comment aurait-il pu survivre dans la solitude à un si jeune âge ?
Mes interrogations doivent parfaitement se lire sur mon visage car il me lance :
- Ça fait longtemps que je n'ai pas parlé à quelqu'un. Mais je sais quelles questions tu te poses. Tu veux savoir comment je me suis retrouvé à vivre tout seul ici ?
Je vrille mon regard dans le sien et j'opine de toutes mes forces :oh que oui, je veux savoir !
Il sourit et entame :
- J' ai une famille, comme tout le monde, tu sais. Ou du moins, j'en avais une.
Il grimace à ces mots et, bien que je ne connaisse pas les circonstances de la disparition de ses proches et que je l'aie rencontré il y a à peine dix minutes, je suis désolée pour lui.
- Quand j'étais plus jeune, reprend-il, nous étions trois familles à vivre à l'intérieur des Murs, soit à peu près trente-cinq personnes.Ce que les gens de la Cité déposaient dans la trappe nous suffisait amplement pour vivre... Mais un jour, il y a eu un accident.
Il se tait, perdu dans ses pensées.
- Que s'est-il passé ? Je demande, dévorée par la curiosité.
-Chaque famille vivait à un étage. Nous nous retrouvions dans les salles communes. Mais, un jour, l'une d'entre elles, celle qui vivait dans l'aile ouest, ne s'est pas montrée. Ça a duré trois jours, au bout desquels mon grand-père a décidé de se rendre chez eux voir ce qu'il s'y passait...
Les yeux de ma nouvelle connaissance se voilent, comme s'il contemplai quelque chose de visible par lui seul.
Quant à sa voix, elle se met à trembler en déclarant.
- Ils étaient tous morts.
Je me sens envahie par une violente nausée, que je me force à réprimer,et lui demande :
- Mais que s'est-il passé ?
-On ne l'a jamais su, soupire-t-il. Leur corps ne portait aucune trace de blessures, ou quoi que se soit qui aurait pu causer leur mort. Ils sont décédés...comme ça, du jour au lendemain, comme si leur cœurs'était tout simplement arrêté de battre
De stupeur, j'écarquille les yeux, mais me force à refouler mes questions pour pouvoir écouter la suite.
- Du coup, il ne restait plus que deux familles sur trois, dont la mienne.Et tous, nous avons commencé à craindre pour nos vies. Nous avions l'impression que les Murs au sein desquels nous vivions depuis toujours nous devenaient étrangers. Qu'ils ne voulaient plus de nous. Enfin, s'il y avait eu que cet incident, peut-être les autres ne seraient-ils pas partis, mais d'étranges bruits ont commencé à résonner, la nuit.
Très vite, tout le monde a décidé de quitter les Murs. Au diable le serment de protéger la Cité qu'ils avaient fait ! Pour ceux qui sont partis, seule comptait leur survie. Ils se sont rendus de l'Autre Côté, nous laissant seuls, mon grand-père et moi car nous refusions de rompre notre serment et de laisser la Cité derrière nous.
- Ta propre famille t'a abandonné ?Je m'exclame, ahurie.
- Oui. Leur peur était trop forte. Je...
Il se mord les lèvres avant de continuer :
-J'ignore ce qu'ils sont devenus. En tout cas, dès ce jour, mon grand-père et moi avons commencé à explorer les Murs, pour essayer de comprendre ce qu'il s'y passait, nous éloignant vraiment de nos zones d'habitation... Dans un premier temps, nous n'avons rien découvert. Puis, mon grand-père est mort.
Je retiens ma respiration : une nouvelle mort mystérieuse ?
- De mort naturelle, ce coup-ci.
Je me permets de respirer à nouveau.
- Je suis resté vraiment tout seul. Mais j'avais promis à mon grand-père de demeurer ici pour veiller sur les Murs et la Cité. Alors je suis resté, mais j'ai continué à explorer.
Il fait une nouvelle pause. Il ne devrait pas s'interrompre à des moments pareils !
J'ai tellement envie de connaître la suite de son récit que j'ail'impression que je vais exploser...
- Et alors ? Je finis par m'écrier. Tu as découvert quelque chose de nouveau ?
- Oui.
Je m'en doutais. Je m'en doutais !
- Il y a deux jours, j'ai découvert une salle que je n'avais jamais vue auparavant, ni même entendu parler. Un genre de salle des machines.Remplie de fumée, en perpétuel mouvement. Et j'ai compris que tous ceux qui avaient vécu dans les Murs ne les avaient jamais protégés.Les Murs ont toujours parfaitement fonctionné seuls.
Notre présence ne servait à rien, depuis le début. Quelques minutes dans cette salle enfumée et j'ai commencé à me sentir...faiblir. J'ai compris alors que la famille qui était morte, avait été victime de ces fumées : elles s'étaient infiltrées dans leurs appartements et les avaient asphyxiés tous.
Il n'y avait pas de malédiction, ou en tout cas, à mes yeux, elle n'a plus aucun mystère.
A ces mots, il sourit tristement, et à présent, je sais ce que je dois dire.
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