chapitre xiv

Sage, Rune et Cecil retournèrent au cottage, vivants et relativement intouchés, pour panser leurs blessures sans faire mention de ce qu'ils venaient de vivre. La réalité les rattraperait bien assez tôt, mais l'instant était au réconfort.

Rune avait les bras et le visage recouvert de petites plaies, dont la plupart avait déjà cessé de saigner. Il les désinfecta à l'aide d'un coton et posa un sparadrap sur les plus importantes avant d'aller préparer du thé, laissant Sage entre les mains de Cecil.

Ce dernier hésita et Sage lui fit signe d'approcher.

— Viens, lui fit-il. Je n'ai pas peur de toi.

— Tu devrais.

— Vraiment ? Est-ce ce que tu désires ?

— Pas du tout, avoua-t-il. Je veux... Je ne sais même pas ce que je veux. Être tranquille ? Avoir le droit de vivre entouré de ceux que j'aime, loin de ceux qui nous ont fait du mal ? Est-ce vraiment trop demander ?

— Non, et tu le mérites. Nous allons nous battre pour cela, comme aujourd'hui.

— Je n'ai plus envie de me battre.

— Préfères-tu fuir ?

— Non plus. Je suppose que l'on est coincés, hein ?

— Mais au moins nous sommes ensembles, lui rappela Sage. Et c'est le plus important.

Cecil lui adressa un sourire fatigué et reconnaissant, avant de lui examiner l'épaule. Sage ne put retenir une grimace de douleur quand Cecil pressa à un endroit particulièrement douloureux.

— L'épaule n'est pas démise, mais le muscle s'est probablement déchiré, conclut Cecil. Je vais t'appliquer un onguent glacé et l'immobiliser. Tu pourras aller à l'hôpital pour faire d'autres examens si tu préfères la manière de faire humaine.

— La tienne me convient parfaitement.

Les paupières de Sage se fermèrent de leur propre accord quand Cecil pressa un baiser sur sa joue, un remerciement silencieux qui lui permettait de ne pas adresser exactement les raisons de sa gratitude.

Sage s'efforça de rester aussi immobile que possible tandis que Cecil travaillait. Le baume qu'il barbouilla sous son épaule était froid et ne changerait pas de température avant un long moment, bien plus important que n'importe quel remède non-magique. Cecil lui passa ensuite une attelle improvisée qui plaquait son bras contre son ventre et l'empêchait de faire le moindre mouvement.

— Il faudra surveiller la blessure pendant quelques semaines, pour s'assurer que tu ne perdes pas trop de mobilité dans le bras.

— Je suppose que la salle de sport m'est interdite ? plaisanta faiblement Sage, un peu étourdi à cause de la douleur qui pulsait sans arrêt dans sa clavicule.

— C'est donc ça le secret de tous ces muscles saillants...

Rune choisit ce moment là pour les rejoindre, chargé d'un plateau. Il le déposa sur la table basse et s'appliqua à leur servir à chacun une tasse fumante.

— J'ai glissé quelques gouttes de potion anti-douleur et de filtre de sérénité dans l'eau, indiqua-t-il. Je me suis dit que cela ne pouvait pas faire de mal.

Sage était bien d'accord, et il sirota sa boisson avec plaisir, appréciant la chaleur qui se répandait en lui à chaque gorgée.

— Il faut que l'on parle, déclara Rune. Avant de faire quoi que ce soit, on doit avoir une discussion.

Il observa tour à tour Cecil et Rune, avant de porter une main à ses yeux et de les frotter.

— On aurait dû l'avoir depuis un moment, grogna-t-il. Pourquoi faisons-nous tout à l'envers ?

— C'est notre charme, professa Cecil.

Cela eut le mérite d'arracher un petit rire étranglé à Rune. Le sorcier avait l'air épuisé. Sage supposait que c'était le cas de tout le monde. Il rêvait de monter à l'étage et de s'effondrer dans le lit pendant plusieurs heures, plusieurs jours, jusqu'à ce que la vie reprenne son train-train quotidien. Mais il ne pouvait pas se le permettre.

Il avait l'impression d'être au bord d'un précipice. Il n'irait pas jusqu'à dire que l'avenir de leur relation naissante dépendait de ces prochains instants, mais c'était un peu l'impression qu'il avait.

Il aurait été si facile de prétendre que rien n'était arrivé, et de retourner au bonheur qu'ils avaient vécu la veille, dans les bras l'un de l'autre. Mais ce ne serait pas malin. Ce serait même dangereux.

— Qui souhaite commencer ? demanda Rune.

Comme personne ne lui répondit, il soupira.

— On a tous nos secrets et nos regrets, moi le premier, mais si on veut faire fonctionner notre... notre couple, il faut jouer carte sur table.

— Mais nous savons déjà tous les deux tout ce qu'il y a à savoir sur l'autre, souligna Cecil. Le seul qui a un handicap ici, c'est Sage. C'est lui qui s'est retrouvé en danger aujourd'hui.

Cecil s'interrompit brusquement, et Sage avait le sentiment qu'il aurait voulu rajouter quelque chose, mais avait préféré se retenir. Quelque chose du genre, parce que c'est un humain, un détail que Sage n'aurait pas protesté car c'était la pure vérité, du moins jusqu'à aujourd'hui.

Car Sage n'était plus un simple humain. Il était un sang-mêlé, et pas n'importe lequel : il était le fils de Loren Harrow, la dirigeante du coven de High Moon, la meneuse de revue de la majorité des sorciers de la région. Même s'il était dépourvu de magie, cela n'avait guère d'importance : son héritage était un pouvoir en lui-même.

Un pouvoir qu'il refuserait d'utiliser, mais dont il ne pouvait se débarrasser.

— Ne vous sentez pas obligés d'en dire plus que vous ne le souhaitez, fit Sage. Je ne veux pas vous forcer à la confession, juste à cause de ce qui est arrivé aujourd'hui.

— Ne trouves-tu pas que c'est justement une raison suffisante ? demanda Cecil.

Sage haussa les épaules, à défaut d'avoir une meilleure réponse à lui fournir.

— Ce qui s'est passé aujourd'hui risque de se reproduire si on ne prend pas le maximum de précautions, reprit Rune. La première chose à faire est de s'assurer que personne ne peut utiliser nos... héritages respectifs contre nous.

— Vous êtes déjà au courant du mien, dit Sage. Je suis le fils de Loren, mais cela fait des années que l'on ne s'était pas vus. Elle n'était pas très présente.

— C'est la vérité, confirma Cecil. Le fait que Loren avait eu un enfant était un secret de polichinelle dans le coven, mais personne n'en savait plus. Je suis sûr que certains ont fouiné, mais Loren est douée pour couvrir ses traces.

Cecil posa sa tasse vide sur la table.

— À mon tour, maintenant, je suppose. Je suis né quelque part, sur la côte. Ma mère était – est toujours – une sirène, et elle a pensé que la meilleure chose qui pouvait m'arriver était de grandir dans un coven sorcier. Je n'étais pas assez sirène pour survivre avec son clan, selon elle, et elle n'aurait pas supporté de voir l'océan me faire du mal.

« C'est comme ça que j'ai fini chez les High Moon. Ils m'ont recueilli comme l'un des leurs, jusqu'au jour où...

Cecil déglutit, et joua avec une de ses bagues. Sage dut ravaler le désir de tendre la main pour saisir la sienne.

— J'ai ensorcelé un autre apprenti, confessa Cecil. C'était une histoire idiote. Il s'amusait à bousculer les plus jeunes, et il ne contrôlait pas très bien sa magie. Moi non plus, d'ailleurs, mais mon héritage me servait souvent d'excuses. Bref, tout cela pour dire que je lui ai ordonné de ne plus jamais approcher les petits.

Il baissa les yeux, refusant de croiser le regard de Rune ou de Sage.

— J'ai appris, bien plus tard, que le chant d'une sirène était un outil incroyable, mais que celui d'un hybride était un peu moins perfectionné. J'aurais dû être plus précis, simplement lui demander de ne plus harceler les plus jeunes. À la place, il s'est retrouvé physiquement incapable d'être dans la même pièce qu'eux. Si on le forçait, il hurlait comme si on le torturait.

« Ils ont rapidement compris qui était à l'origine de l'enchantement. Loren, surtout. Elle ne m'a jamais apprécié, cherchant toujours à persuader ma mère de me reprendre, en vain. C'était l'occasion parfaite pour se débarrasser de moi. Je me suis enfui avant que le coven ne se réunisse pour décider de mon sort.

« Le reste est de l'histoire ancienne. J'ai quitté la ville, et j'ai trouvé le sanctuaire. Le cottage s'y trouvait déjà, et j'ai décidé que ce serait mon nouveau chez-moi. Rune m'a rejoint quelques mois plus tard, et nous voilà.

Le silence s'installa tandis que Cecil se taisait. Il s'enfonça dans le canapé, ramenant ses genoux contre sa poitrine, comme pour se faire plus petit.

— Tu ne peux pas quitter le sanctuaire alors ? demanda Sage.

— En théorie, si. J'ai pu me rendre au festival, par exemple. Rien ne m'en empêche. Mais tu as bien vu la réaction de Loren. Je préfère rester dans mon coin plutôt que de chercher des problèmes avec le coven. C'est pour cela que j'évite la ville, et que Rune est celui qui va faire les courses.

— Pourquoi ne pas être retourné chez ta mère ?

Sage espérait que ses questions n'étaient pas intrusives, mais il ressentait le besoin de les poser. L'histoire de Cecil était bien plus complexe que prévu. Sage s'était préparé à accuser et pointer du doigt le coven comme le seul responsable de l'isolement du jeune sorcier, mais la réalité n'était pas aussi manichéenne. Cecil avait ses torts, même s'il avait été jeune et inexpérimenté, tout comme les autres sorciers.

— Je n'ai jamais été attiré par la culture sirénienne, avoua Cecil. Je n'ai déjà pas l'équipement pour la vie sous-marine, et les sirènes ne sont pas tendres envers les hommes. J'aime ma mère, du moins je crois, mais je me porte bien mieux loin de son clan. Je compte bien rester ici aussi longtemps que possible, avec Rune et toi. (Il marqua une pause hésitante, avant de reprendre.) Du moins, si vous voulez encore de moi.

Rune grogna et leva les yeux au ciel, comme si ce n'était pas la première fois qu'ils avaient cette discussion.

— Oh, arrête, Cecil.

— Je suis sérieux, Rune. Je comprendrai parfaitement si vous ne vous sentez pas à l'aise avec moi à proximité.

— Je n'ai pas peur de toi, assura Sage. Et je suis certain que Rune non plus.

— Tu es aussi menaçant qu'un chaton en colère, confirma le sorcier.

Sage voyait plutôt Cecil comme un gros félin, genre un tigre, qu'un chaton, mais il laissa couler.

— Ta nature n'est pas un problème, continua-t-il. Que tu sois à moitié sirène, troll ou vampire, cela ne change rien à la personne que tu es. Ton héritage ne te définit pas, contrairement à tes actes. Ce que je vois, moi, quand je te regarde, ce n'est pas un monstre ou un danger, mais un jeune homme bon, qui prend soin des autres, et qui m'a toujours tendu la main quand j'avais besoin d'aide.

— Même si je t'ai ensorcelé ?

Sage grimaça.

— OK, ça ce n'était pas cool. Mais je suppose que tu ne comptes plus le refaire ?

— Bien sûr que non !

— Alors tout va bien.

Les épaules de Cecil s'affaissèrent de soulagement. Ses yeux étaient légèrement humides et il les essuya avec la manche de son pull, avant de se déplacer sur le canapé pour s'assoir contre Sage. Il posa sa tête sur son épaule et soupira quand Sage passa un bras autour de lui.

Il avait froid de son autre côté, mais Rune restait où il était, c'est-à-dire par terre en face d'eux.

— À mon tour, je suppose. Contrairement à Cecil, tout le débâcle est sur Internet. La situation est simple : j'ai dû fuir le Petit Peuple suite à l'incendie de la demeure Crann et à la mort des propriétaires. J'ai été suspecté à cause de mon affinité avec le feu, mais Fallon a soutenu que j'étais innocent devant le Roi, et j'ai pu donc m'installer à Hopewell avec comme punition implicite de ne jamais retourner auprès du Petit Peuple. Je ne suis pas certain que le Roi résisterait à m'exécuter, juste par plaisir.

Il était facile d'oublier à quel point le Petit Peuple pouvait se montrer si froidement cruel. Sage frissonna.

— Mais les articles ne sont pas complets, releva Sage.

— Non, pas vraiment. Ils ne mentionnent pas le fait que la Grande-Duchesse avait un amant sorcier, ni qu'ils ont eu un enfant. Je n'étais pas le seul bâtard de la famille, au contraire, mais j'étais le seul qui n'était pas un sang-mêlé humain. Pour préserver la réputation de la lignée Crann, on m'a interdit de rejoindre un coven. La seule éducation magique que j'ai reçue est celle que j'ai grapillé grâce aux livres de la bibliothèque et aux rares visites de mon père.

« Mon père... Ce n'était pas un homme bon. Peu de sorciers solitaires le sont. S'ils n'appartiennent pas à un coven, c'est généralement pour une bonne raison, comme l'arrogance. C'était un homme violent, assoiffé de pouvoir, et je crois que c'est ça qui a attiré ma mère. Les elfes vivent longtemps, et des individus comme mon père ont le don de pimenter leur existence monotone.

Sage ne voyait pas en Rune l'homme terrible que le jeune homme décrivait. Rune pouvait se montrer froid et intimidant, mais jamais violent. Sage reconnaissait que le jeune homme ne lui avait pas paru guère sympathique au début, voire carrément insupportable, mais il n'avait jamais eu peur.

Peut-être était-ce pour cela qu'il se retrouvait toujours dans des situations incongrues ?

— Toujours était-il que j'ai appris à craindre et attendre avec impatience les visites de mon père. D'un côté, j'en apprenais tellement, mais le prix était élevé. Je me disais qu'un jour, je serais incapable de le payer.

« Ce soir-là, il est venu plus tôt que prévu, quand le Grand-Duc était encore présent. Et la situation a dégénéré. Je me trouvais dans les cuisines avec les autres bâtards. On se cachait toujours là-bas quand il y avait de la visite : cela nous permettait d'espionner les conversations sans être dans les pattes. J'ignore pourquoi, mais il y a eu une dispute. Puis du feu.

Les yeux de Rune étaient voilés, comme s'il était perdu dans un souvenir.

— Les flammes se sont propagées vite. J'ai essayé de rejoindre le salon où se trouvait mes parents, mais je n'ai pas pu les maîtriser. Ce n'était pas les miennes mais celles de mon père, et il était bien plus puissant que moi.

« Une domestique m'a vu m'enfuir du manoir en flammes, bien plus tard que tout le monde, et épargné par le feu. Je n'avais pas une seule brûlure, pas une seule tâche de suie. Et tout le personnel connaissait ma prédisposition pour le feu. J'étais le coupable idéal.

« Je me suis réfugié en ville. Je me disais que le béton et l'acier couperaient les sens des elfes, et j'ai eu raison. Jusqu'au jour où Fallon m'a trouvé. J'ai cru que c'était la fin, et j'étais prêt à me battre pour ma liberté, mais elle m'a laissé partir, avec comme seul avertissement de ne jamais m'approcher du Petit Peuple. C'est elle qui m'a parlé de Hopewell.

Quelle coïncidence que ce soit également Fallon qui ait conseillé à Sage de se rendre au sanctuaire... Sage décida de ne pas le mentionner.

— C'était il y a neuf ans, termina Rune. Comme Cecil, je préfère rester éloigné de mon ancienne famille, par peur d'être puni pour quelque chose qui semble remonter à une autre existence.

— Mais tu es innocent.

— Les tribunaux du Petit Peuple ne s'embarrassent pas de choses triviales comme les preuves et la culpabilité. Mais non, je ne suis pas un meurtrier. Si la mort de mon père m'a laissé de marbre, je regrette la disparition des Crann. Ils n'étaient pas parfaits, ni aimants, mais ils m'ignoraient, et c'était tout ce que je demandais. Voilà mon histoire.

Sage mentirait s'il disait qu'il n'était pas soulagé d'entendre que Rune n'était pas responsable de l'incendie. Une petite partie de lui, celle qui continuait à douter de tout, s'inquiétait de ce qu'il aurait dû faire si Rune avait eu du sang sur les mains. La réponse logique aurait été de partir, mais il se savait incapable de tourner le dos au jeune homme.

Quand Sage répéta ses pensées à Rune, le sorcier ricana.

— Ouais, je ne dormirais pas aussi bien si j'avais été coupable. Et je suis soulagé également. Je ne sais pas si j'aurais été capable de me pardonner d'être la raison de ton départ.

— Moi, je ne t'aurais pas pardonné.

— Merci, Cecil.

— Je t'en prie, le plaisir est pour moi.

Sage fit signe à Rune de les rejoindre sur le canapé. Il s'autorisa à profiter de la présence rassurante des deux sorciers contre lui avant de soupirer.

— Que faire, maintenant ? demanda-t-il.

— Tout ce que l'on veut, répondit Rune. On est libre, non ?

— Jusqu'à la rentrée, précisa Sage. Je ne veux pas arrêter mes études.

— C'est dans deux mois. Pourquoi ne pas prendre les choses comme elles viennent, un jour après l'autre, et voir où tout cela nous mène ? suggéra Cecil.

Sage n'avait rien à redire, alors il se contenta d'acquiescer.

— Tant que l'on est ensembles.

— Ni moi, ni Rune ne comptons partir, lui promit Cecil.

Sage pouvait se faire à l'idée que son futur lui appartenait complètement, et que désormais Cecil et Rune marcheraient à ses côtés.

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Le soir-même, Sage profita du fait que Rune et Cecil se disputaient en préparant le dîner pour s'éclipser et passer un appel important.

Fallon décrocha à la seconde sonnerie.

— Est-ce votre sagesse qui vous a prévenu que je comptais appeler ?

— Non, uniquement le bon sens. J'ai entendu dire que Loren Harrow a quitté la ville tôt ce matin, visiblement en colère. Des témoins affirment avoir vu sa voiture non loin du sanctuaire. Cela te dit-il quelque chose ?

Sage s'appuya contre le mur du cottage. La fenêtre de la cuisine était ouverte, ce qui signifiait que Rune et Cecil pouvaient entendre chaque mot qu'il disait. Au son des casseroles qui s'entrechoquaient, ils étaient occupés à autre chose.

— Elle est venue ici, répondit Sage. Elle voulait me récupérer pour me sauver des méchants sorciers de Hopewell.

Comme Fallon ne répondait pas, il soupira.

— Je suppose que vous êtes déjà au courant.

— Malheureusement, oui. Ne le prends mal, ce n'est pas contre toi. C'est une déformation professionnelle.

— Mmh. Je vois d'où Cali tient son habitude de fourrer son nez partout.

— Je crains que je n'y suis pour rien. Elle a toujours été trop curieuse pour son propre bien.

Sage observa le jardin qui s'offrait à lui, la façon dont tout semblait si paisible, à peine dérangé par une brise légère qui charriait l'odeur caractéristique de l'été. Rien à voir avec ce à quoi il avait assisté ce matin-même.

— Ma mère est repartie les mains vides, même si elle n'a pas pu s'empêcher de me menacer.

Fallon émit un son de dégoût.

— Ça ressemble bien à Loren. Pour une dirigeante, elle manque cruellement de retenue.

— Je ne crois pas qu'elle reviendra, poursuivit Sage. J'ai le sentiment qu'elle nous laissera tranquille un bon moment avant de revenir à l'attaque.

— Qu'est-ce qui l'a poussée à partir ? Sans vouloir insulter les absents, Loren n'est pas du genre à abandonner aussi facilement, même en face de la logique et des arguments sensés.

Le regard de Sage se perdit dans la ligne des arbres. Les ombres étaient immobiles, signe que rien ne vivait au-delà des frondaisons, une simple barrière magique. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de penser à la créature qui était apparue ce matin. La peur qui avait envahi Sage était purement animale, la réaction d'un humain confronté à un être qui dépassait l'entendement.

Sage ne voulait plus jamais voir le gardien.

— Disons que Hopewell l'a persuadée de rapidement partir.

— Et elle a survécu au gardien ? s'étonna Fallon.

Sage nota mentalement de ne jamais mentir à Fallon : elle était bien trop observatrice.

— Il n'a pas eu le temps de charger. Heureusement, d'ailleurs. J'étais pétrifié. S'il avait décidé de nous attaquer, je ne crois pas que j'aurais pu fuir.

— De toute façon, cela aurait été inutile.

— Merci, Fallon. Je me sens beaucoup mieux, ironisa Sage.

— Oh, ne le prends pas mal. Je voulais juste dire que les gardiens ne sont pas vivants. Rien n'est plus rapide, plus fort, plus endurant qu'eux, tout simplement car ils ne répondent pas aux règles de la physique auxquelles nous autres mortels sommes soumis. Et de toute façon, il ne se serait jamais retourné contre vous.

— Pourquoi ?

— Parce qu'il a très certainement adopté Cecil et Rune. Si tu l'ignores, je suis celle qui a conseillé à Rune de s'installer à Hopewell. Je connaissais cet endroit depuis ma jeunesse. Il y a toujours eu des rumeurs sur le mystérieux sanctuaire. Selon les légendes, une méchante sorcière y a vécu durant des siècles. Bien sûr, quand les jeunes elfes décidaient de visiter le sanctuaire pour mesurer leur courage, ils ne trouvaient qu'un jardin à l'abandon et un vieux cottage inhabité, et aucune trace d'une quelconque sorcière.

— Vous voulez dire que cet endroit est fait pour être habité.

— Exactement. Je ne prétends pas connaître les intentions du gardien, ni même s'il est capable d'en avoir au-delà de son désir de protéger le sanctuaire, mais il est certain qu'il tolère la présence de Rune et de Cecil sur son territoire.

Sage observa la façon dont le jardin était fleuri et bien entretenu, les allées dégagées et les parterres travaillés. Tu m'étonnes, songea-t-il.

— Il n'y a plus qu'à croiser les doigts pour que le gardien m'apprécie tout autant.

— Je n'en doute pas. Tu es drôlement attachant, malgré tes défauts.

— Haha, très drôle. J'ai l'impression d'entendre Cali.

— En parlant de ma fille, n'oublie pas de l'appeler. Elle est rentrée drôlement excitée, hier soir, et a refusé de me dire pourquoi. Je me doute que c'est par rapport à toi.

— Je comptais le faire. Je dois aussi prévenir mon grand-père que je risque de ne pas être autant présent que d'habitude.

— Appelle-les, Sage, et amuse-toi bien. Tu as mérité un peu de repos.

Sage regarda par la fenêtre ouverte. Cecil était occupé à touiller quelque chose sur le feu, tandis que Rune était enroulé autour de son dos, l'empêchant de se déplacer sans le traîner derrière lui. Un sourire lui échappa.

— Je n'aurais pas dit mieux. Au revoir, Fallon.

Après avoir raccroché et rangé son téléphone, il retourna dans le cottage. Il allait appeler Cali et Henry, comme il en avait fait la promesse, mais plus tard. Cela pouvait attendre. Il avait un repas chaud et deux sorciers qui l'attendaient. 

A/N : Stay tuned pour l'épilogue ^^ 

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