chapitre xii

Sage était très serein à l'approche du festival.

Correction : il était une véritable pile électrique et passait son temps à se demander si cela avait été vraiment une bonne idée d'inviter Cecil et Rune. Il avait beau vérifier toutes les heures sa messagerie, aucune réponse ne lui attendait, et il ne pouvait que croiser les doigts qu'ils viendraient.

Il ignorait ce qu'il ferait s'il les revoyait. Il hésitait encore entre se cacher derrière une table ou Cali, ou bien s'évanouir. Il ne s'était pas encore décidé. Mais une chose était certaine : il préférait cela à leur absence. S'il devait se mettre à genoux pour leur demander pardon, il le ferait.

Et s'ils désiraient le garder dans cette position, il n'y verrait aucun inconvénient.

Samedi arriva trop vite et trop lentement à la fois. Il travailla le matin et, une fois libre, fila chez lui pour se préparer. Il hésita devant son armoire pendant une bonne heure, avant de craquer et d'appeler son grand-père. Si Henry était surpris de recevoir un appel de son petit-fils pour une crise qui n'en était pas réellement une, il ne laissa rien paraître et conseilla à Sage de porter des vêtements confortables.

— Vous les jeunes, vous passez le festival à courir dans les champs. Il vaut mieux que tu sois à l'aise.

Sage n'osa pas lui demander s'ils avaient la même définition de « courir dans les champs » car ce n'était pas une partie de cache-cache avec Cecil et Rune dont il rêvait.

Il finit par écouter les conseils de Henry, enfilant son plus beau jean – s'il était plus moulant que ceux qu'il portait d'habitude, et alors ? – et troquant son sempiternel T-shirt pour une chemise qui mettait en valeur les heures qu'il passait à la salle. Il glissa dans ses poches son portefeuille, ses clés et son portable, avant d'enfin sortir.

Le soleil était encore haut dans le ciel quand il grimpa dans son pick-up et prit la direction du saule pleureur. Il avait promis à Cali de la rejoindre en début de soirée pour qu'ils puissent dîner ensemble. Il avait le sentiment que, s'ils venaient, Cecil et Rune ne se montreraient pas tant que le soleil ne serait pas couché.

Il y avait foule sur la route, et Sage mit presque une heure à atteindre sa destination. Tout le monde avait visiblement l'intention de profiter du festival, humains comme membres de la communauté magique, et Sage n'en était guère étonné. Il se rappelait encore toutes les années où il venait ici, chaque été, en compagnie de son grand-père car sa mère n'avait pas le temps pour l'accompagner. Il en gardait un bon souvenir, et il était persuadé que c'était le cas pour la majorité des visiteurs. Qui dirait non à une fête en plein air, avec grillades et activités ?

Après s'être garé dans un des nombreux champs temporairement reconvertis en parking – avec l'accord des agriculteurs et des elfes, bien entendu –, Sage se mit à la recherche de Cali et de sa petite troupe. Il s'interdit de fouiller la foule à la recherche de deux silhouettes, l'une blonde, l'autre brune. Il refusait de se torturer.

Il était là pour passer du bon temps avec ses amis. Pas se faire du mal.

Il trouva Cali et ses amis – minus le vampire, pour des raisons évidente – attablés à l'une des nombreuses tables installées sous les branches tombantes du saule pleureur. Des feuilles où s'entremêlaient des guirlandes multicolores et des rubans soyeux lui effleurèrent le font tandis qu'il les rejoignait.

— Ah, ne serait-ce pas notre humain favori ! s'écria Holly. On se demandait si tu allais venir. Cali n'en était pas certaine.

Cali foudroya la fée du regard, qui se contenta de lui tirer la langue.

— Traîtresse, persifla-t-elle.

— Alors comme ça, on ne me fait pas confiance ? se moqua Sage.

Il s'installa sur le banc et Holly lui tendit un verre avec une paille. Les deux jeunes elfes mâles qui étaient assis avec eux ricanèrent quand Sage fronça le nez à cause de l'odeur. Elle était surprenante, pour ne pas dire dégoûtante. 

— C'est du jus d'écorce, le renseigna Cali, je te déconseille d'en boire. Et oui, j'ai cru que tu allais te dégonfler.

— Je suis vexé.

— Ne le sois pas, et bois plutôt ça.

Cali lui présenta une autre boisson. Le nez de Sage lui indiqua qu'il s'agissait probablement d'un jus de pomme, mais il se méfiait. Il avait mis ces deux précédents jours à se remettre de la gueule de bois qu'il avait écopée suite à leur sortie au bar. Il tenait bien son alcool, mais il avait légèrement oublié qu'il n'était qu'humain. Il ne referait pas deux fois la même erreur, surtout pas ce soir.

— Est-ce que je dois m'inquiéter d'apercevoir les portes du paradis avec cette boisson ?

— C'est un simple jus de fruit. J'ai demandé au serveur de ne pas y rajouter de filtre d'ivresse, ni d'alcool. Tu seras parfaitement lucide ce soir.

— Ce qui est dommage, roucoula Holly. Tu es bien drôle quand tu es bourré.

— Je vais prendre cela pour un compliment.

Les fées étaient certes connues pour leur incapacité à mentir, mais c'était leur talent pour danser autour du pot et être brutalement honnête qui avait fait leur réputation. Ça, ainsi que leur cruauté et la mauvaise habitude qu'elles avaient de voler des bébés humains.

Sage sirota son jus en silence tandis que ses compagnons – étaient-ce ses amis ? – discutaient avec animation entre eux. Il ne releva la tête que lorsque Cali l'interpella.

— Ton grand-père ne voulait pas venir ?

Sage secoua la tête et reposa son verre.

— Il préférait se reposer. Je lui ai fait promettre de venir au festival d'hiver, en revanche.

— Oh oui, quelle bonne idée. Ce serait génial que ton grand-père se brise la hanche juste après avoir vaincu la corruption sanguine.

— Haha, tu es hilarante.

— Je sais.

Le reste de la soirée passa rapidement grâce à l'ambiance joyeuse et légère qui régnait sur le festival. Ils commandèrent à manger, un assortiment de légumes grillés et de churros qui convenait au régime végétarien de la majorité des occupants de la table, avant de partir à la découverte des différents jeux proposés.

Sage découvrit rapidement qu'il n'y avait guère plus compétiteur que le Petit Peuple. Ils essayèrent toutes les activités, de la simple pêche au canard au simulateur de rodéo, et finirent avec les bras remplis de prix divers et variés. Holly s'amusa à accrocher tous les bijoux en plastiques qu'elle avait gagné à ses ailes, les faisant follement cliqueter à chaque fois qu'elles bourdonnaient.

Ils gardèrent le tir à l'arc pour la fin. Cali et Sage prirent leurs marques. Sage n'avait jamais tenu d'arc de sa vie, et il observa comment son amie s'y prenait – elle marqua huit points du premier coup avant – avant de tenter à son tour.

Il loupa la cible.

Ses autres tirs s'améliorèrent légèrement, ce qui signifiait que ses flèches désormais la cible plutôt que de se perdre dans l'herbe derrière le stand, mais il n'atteignit pas le minimum requis pour un prix.

— Tant pis, déclara-t-il.

— Réessaye.

— Quoi ?

Cali, qui avait largement dépassé le score minimum mais n'avait pas encore choisi de récompense, fit signe à l'animateur de redonner quatre flèches à Sage, lui tendant par la même occasion un billet.

— Réessaye, répéta-t-elle.

Son expression était sérieuse, bien trop pour un simple jeu de fête foraine. Sage la contempla avant de refaire face à la cible, son carquois à nouveau plein. Elle avait une idée derrière la tête, mais quoi ?

Cela donna juste assez de motivation au jeune homme pour qu'il se concentre.

Il planta ses quatre flèches dans la cible, chacune dans des cercles valant plus de cinq points. Sa dernière se ficha même dans le cercle du neuf, ce qui était un miracle et lui valut les applaudissements de Cali.

Quand ils choisirent leur prix, Sage eut la surprise de voir Cali lui céder son cadeau.

— Choisi ce que tu veux.

— Mais c'est ton prix, pas la mien.

— Et tu as deux sorciers à séduire. Tu comptais vraiment les accueillir les mains vides ?

Sage fut mortifié quand il se rendit compte que oui, c'était absolument ce qu'il avait prévu. Il se maudit aussitôt de ne pas avoir pensé à acheter un petit quelque chose. Mais quoi ? Un bouquet de fleurs ? Il y en avait partout dans le sanctuaire, et leurs plantes étaient cent fois plus belles que ce qu'il pourrait trouver chez un fleuriste. Du chocolat ? Il ignorait s'ils aimaient ce genre de friandise.

Il se contenta alors de deux peluches. Il choisit un ourson brun, affublé d'un chapeau pointu et d'une cape ornée d'étoiles filantes, qui lui rappelait Rune. Pour Cecil, il jeta son dévolu sur un chaton blanc jouant avec une pelote de laine rose.

Ses cadeaux sous les bras, il rejoignit Cali et les autres.

— On pense aller faire un tour dans les champs, voir s'il n'y a pas une partie de chasse organisée par les métamorphes, déclara Cali. Tu veux venir ?

Sage jeta un coup d'œil autour de lui. Il y avait tout autant de monde autour du saule pleureur, et le soleil avait désormais presque disparu derrière la cime des arbres. La nuit approchait, et avec elles les véritables festivités. 

— Je pense que je vais rester ici, profiter encore un peu de la musique.

Il faisait référence au groupe de rock local qui avait monté une petite scène à proximité des stands de nourriture. Cali hocha la tête, ses yeux luisant dans la pénombre. Elle avait probablement compris ses réelles intentions. Quand elle partit en lui serrant l'épaule, Sage y lut un encouragement silencieux.

Le jeune homme observa ses compagnons disparaître à travers les hautes pousses du champ de maïs qui les entourait avant de retourner se mêler à la foule. Il vérifia son téléphone : toujours aucun message.

Il tourna en rond pendant plus d'une heure, s'assurant de toujours rester dans un coin dégagé, d'où l'on pouvait le voir de loin. Ses oreilles bourdonnaient à cause de la musique et des rires qui emplissaient l'atmosphère, et à mesure que le ciel s'assombrissait et que les guirlandes et lanternes s'allumaient, il devenait de plus en plus désespéré.

Alors que les organisateurs annonçaient que le feu de joie allait bientôt être allumé, courtoisie d'un sorcier, Sage s'assit sur un tronc renversé qui servait de banc. Il contempla les deux peluches qu'il avait posé sur ses genoux. Il avait fouillé la foule, en vain : Rune et Cecil n'étaient nulle part en vue. Il avait l'intuition que, s'ils se trouvaient à proximité, son instinct l'aurait prévenu.

Ils n'étaient pas venus.

Sage soupira, et tenta de se rassurer. Peut-être qu'ils avaient voulu le revoir, mais qu'ils n'avaient pas pu quitter le sanctuaire. Après ce qu'il avait appris sur Rune et Cecil, il comprenait mieux les raisons de leur isolement : leurs communautés respectives ne les appréciaient guère, allant même jusqu'à les rejeter purement et simplement. À leur place, Sage se cacherait aussi.

Mais cela ne voulait pas dire qu'il n'était pas blessé. Il avait tellement espéré... Il en avait rêvé, n'avait pensé qu'à cela ces deux derniers jours, quitte à s'en rendre presque malade.

Sans qu'il ne puisse s'en empêcher, il sentit les premières larmes lui brûler les yeux.

— Excusez-moi ? On recherche quelqu'un, un garçon d'une vingtaine d'année, brun, plutôt grand et musclé, très gentil mais un peu peureux. Est-ce que la description vous dit quelque chose ?

Sage se figea quand la voix retentit dans son dos. Non, ça ne pouvait pas... Il n'osait presque pas se retourner.

Le mot-clé étant presque, il ne résista pas longtemps à la tentation avant de pivoter sur son siège pour faire face aux deux nouveaux venus.

Cecil et Rune avaient l'air particulièrement ravissants dans la lumière dorée du feu de joie.

Cecil portait à nouveau son long cardigan malgré la chaleur, et son cou était orné d'une multitude de colliers en perle et en argent. Ses cheveux blonds avaient été coiffés de façon à retomber délicatement sur son front en boucles légères qui effleuraient ses longs cils. Les lèvres du sorcier étaient rouge carmin, et Sage remarqua les paillettes qui brillaient à chaque fois que Cecil clignait des paupières ou pivotaient la tête pour dévoiler ses pommettes. Il souriait, comme fier du petit tour qu'il venait de jouer à Sage.

Rune, lui, se mêlait bien plus dans la foule. Il avait troqué son ensemble jeans-T-shirt pour une blouse en satin – noire, il ne fallait pas exagérer – qui dévoilait ses clavicules et le renflement de ses épaules. Les flammes du feu de joie caressaient sa peau et soulignait sa couleur de bronze. Elles dansaient également dans ses prunelles sombres, qu'il vrillait sur Sage.

Ce dernier resta un long moment figé, à fixer les deux sorciers, comme s'il ne réalisait pas qu'ils se tenaient devant lui. Quand il se rendit compte que c'était la réalité, et non un de ses nombreux rêves, il ne se contrôla pas.

Il se leva, avala en deux grands pas la distance qui les séparait, et se jeta à leur cou.

— Vous êtes venus, murmura-t-il presque fiévreusement. Oh, pour l'amour des dieux, vous êtes venus...

— Tu pensais qu'on allait te laisser tout seul ? répondit Cecil.

Il se retint de dire que oui, c'était exactement ce qu'il pensait, se contentant de serrer un peu plus fort les deux sorciers contre lui. Il faillit éclater en sanglots quand il les sentit lui rendre son étreinte, des mains chaudes se poser contre son dos et un souffle heurter son cou. Il ne voulait plus jamais les lâcher.

— On hésitait à venir, avoua Rune. C'était dangereux, on ignorait si cela en vaudrait la peine, mais on était prêt à prendre le risque. Pour toi.

— Merci...

Ils restèrent un long moment entrelacés avant que Sage n'accepte de les lâcher, quand il eut le sentiment qu'ils ne disparaîtraient pas comme par magie – sans mauvais jeu de mot. Il essuya ses larmes, renifla, et se rendit compte que ses peluches lui avaient échappé dans son impatience.

— Oh ! s'écria-t-il en se penchant pour les ramasser.

Il les secoua pour les débarrasser de la poussière et des brins de paille qui avaient pu s'accrocher au tissu avant de les tendre à Cecil et à Rune.

— C'est pour vous, annonça-t-il, légèrement gêné. Je ne savais pas quoi vous offrir, j'ai presque oublié, je ne suis vraiment pas doué pour ce genre de chose, mais elles m'ont fait penser à vous.

Cecil et Rune échangèrent un regard amusé avant de saisir les cadeaux de Sage.

— C'est vrai que cet ours te ressemble, fit remarquer Cecil en jouant avec l'oreille de son chat en peluche.

— Tu sais quoi ? Tu as raison. Je l'adore, déclara Rune. Il dormira avec nous, maintenant. Je vais l'appeler Bob, et il fait partie de la famille.

Sage ne put s'empêcher de rire aux côtés de Cecil quand Rune plaqua Bob contre sa poitrine. Il se sentait plus léger. Ses nerfs ne s'étaient pas encore complètement calmés mais c'était un début. Il était prêt à accepter un peu de gêne si cela signifiait avoir les sorciers à ses côtés.

À commencer par avoir une discussion sur tous les non-dits qui pesaient entre eux.

— Quand vous avez dit que c'était dangereux pour vous de venir ici...

— Tu n'as pas à t'en faire de ça, l'interrompit Rune.

Sage n'était pas d'accord. Il s'humecta les lèvres. 

— Je suis au courant, avoua-t-il. De tout. Enfin, de presque tout. Il y a encore beaucoup d'hypothèses à confirmer, mais ce n'est pas le plus important. Ce ne sont que des détails, non ? Alors vous n'avez pas besoin de me mentir.

Les sorciers eurent une réaction opposée. Rune se figea, le dos rigide, tandis que Cecil laissa un petit rire incrédule lui échapper, secouant la tête.

— De quoi parles-tu, Sage ?

— Des raisons de votre exil à Hopewell. Du fait que Rune n'est pas qu'un sorcier, et que tu as dû fuir le coven de High Moon.

L'horreur fut remplacée par la panique sur le visage de Cecil. Il fit un pas en arrière, et Sage bondit pour saisir sa manche, le retenir sur place. Rune bougea, comme pour s'interposer, avant de s'immobiliser, reconnaissant que Sage n'était pas une menace pour son compagnon.

— Qui t'a dit ça ? demanda Cecil d'une voix pressante, assez basse pour que Sage eut à tendre l'oreille pour l'entendre.

— Fallon, cette fouine, gronda Rune.

— Entre autres, oui, reconnut Sage. J'ai surtout cherché sur Internet.

Hors de question qu'il ne dénonce son grand-père, pas quand les yeux de Rune luisaient d'une lueur vaguement menaçante. Sage déglutit, et poursuivit.

— Je comprends que vous soyez en colère contre moi. Je me suis montré injuste quand je suis parti du sanctuaire, et maintenant vous avez l'impression que j'ai mis mon nez dans vos affaires. Et je ne fais pas cela pour vous importuner, je vous le promets. Partir a été une grosse erreur, je m'en rends compte désormais, et je veux l'arranger, si vous êtes prêts à me pardonner. C'est pour cela que je veux me montrer honnête envers vous, parce que vous le méritez.

— Sage, je ne sais pas si nous devrions avoir cette conversation ici...

Cecil avait l'air anxieux, ses yeux bondissant de droite à gauche, comme pour s'assurer que personne ne les écoutait.

— Et où veux-tu l'avoir ? demanda Rune. Au sanctuaire ? Il est humain. Il ne pourra pas y entrer une troisième fois.

— À propos de cela... J'ai de bonnes raisons de croire que si, cela sera possible.

Ce fut au tour de Rune d'avoir l'air surpris.

— Comment ça ?

— Je suis un sang-mêlé, Rune. Ma mère est une sorcière, même si mon patrimoine est presque entièrement humain. C'est pour cela que mon grand-père est persuadé que je peux circuler dans le sanctuaire à ma guise, malgré mon incapacité à manipuler la magie.

Sage passa sous silence le fait qu'il était le fils de Loren Harrow, la même femme qui avait mis Cecil à la porte presque dix ans plus tôt. Il devait leur avouer, il en était conscient, mais cela pouvait attendre encore un peu. Il avait le sentiment que cette information n'aiderait pas les deux sorciers à lui pardonner.

Il s'était attendu à toute sorte de réaction – de la colère, du choc, du déni –, mais pas à entendre Cecil éclater de rire.

— Oh, mais quels idiots sommes-nous ! C'est évident, maintenant que tu le dis.

— Vous... n'êtes pas en colère ? demanda prudemment Sage.

Cecil et Rune échangèrent un regard et une conversation silencieuse, avant de secouer la tête.

— Non, le rassura Cecil. Pas du tout. Surpris, oui, mais pas énervés.

— Ce serait hypocrite de notre part, continua Rune. Nous t'avons aussi caché des choses.

— Oh... Je... Je suis soulagé. Vraiment. Wow, je me sens bien mieux maintenant.

Il avait même un peu le vertige. Il resserra sa prise autour de la manche de Cecil, frissonnant lorsque le sorcier se dégagea pour entremêler leurs doigts.

— On va devoir discuter, annonça Rune. Sérieusement. Si l'on veut aller plus loin... (Il hésita.) Que veux-tu, Sage ?

— Tout ce que vous avez à m'offrir.

Rune exhala comme si Sage l'avait frappé. Il ne put s'empêcher de se rapprocher du jeune homme, passant un bras autour de sa taille, pressant son front contre sa tempe. Cecil se mordait la lèvre, comme luttant contre le désir de les rejoindre, mais resta sur place.

— Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais tu t'es enfui dès nos premières avances. Es-tu vraiment sûr que c'est ce dont tu souhaites ?

Sage comprenait les raisons de l'inquiétude de Cecil. Il avait souffert de son départ, Sage le savait et s'en voulait, et il essayait de s'assurer que ces retrouvailles ne se termineront pas en une répétition de leur dernière rencontre.

Heureusement que Sage n'avait aucune intention de les quitter.

— J'ai pris la peine de réfléchir à ce que je voulais, déclara-t-il. Ce n'est pas une décision prise sur un coup de tête. Je veux apprendre à vous connaître, je veux passer du temps avec vous, je veux... je veux tout ce que j'aurais pu avoir si je n'étais pas parti après le rituel, comme un lâche.

— Tu n'étais pas un lâche, murmura Cecil. Tu avais juste peur.

— Une personne m'a dit que la chose la plus courageuse à faire était de rester pour affronter ses problèmes plutôt que de les fuir.

Sage sentit les lèvres de Rune se courber en un sourire contre sa peau.

— Alors me voilà, si vous voulez de moi.

— A-t-on vraiment besoin de te répondre ? demanda Rune. Nous sommes venus. Bien sûr que nous te voulons.

— Alors montrez-le moi, chuchota Sage.

Cecil ne résista pas plus longtemps, se glissant contre le côté du jeune homme qui n'était pas occupé par Rune. Sage ferma les yeux, se laissant aller dans l'étreinte rassurante des deux sorciers, inspirant profondément pour graver dans sa mémoire leurs parfums respectifs – rose et miel pour Cecil, menthe poivrée et bois de santal pour Rune.

— C'est un nouveau départ, murmura Cecil d'une voix étouffée. Tous les trois.

— Tous les trois, confirma Rune.

Sage n'aurait pas pu rêver de mieux.

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Sage, Rune et Cecil profitèrent du feu d'artifice pour s'éclipser du festival sans attirer l'attention sur eux. Non pas qu'ils avaient été très discrets jusqu'à présent, incapable de ne pas se toucher, comme pour se rassurer de la présence des autres.

Ils s'enfuirent dans les bois, se tenant la main, Rune ouvrant la voie et Sage placé au milieu.

— Pour te protéger des monstres, susurra Cecil à son oreille.

Sage frémit. À mesure que la nuit avançait, Cecil se montrait de plus en plus audacieux, la séduction dont il avait fait preuve lors de leur première rencontre pointant à nouveau le bout de son nez. Rune ne faisait rien pour sauver Sage de ses avances.

Au plus grand plaisir de Sage.

— Comment allons-nous faire pour retourner à Hopewell ? J'ai laissé ma voiture au festival.

— De la même manière que nous avons fait pour venir : celle des elfes, déclara Rune.

Sage ignorait ce que cela signifiait, alors il se contenta de suivre le sorcier à travers les bois, Cecil une présence rassurante dans son dos.

Il ne sentit pas la magie à l'œuvre jusqu'à ce qu'il aperçoive le rocher couvert de mousse. Il s'arrêta net, tirant sur le bras de Rune.

— Que... Comment est-ce possible ?

— Le pouvoir des elfes, répondit simplement Rune. On peut manipuler la forêt pour la traverser plus rapidement. Ce n'est pas très impressionnant, mais c'est pratique.

Sage était impressionné, en tout cas.

Ils marquèrent une pause devant l'entrée du purgatoire. Sage considéra avec appréhension le passage sombre et les branches tordues qui masquaient l'entrée de Hopewell.

— Nous y voilà, déclara-t-il. Le moment de vérité.

— Nous sommes avec toi, répondit Cecil. Tout va bien se passer.

Et il avait raison. Sage s'aventura avec méfiance dans le purgatoire, et le soulagement qu'il éprouva quand il aperçut l'ouverture du sanctuaire manqua de lui couper les jambes.

Il avait sous-estimé à quel point cet endroit lui avait manqué. Il inspira profondément l'odeur prenante de la sève et des fleurs tandis qu'ils traversaient les allées endormies et eut le sentiment de rentrer à la maison après un long voyage.

La porte du cottage s'ouvrit toute seule à leur approche et Cecil haussa les épaules avec un air innocent quand Sage le regarda en haussant les sourcils. Frimeur.

Ils marquèrent une pause dans le salon, au milieu des livres et des plantes en pot. Toute la maison semblait retenir son souffle tandis que Rune et Cecil lâchaient Sage pour lui faire face.

— Te voilà de retour chez nous, murmura Cecil. Tu peux aller dans ta chambre, si tu le désires. Je l'ai laissé en l'état.

À voir le regard de braise que le sorcier blond arborait, ce n'était pas ce qu'il désirait mais il était trop intègre pour lui mettre la pression. Quand il s'en rendit compte, Sage ne put ravaler le désir qu'il ressentait pour ces deux jeunes hommes.

— Et si je veux plutôt aller dans votre chambre ? rétorqua-t-il.

— Alors ce sera avec grand plaisir que nous t'accueillerons, répondit Rune. Mais prends garde : nous pouvons nous montrer insatiables.

Le souffle de Sage se retrouva bloqué dans sa gorge tandis que le sous-entendu de Rune le frappait de plein fouet. Un son qui ressemblait à un gémissement lui échappa et une véritable flemme s'alluma dans les yeux de Cecil. Dévoilant les dents dans un sourire presque carnassier, le sorcier fit signe à Sage de les suivre.

Il monta les marches en prenant conscience que tout allait changer une fois qu'il arriverait à l'étage, dans le véritable repère des sorciers. Il avait hâte.

Sage entra dans la chambre de Rune et de Cecil en dernier. La fenêtre était ouverte pour laisser passer un mince filet d'air frais, et Rune était occupé à allumer une série de bougies à moitié fondues par le simple pouvoir de sa pensée. Ses yeux étaient vissés sur Sage, le détaillant des pieds à la tête.

C'était pour cela que Sage ne remarqua pas Cecil avant qu'il ne lui tombe dessus.

Le sorcier attrapa une poignée de la chemise de Sage, ses doigts tels des griffes tandis qu'ils effleuraient sa poitrine. Ses prunelles luisaient d'un éclat doré, et Sage doutait que c'était le seul effet des flammes. Sa peau se couvrit de chair de poule tandis qu'il sentait sur le bout de la langue le goût poisseux de la magie. Il y avait un pouvoir en Cecil, quelque chose que Sage entrapercevait pour la première fois, mais qui avait justifié son renvoi du coven et son exil dans la forêt.

La question de la véritable nature de Cecil disparut de l'esprit de Sage quand ses lèvres s'abattirent sur les siennes.

Cecil n'embrassait pas délicatement. Ce n'était pas maladroit, bien au contraire ; la technique était parfaite et faisait trembler les genoux de Sage, le persuadant que le sorcier s'apprêtait à le dévorer. Un gémissement lui échappa et Cecil l'avala aussitôt, pressant plus fort contre lui, le forçant à se soumettre à sa silhouette plus menue.

— N'oublie pas de partager, Cecil.

La voix de Rune avait résonné non loin d'eux, mais les sens de Sage avaient grillé au premier contact avec les lèvres de Cecil.

Le demi-elfe s'interposa entre eux, forçant Cecil à s'éloigner de Sage avec un geignement piteux. Sage était rassuré de voir que le blond était au moins aussi affecté que lui, les pupilles dilatées et les joues rouges. Il le trouva sublime.

Rune commanda son attention d'un doigt sous le menton.

— Par-là, Sage. Je sais que Cecil est absolument envoûtant, j'en ai bien conscience, mais je peux me montrer aussi doué que lui.

Sage n'en doutait. Il ferma les yeux, attendant le baiser de Rune, et frissonna quand les lèvres du jeune homme se posèrent délicatement sur l'arête de sa mâchoire. Son dos se courba quand sa bouche se mit à courir le long de son cou, transformant la peau pâle en une mosaïque de suçons qui mettrait des jours à partir.

Ne supportant pas d'être laissé de côté, sans attention, Cecil se colla contre Sage, retirant lentement la chemise de l'endroit où elle était rentrée dans son pantalon. Une fois libre, ses doigts se faufilèrent sous le tissu pour se poser contre le bas de son dos, avant de pianoter follement en direction de son ventre. Il y planta ses ongles en même temps qu'il se dressait sur la pointe de ses pieds pour mordiller son lobe d'oreille.

— J'ai envie de te dévorer, chuchota-t-il.

Sage mit un moment à déchiffrer ses paroles, son esprit embrumé par toute l'attention qu'il recevait, mais quand il le fit, il décida qu'il n'avait aucun problème avec ce plan. Mourir ainsi, dans les bras de Cecil et de Rune ? Cela ressemblait plus à un rêve.

Rune fut plus rapide à répondre.

— Cecil.

Sa voix comportait une mise en garde que Sage ne comprenait pas. Cecil se tendit contre lui, la prise de ses ongles se faisant plus pressante, aux limites de la douleur, avant de se relaxer. Il soupira.

— Je me contrôle, promis. C'est juste que... L'avoir ici, avec nous, cela me paraît surréel.

Rune l'étudia un instant avant de hocher la tête, visiblement convaincu par ce qu'il voyait. Il se pencha vers lui pour voler un baiser et Sage gémit, offusqué par le fait que Rune refusait toujours de lui en offrir un. Le demi-elfe se tourna vers lui avec un sourire satisfait et bien trop arrogant.

— Quelqu'un est jaloux, se moqua-t-il.

— Tais-toi et embrasse-moi.

Rune s'exécuta. Son baiser était plus doux que celui de Cecil, mais la façon qu'il avait de placer ses mains sur les joues de Sage le fit fondre aussi efficacement que le désir presque bestial de Cecil.

Sans qu'il ne s'en rende compte, Sage était mené vers le lit. Il réalisa qu'il tombait au moment où les bras de Cecil le quittèrent et qu'il sentit contre lui les couvertures qui recouvraient le matelas. Il se redressa sur les coudes, tentant en vain de reprendre son souffle.

Rune et Cecil se tenaient au-dessus de lui, comme s'ils allaient lui bondir dessus et le dévorer. Mais prends garde : nous pouvons nous montrer insatiables. Rune n'avait pas menti.

— Je veux vous voir, déclara Sage.

Rune haussa un sourcil.

— Nous sommes là.

— Non, protesta Sage. Je veux vous voir.

Sage avait peur que Rune lui demande de les supplier, car il savait sans un doute qu'il n'aurait pas assez de dignité pour refuser. Il se contenta de leur lancer son plus beau regard de chien battu, et Cecil fut le premier à craquer.

Il retira son cardigan et le T-shirt qu'il portait en-dessous, dévoilant sous la lumière des bougies les muscles nés de son travail dans le jardin. Ils bougeaient à chacun de ses mouvements, révélant la force qui se cachait dans un corps qu'il était facile de considérer comme trop faible. Sage avait l'impression de découvrir le véritable Cecil.

Rune imita son compagnon, et sa blouse rejoignit les vêtements de Cecil. Il était moins musclé que Cecil, avait même un peu de ventre, et Sage se rendit compte qu'il aurait été incapable de choisir quel physique il préférait. Il était complètement sous le charme de la beauté si opposée des deux sorciers.

Et ils étaient tout à lui.

Cecil mit un genou sur le lit et se pencha vers Sage.

— À ton tour, maintenant.

Sage se laissa faire quand Cecil le débarrassa de sa chemise. Ses doigts effleurèrent les tétons de Sage et le dos de ce dernier se courba. Quand il remarqua la réaction de Sage, Cecil redoubla ses avances, posant ses lèvres au milieu de sa poitrine pour y placer son propre suçon.

Sage était sensible, bien plus qu'il ne l'avait jamais été. Il avait l'impression que sa peau était en feu et tous ses nerfs à vif, à la disposition des deux sorciers. Ils pouvaient lui faire ce qu'ils désiraient.

— À quoi penses-tu ? demanda Rune.

Sage ouvrit difficilement les yeux – depuis quand les avait-il fermés ? – pour découvrir que le sorcier était allongé à ses côtés, une de ses mains soutenant sa joue tandis que l'autre jouait avec la ceinture de Sage.

— À vous, répondit-il d'une voix faible.

— Mmh ? J'espère que c'est positif...

— Tu n'as pas à t'en faire...

Cecil choisit ce moment pour faire glisser ses dents contre son téton maltraité et la fin de sa phrase se transforma en un long gémissement qui s'échappa dans la nuit.

— Pauvre Sage, ronronna Cecil en relevant la tête. Complètement à notre merci.

— Cecil...

— Chut, Rune. Regarde-le. Il aime ça, n'est-ce pas ?

Sage hocha la tête avec autant de vigueur qu'il put rassembler, ce qui n'était pas beaucoup. Un sourire digne du chat du Cheshire étira les lèvres de Cecil.

— Qu'allons-nous bien pouvoir faire de toi ?

— Tout ce que vous voulez, haleta-t-il.

— Oh, vraiment ? C'est dangereux de nous dire ça.

— Je vous fais confiance.

Quelque chose qui ressemblait à de l'affection perça le brouillard de luxure qui semblait avoir dévoré Cecil. Il déposa un baiser léger sur les marques encore pulsantes qu'il avait déposées sur la poitrine de Sage.

— Tu ne le regretteras pas, lui assura Rune.

Ça, Sage le savait déjà. Alors quand Rune fit glisser son jean sur ses cuisses et que Cecil se pencha vers la table de nuit, il ferma les yeux et renversa la tête en arrière, heureux de se livrer complètement aux sorciers qui faisaient battre si fort son cœur.

A/N : OK, j'ai complètement honte. Je n'ai aucune excuse pour avoir mis autant de temps à update cette histoire... Pour me faire pardonner, je vais tout poster d'une traite, comme ça je suis sûre de ne pas oublier ^^ C'est parti !

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